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Malko s’installa et la voiture démarra aussitôt. Le chauffeur, un petit chulo trapu et noiraud, conduisait vite et bien. Tandis que l’Altiplano défilait à toute vitesse, Malko réfléchissait. Ceux qui protégeaient Klaus Heinkel ne reculaient devant rien : Jim Douglas, Pedro Izquierdo, Esteban Barriga, et maintenant le pauvre vieux Friedrich. Tout cela pour un homme âgé, hors circuit, un petit sans-grade de l’horreur. Pourquoi s’acharnait-on tellement à le protéger ? Des gens aussi différents que Don Federico, Jack Cambell ou le major Hugo Gomez.

Comme si, toute la Bolivie s’était liguée pour que Klaus Muller reste à tout jamais Klaus Muller.

Chapitre XII

Empêtré dans les plis d’un suaire diaboliquement lourd, Malko se débattait furieusement, tandis qu’un marteau clouait le couvercle de son cercueil.

Il ouvrit les yeux. Pendant quelques secondes, il ne reconnut pas sa chambre triste de l’hôtel La Paz. Son rêve continuait et les coups aussi.

Mais ils étaient frappés à la porte de la chambre.

— Qu’est-ce que c’est ? cria-t-il.

— Control politico, cria une voix masculine.

Il rejeta les couvertures, à grand-peine. Faites probablement en duvet de crocodile, elles pesaient une tonne. Il passa son kimono et, encore abruti de sommeil, alla ouvrir.

Le battant fut violemment rabattu sur lui. Maigres, hargneux et moustachus, trois hommes se ruèrent dans la chambre, identiques avec leurs complets sombres étriqués, leurs cheveux gras et leurs chaussures pointues. Le plus grand colla un colt 38 dans l’estomac de Malko.

— Señor, faites-nous la faveur de lever les mains.

Où la courtoisie castillane allait-elle se nicher ! L’âpreté de la voix poussa Malko à obéir. Les deux autres moustachus s’étaient mis à fouiller la chambre, dans un grand remue-ménage de tiroirs ouverts. Soudain, l’un d’eux plongea la main dans la valise de Malko et poussa un hennissement de joie. Il brandit une épaisse liasse de billets verts. Stupéfait, Malko reconnut des billets de cent dollars U.S. ! L’affreux les puisait à pleines mains dans sa valise et les jetait sur le lit.

D’où sortait cette fortune ?

On ne lui laissa pas le temps de se poser des questions.

— Dieu et République, dit le policier, avec importance, je vous arrête, señor.

Il laissa à peine à Malko le temps de s’habiller. Un des malveillants enveloppa les liasses dans un vieux Presencia, tandis que les deux autres surveillaient Malko, abasourdi. Ils n’avaient même pas fouillé sa Samsonite où se trouvait son pistolet extra-plat. En dépit de ses protestations, ils le poussèrent hors de la chambre. Il voulut prendre le téléphone, mais un coup de crosse sur le poignet lui fit lâcher prise.

Au rez-de-chaussée, l’employé du desk détourna pudiquement les yeux tandis qu’on enfournait Malko dans une vieille Chevrolet noire et blanche de la police. La voiture tourna immédiatement à droite dans la calle Abaya Junin, montant vers la place Murillo. Étourdi, Malko s’aperçut qu’un des policiers avait aussi pris la Samsonite. Les empreintes digitales de Klaus Heinkel s’y trouvaient, avec le dossier de l’affaire.

* * *

Le patio intérieur de la Dirección de los Investigations Nationales était encombré d’indiens assis à même le sol, attendant patiemment. Au rez-de-chaussée, d’autres faisaient la queue devant le bureau des détectives. Les trois hargneux entraînèrent Malko vers un escalier extérieur qui desservait une galerie au premier étage, puis, de là, dans un bureau sommairement meublé. Au fond, un tableau noir détaillait la scène d’un meurtre.

Le grand attacha Malko avec des menottes au fauteuil, posa l’attaché-case et les billets sur la table et se retira.

