— Je sais, dit Malko.
La Division 6, c’était la section des Services de Renseignements israéliens chargés des criminels de guerre… Enfin, il allait être aidé.
— Quel dommage que vous ne soyez pas venu avec moi chez Don Federico. Je suis certain que Klaus Heinkel s’y trouvait.
Moshe Porat secoua la tête :
— Nous en sommes certains aussi, mais cela n’aurait pas changé grand-chose. Il n’est pas question d’user de la force. Sinon, cela serait fait depuis longtemps. Frédéric Sturm est trop lié avec les Boliviens. Nous avons eu de gros ennuis il y a deux ans, lorsque nous avons commencé à leur vendre des armes. Quatre personnes ont été assassinées à cause de cela.
— Mais alors pourquoi m’avez-vous demandé de venir ? demanda Malko très déçu.
C’est Samuel qui répondit en anglais :
— Parce que nous apprécions beaucoup la lutte que vous menez pour livrer Klaus Heinkel à ses juges. Nous allons essayer de vous aider.
— Savez-vous pourquoi Don Federico protège Klaus Heinkel aussi bien ?
Malko haussa les épaules.
— Ils sont nazis tous les deux, non ?
— Cela ne suffit pas. Heinkel est un tout petit nazi et Sturm était un homme important. Mais Heinkel a été en rapport avec Martin Borman. Il connaît beaucoup de choses sur lui. De plus il était très lié avec un certain « Father Muskie », un ecclésiastique américain qui demeure dans un couvent de l’avenue Camacho. Borman s’y est caché. Klaus Heinkel a confié à ce père de nombreux documents et de l’argent, au cas où il lui arriverait quelque chose. Sans eux, Klaus Heinkel n’aurait plus barre sur Federico Sturm. Il ne restera plus que la protection offerte par le major Gomez…
— Gomez aussi est nazi ?
Moshe Porat éclata de rire.
— Lui ? Il n’a qu’un but : l’argent. Depuis qu’il est en Bolivie, Klaus Heinkel a payé sans arrêt. Gomez continue à le protéger parce qu’il sait qu’il possède encore de l’argent. Il suffirait d’avoir contre Gomez une arme plus puissante que sa rapacité…
— Je m’y emploie, dit Malko. Mais, ces derniers jours, je n’ai pas beaucoup avancé.
— Vous avez eu de la chance, remarqua Moshe Porat D’habitude, la première chose qu’ils font, c’est de vous crever les tympans avec de longues aiguilles de bois.
— Charmant…
— Comment avez-vous l’intention de m’aider ?
— Il faut d’abord s’attaquer à Don Federico, dit Moshe Porat. Si on lui fait peur, il faiblira. Peut-être poussera-t-il Heinkel à commettre une imprudence.
— Vous avez une idée ?
— David et Samuel connaissent les Andes à merveille. Cela fait six ans qu’ils opèrent de l’Equador au Chili. Ils ont pensé à quelque chose de pas mal.
Le visage rond du major Gomez luisait de méchanceté. Il sortit son colt qui le gênait et le posa sur la table basse, entre lui et Jack Cambell.
— Il faut éliminer ce maudit gringo, répéta-t-il. Il va finir par nous causer de sérieux ennuis. J’aurais dû le liquider quand nous le tenions.
Jack Cambell gratta son nez en pied de marmite.
— Vous m’auriez causé de gros ennuis, Washington le couvre.
— Et ils ne tiennent pas à moi, ces fils de pute ? gronda Gomez. Avec les services que je leur rends ! 45 rebelles hors de combat en une semaine. Avec les empreintes et tout. Bientôt, il n’y aura plus d’E.L.N. en Bolivie.
Jack Cambell soupira.
