Выбрать главу

Il sortit de la pièce. Spontanément, Monica le suivit. Il avait gardé sur elle une partie de son ascendant. Quand ils furent dans sa petite chambre, l’Allemand se décomposa.

— Ce salaud veut se débarrasser de moi ! Je dois tenter quelque chose.

— Mais quoi ?

— J’ai une idée. Il faut que tu ailles à La Paz.

— Il va me suivre.

— Tu n’as pas besoin de lui dire que tu y vas. J’arrangerai les choses pour ton retour.

* * *

Don Federico leva la tête en écoutant le bruit de la Mercedes 280. Comme un fou, il se rua hors de la bibliothèque, juste pour voir la voiture s’engager dans l’allée, avec Monica au volant !

— Komme zurück[24].

Il avait hurlé en allemand.

La Mercedes était la plus rapide de toutes ses voitures. Il n’allait quand même pas se lancer à sa poursuite. Ivre de rage, il se précipita dans la chambre de Klaus Heinkel. L’Allemand était tranquillement en train de lire.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? aboya Don Federico. Où est-elle partie ?

— Elle devait avoir des courses à faire à La Paz, fit suavement Heinkel. Vous la connaissez aussi bien que moi, mon cher camarade…

Il se replongea dans son livre. Écumant de fureur, Don Federico sortit de la pièce en claquant la porte. Quelle idée avait-il eue de se charger de cette vermine ! Il est vrai qu’il n’avait pas eu le choix.

* * *

Samuel et David arboraient des mines réjouies. Leur expédition nocturne ne semblait pas les avoir éprouvés.

— Ces types-là sont beaucoup plus sensibles à l’intimidation qu’à la violence directe, expliqua Moshe à Malko. Nous en avons poussé quelques-uns au suicide…

— Qu’allez-vous faire maintenant ? demanda Malko. Les deux hommes rirent.

— On ne sait pas. Peut-être tuer ses cent mille poulets d’un coup. Les Boliviens n’interviendront pas. Ce salaud n’osera même pas se plaindre pour la vigogne. Les autres lui riraient au nez.

— Vous croyez qu’il va bouger ?

Moshe haussa les épaules.

— Sûrement. Tôt ou tard, il va avoir envie de se débarrasser de Heinkel. Ensuite, vous n’aurez plus qu’à le cueillir.

Ce n’était pas si simple. Car il n’avait plus les empreintes de Heinkel.

— Et vous ? demanda Malko. Vous ne pouvez pas intervenir directement ?

L’Israélien soupira.

— Nous ne pourrions même pas le gifler ! Ordre de la Division 6. On a eu trop de problèmes avec l’histoire Eichmann. Ce salaud de Heinkel ne vaut pas qu’on se brouille avec toute l’Amérique du Sud.

— Par contre, précisa David, rien ne vous interdit, à vous, de lui couper la gorge.

* * *

Au moment où Malko franchissait la porte de l’hôtel La Paz, une voix appela à voix basse :

— Una pregontita, Señor Linge ?

Un chulo au visage rond, sans cravate, barrait le trottoir.

Malko ne l’avait jamais vu. Il pensa tout de suite à Lucrezia. Normalement, il avait rendez-vous au café La Paz avec elle. Quel drame s’était-il encore passé ?

— Je suis le Señor Linge, dit-il. Que voulez-vous ? Le chulo tournait entre ses doigts un morceau de papier.

— Je dois vous conduire.

Il montrait une vieille Mercedes en ruine arrêtée devant l’hôtel. Malko se raidit. Cela sentait le piège à plein nez.

— Chez qui ?

L’autre baissa encore la voix :

— Une Señora. Doña Monica.

Malko sentit les battements de son cœur s’accélérer. Que signifiait ce rendez-vous nocturne ? L’action des Israéliens faisait-elle déjà son effet ?

— Comment m’avez-vous reconnu ?