Presque aussitôt, un homme massif, vêtu d’un complet clair entra dans le bureau. Malko le reconnut aussitôt : c’était le major Gomez, l’homme qu’il avait vu à l’enterrement de Klaus Heinkel et ensuite devant la ferme de Coroico.

Lorsqu’il s’assit sur une chaise en face de Malko, sa veste s’entrouvrit et Malko aperçut un revolver à long canon accroché à sa hanche. Son visage gras et luisant était inexpressif, mais ses petits yeux porcins luisaient d’intelligence. Les mains étaient impeccablement manucurées et il portait une énorme Rolex au poignet. Sans rien dire, il prit le passeport de Malko et l’examina, page par page. Ensuite, il défit une liasse de billets et en regarda un par transparence. Enfin, il saisit le pistolet extra-plat, ôta le chargeur et fit la moue.

— Pourquoi portez-vous une arme, Señor ?

Il parlait bien anglais, avec un fort accent.

Malko était ivre de rage.

— Pourquoi m’a-t-on amené ici ? protesta-t-il. Qui êtes-vous ?

Plein d’emphase, le Bolivien annonça :

— Je suis le major Hugo Gomez, directeur du control politico. J’ai le droit d’arrêter qui je veux. Je veux savoir pourquoi vous avez en votre possession des faux dollars ?

Ça, c’était le comble ! Malko faillit s’étrangler de fureur :

— J’aimerais le savoir aussi, fit-il. C’est la première fois que je les vois, vrais ou faux.

Le major Gomez secoua la tête :

— C’est un système de défense stupide, Señor. Nous vous surveillons depuis que vous êtes en Bolivie, nous savons pourquoi vous êtes ici.

— Et pourquoi donc ?

— Pour acheter un important stock de cocaïne. Vous représentez la Mafia. Vous avez eu des contacts avec des trafiquants notoires comme Josepha, par exemple. De plus, ces billets sont faux.

Malko se sentait devenir fou. La règle numéro Un de son métier était de ne jamais révéler son appartenance à la C.I.A., quelles que soient les circonstances. On ne savait jamais l’usage que les gens pouvaient faire d’une telle révélation. Il pouvait seulement se faire couvrir par un fonctionnaire en titre de la Company.

— Ce sont des sornettes, dit-il. Il existe à La Paz une personne qui pourra vous dire que je ne suis pas un trafiquant. Jack Cambell, directeur de l’U.S.I.S.

Le Bolivien jouait avec son passeport.

— Vous n’êtes pas Américain, remarquait-il, vous avez un passeport autrichien.

— Jack Cambell est un ami personnel, fit sèchement Malko. Je possède également la nationalité américaine.

Le major alluma un petit cigare sans se presser, puis commença à compter les liasses de dollars, avec ses gros doigts spatulés.

— Il y en a pour deux cent douze mille dollars, dit-il à la fin.

— Je vous dis…

Le Bolivien se pencha vers Malko, onctueusement protecteur. Il empestait la brillantine.

— Je vous demande un million de pardons, Seňor, mais j’ai des ordres supérieurs et impératifs pour faire cesser le trafic de cocaïne. Je ne veux pas vous causer d’ennuis. Mais, nous autres, éléments très responsables, avons le sens de l’hospitalité envers les étrangers. Les Américains sont nos amis. Vous allez simplement signer une déclaration avouant que vous êtes venu en Bolivie avec deux cent douze mille dollars pour acheter de la cocaïne. Vous serez expulsé et nous ne parlerons plus de cette malheureuse histoire. Évidemment, nous confisquerons les dollars.

— Jamais, fit Malko.

Le major Gomez enfonça un petit doigt velu dans son oreille gauche et le secoua violemment. L’air abattu.

— Je suis votre ami, Señor. Avec les lois actuelles, je peux vous garder en prison très longtemps. Même en camp de concentration. C’est désagréable, un camp de concentration. Dans la région de Camiri, il fait très chaud…