— Hugo, my friend, vous savez bien que la plupart des types que vous tuez sont de pauvres paysans qu’on photographie à côté des armes russes que je vous donne. Que le dernier type sérieux que vous avez tué, c’était Guevara, il y a trois ans. Et encore, grâce à nous…
Le Bolivien murmura une phrase bafouillée. Jack Cambell ne pouvait pas lui expliquer qu’aux yeux de la C.I.A., il n’était que l’obscur bourreau d’une république-bananes. Qu’un agent comme Malko avait infiniment plus de valeur aux yeux de la Division des Plans. Parce qu’avec des dollars on fabriquait en série des majors Gomez. Il suffisait de prendre un officier un peu cruel, de lui donner le goût du pouvoir et carte blanche… Alors que les authentiques Altesses Sérénissimes ne couraient pas les couloirs de la C.I.A.
Et que la C.I.A. pouvait avoir envie de faire plaisir en même temps aux Boliviens et à d’autres pays du monde. Comme la France ou la Hollande.
— Laissez-moi le liquider, insista-t-il. Un accident…
— Non. Il n’est pas dangereux, puisqu’il ne peut parvenir à Klaus Heinkel.
Comme il se sentait en position d’infériorité, Gomez menaça :
— Je suis en train de vous rendre un grand service. Qui me pose beaucoup de problèmes.
Cambell se réchauffa instantanément :
— Vous êtes un gars formidable, Hugo. Je vous ai dit que vous étiez invité aux U.S.A. quand vous vouliez…
Le major Gomez sentit une imperceptible réticence. Cambell n’était pas un allié à toute épreuve. Il n’avait pas envie de perdre son pouvoir à cause d’un Klaus Heinkel.
— Je vais m’occuper de cette Lucrezia, dit-il. Sans elle, il ne pourrait rien faire.
Jack Cambell eut un bon sourire.
— Cela, mon cher, c’est une affaire intérieure bolivienne. Vous avez les mains libres !
Négligemment, il ajouta :
— À propos, qu’avez-vous fait des empreintes de Klaus Heinkel ?
— Je les ai détruites. Pourquoi ?
— Pour rien.
Cambell était sûr que le Bolivien mentait. Mais il fallait bien lui laisser une petite joie.
En trouvant Lucrezia prostrée dans le hall de l’hôtel La Paz, Malko eut le pressentiment d’une catastrophe. La jeune Bolivienne se leva d’un bond et vint vers lui. Ses yeux étaient rougis de larmes.
— Ils ont arrêté mon père, dit-elle.
Ainsi, le major Gomez ne désarmait pas ! Malko voulut la rassurer.
— C’est sûrement du bluff, dit-il. Je vais téléphoner à Jack Cambell pour qu’il intervienne. Où se trouve-t-il ?
— Je ne sais pas. Il est cardiaque. Si on le torture, il va mourir…
Malko était déjà au téléphone. Il n’eut pas de mal à joindre Jack Cambell. L’Américain lui coupa tout de suite la parole quand il parla du père de Lucrezia.
— C’est une affaire purement bolivienne, nasilla-t-il. Je n’ai aucun pouvoir d’intervention. Adressez-vous au major Gomez.
Il raccrocha avant que Malko puisse insister. Ce dernier revint vers Lucrezia.
— J’ai été criminel de vous entraîner dans cette histoire, dit-il. Je vais faire savoir officiellement au major Gomez que j’abandonne l’histoire Klaus Heinkel. À condition qu’il relâche votre père immédiatement. Allons à la Plaza Murillo.
Lucrezia le suivit comme une automate. Elle pleurait et reniflait tout en marchant. Jamais il ne l’avait vue dans cet état-là.
Les deux policiers en manches de chemise du control politico toisèrent ironiquement le vieux monsieur qui leur tenait tête. Ils n’avaient pas reçu d’instructions à son sujet. Aussi décidèrent-ils de lui appliquer le traitement standard. Le major Gomez avait horreur de la mollesse. Cette villa paisible du quartier Miraflores était assez isolée pour qu’on n’entende pas les cris.
La pièce ne comportait que deux meubles : un tabouret et une vieille baignoire aux pieds de fonte.
L’un des policiers ouvrit tout grands les robinets, tandis que l’autre s’inclinait grotesquement devant le vieil homme.