Le chulo bredouilla une phrase où il était question de numéro de chambre et de description d’un caballero blond. Son espagnol était très approximatif.

Évidemment, Monica Izquierdo savait où le retrouver. Mais cela pouvait aussi être un mauvais coup du major.

Il regarda le taxi et eut une idée.

— Attendez-moi dans votre voiture, dit-il.

Malko traversa et courut jusqu’au café La Paz. Lucrezia attendait en fumant nerveusement, seule à une table, le visage défait. Depuis la mort de son père, elle ne dormait pas plus de trois heures par nuit. Elle n’avait pas eu un mot de reproche pour Malko.

Celui-ci lui expliqua ce qui se passait.

— Nous allons prendre une autre voiture et suivre le taxi, dit-il.

Ils sortirent du café. Lucrezia héla un autre taxi tandis que Malko demandait au chulo où se trouvait le rendez-vous.

— Au Kilomètre 4, fit le Bolivien. Malko monta dans son taxi et donna l’adresse à Lucrezia. Celle-ci fronça les sourcils.

— Au Kilomètre 4 ! Mais ce sont tous les bordels de La Paz ! Que fait Dona Izquierdo là-bas ?

Les deux voitures filaient dans les rues désertes. Après dix heures, il n’y avait plus personne dans les rues. Ils passèrent devant la statue de l’ancien Président Bosch, une mitraillette à la main, menaçant les Andes. La première qualité d’un bon Président bolivien était de savoir tirer… De préférence le premier.

Après la large avenue Bosch, les maisons s’éclaircirent. Le Kilomètre 4 se trouvait à la sortie nord de La Paz, sur la route des Yangas. La route sinuait entre des falaises sans lumière. Le coin idéal pour une embuscade. Devant eux le taxi roulait lentement.

Soudain, quelques bâtisses apparurent des deux côtés de la route, décorées de petites lumières rouges. Des taxis stationnaient au milieu de la route non asphaltée.

— Voilà le Kilomètre 4, annonça Lucrezia. Les bordels les plus sordides de La Paz. Chacun de ces bâtiments en est un. Le vendredi soir, le jour des machos, c’est bourré.

Pour l’instant, cela semblait assez calme. L’autre taxi stoppa devant un bâtiment blanc gracieusement orné d’une guirlande rouge. Un peu moins déglingué que les autres. Un « trois étoiles » du stupre.

— Attends-moi dans la voiture, dit Malko à Lucrezia. Si quoi que ce soit arrive, retourne à La Paz.

* * *

D’abord, il ne vit rien, tant la pénombre était épaisse. Quelques bougies brûlaient dans des verres rouges. Puis il distingua un bar, un juke-box et des filles assises sur des bancs, le visage tourné vers lui. Deux d’entre elles dansaient ensemble. Une odeur écœurante faite de parfums bon marché, de crasse, de transpiration, flottait dans l’atmosphère. Le barman lança un vociférant :

— Good night, sir.

Malko comprit immédiatement la nécessité de cet éclairage super-tamisé… les visages grossiers de paysannes abêties, les corps boudinés par les jupes de satinette et les regards bovins et résignés n’incitaient pas à la dépravation. Il inspecta la salle sans voir Monica.

Au moment où il allait ressortir, on l’appela par son nom.

Il scruta la pénombre rougeâtre. La voix venait d’un petit box fermé par un rideau, juste en face de la porte. Il s’avança et écarta le tissu.

Monica Izquierdo lui faisait face, assise sur la banquette semi-circulaire. La table de bois était vissée au sol. Étrangement, celui-ci était recouvert de coussins. Le luxe n’était pourtant pas la qualité dominante de l’établissement. Ces box étaient destinés aux clients pressés. Il suffisait de tirer le rideau et de presser sur un bouton, allumant une petite lampe signalant que l’endroit était occupé… Malko pénétra dans le box et s’assit près de la jeune femme.

вернуться

24

Reviens !