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Les yeux de Lucrezia flamboyaient d’humiliation et de fureur. Malko sentit qu’il serait déplacé et dangereux d’invoquer l’altitude pour profiter d’un repos bien gagné.

Chapitre XV

Father Muskie acheva sa méditation et se releva de son prie-Dieu rembourré de velours mauve. Quoi qu’en disent ses ennemis, il avait encore beaucoup de religion. Certes, ses fréquentations laissaient à désirer. Mais, obéissant aux lois de la charité chrétienne, il s’était attaché à considérer tous ceux qu’il avait accueillis dans le monastère de l’avenue Camacho comme des gens de bien fuyant une persécution injuste.

Il ne lui appartenait pas à lui, Father Muskie, chef de congrégation et aumônier-colonel de l’armée bolivienne, de déterminer si Martin Borman était un criminel ou non. Le fait que Borman ait un fils dans les ordres plaidait d’ailleurs plutôt en sa faveur. De toute façon, il s’était illustré dans la lutte contre l’Antéchrist Staline, et, à ce titre, méritait tous les égards. Tout comme ce malheureux Ante Pavelitch qui avait dû se cacher pour mourir dans un couvent espagnol.

Borman, qu’il connaissait sous le nom de Padre Augustin, avait toujours manifesté une foi très vive. C’est sous son impulsion et avec ses capitaux que l’ordre auquel appartenait Father Muskie avait pu bâtir de nombreux cloîtres au Pérou, en Bolivie et en Équateur. Aux yeux de Father Muskie, c’était beaucoup plus important que d’hypothétiques crimes de guerre.

Martin Borman était d’ailleurs arrivé à La Paz après avoir séjourné dans différents établissements religieux où sa piété avait été justement appréciée.

Depuis quelque temps, « Padre Augustin » avait été construire des églises au Paraguay encore sous-équipé dans ce domaine…

Après avoir épousseté sa soutane blanche, Father Muskie consulta sa montre et lissa sa barbe. Encore dix minutes avant son rendez-vous. Il se réjouissait de rencontrer la ravissante veuve de Don Izquierdo. Il l’avait confessée quelquefois et ses aveux lui avaient donné du vague à l’âme.

Pour chasser ces pensées impies, il alla jusqu’au coffre imposant scellé dans le mur du fond. Seul le supérieur du couvent et lui-même en avaient la clef. Grâce à la piété des Boliviens, il n’y avait à craindre aucune incursion officielle.

Father Muskie tira à lui la lourde porte d’acier. Sur les étagères, il y avait des dizaines de petits paquets. Presque tous recelaient de redoutables secrets. Certains, parmi les dépositaires, étaient morts, d’autres ne reviendraient jamais les chercher. D’autres encore avaient disparu sans laisser de trace. Mais beaucoup, comme Klaus Heinkel, venaient de temps en temps ou envoyaient un messager sûr.

Le religieux sortit une grosse enveloppe, mit ses lunettes pour vérifier le nom, puis posa l’enveloppe sur la table. Son bureau, qui s’ouvrait sur le jardin intérieur, était sommairement meublé et sentait bon la cire.

Father Muskie se recueillit pour prier un peu. Il revenait d’une tournée dans la région de Santa-Cruz où les guérillas communistes se déchaînaient. Il avait distribué plus d’extrêmes-onctions que de baptêmes. Américain, Father Muskie avait depuis longtemps adopté la Bolivie comme seconde patrie.

On frappa un coup léger à la porte et Father Muskie cria d’entrer. C’était un jeune moinillon bolivien.

— La personne que vous attendez est là, annonça le moinillon.

— Qu’elle entre, dit Muskie de sa belle voix de basse.

L’autre ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose, mais l’Américain le renvoya d’un geste sec. Ces jeunes moinillons étaient d’un empoté !

Il lissa sa barbe d’un geste machinal.

* * *

Lucrezia sortit de la voiture juste au moment où Monica Izquierdo sonnait à la porte du couvent. Ce dernier était coincé entre un immeuble moderne et un chantier de construction qui faisait un vacarme effroyable.

Personne ne prêta attention à Lucrezia quand elle surgit derrière Monica. D’un geste très naturel, elle sortit de son sac un petit pistolet automatique noir et l’appliqua derrière l’oreille de la veuve de Don Izquierdo.

— Si tu cries, souffla-t-elle dans le plus pur castillan, si tu fais un geste, je fais sauter ta petite cervelle de pute.

Dona Izquierdo était trop stupéfaite pour réagir. Lucrezia lui était complètement inconnue. Le pistolet quitta sa nuque pour s’appuyer sur son flanc. Lucrezia avait passé son bras sous le sien et l’avertit :

— Quand on va ouvrir, si on te dit quelque chose, tu expliques que je suis avec toi. Compris ?

La bouche sèche, Monica acquiesça. Avec un regard de triomphe, Lucrezia se retourna vers Malko qui attendait dans la voiture.

La porte s’entrouvrit sur un moinillon au crâne rasé et aux sourcils broussailleux qui jeta un regard avide et sournois aux deux femmes. Le pistolet s’appliqua un peu plus contre la hanche de la jeune veuve.

— Padre Muskie, demanda-t-elle d’une voix étranglée. Il m’attend.

Le moinillon, sans répondre, sourit et referma la porte. Dona Izquierdo en profita pour demander :

— Mais que voulez-vous ?

— Tu vas bien voir, dit Lucrezia.

Dona Izquierdo ne répondit pas. Le pistolet la paralysait. Elle n’avait pas envie de mourir, c’est tout ce qu’elle arrivait à penser. Elle jeta un coup d’œil au policier qui, à trente mètres, au coin de l’avenue Camacho et de la rue Loyaza, réglait la circulation. Mais il ne s’occupait absolument pas d’elles.

À ce moment, Malko sortit de la voiture et s’avança vers les deux femmes. En le voyant, Monica poussa un petit cri.

— Vous !

La porte se rouvrit sur le moinillon obséquieux qui leur dit d’entrer. Il aperçut Malko trop tard pour lui poser des questions et se dit que cela ne le regardait pas, de toute façon.

Les couloirs du cloître étaient frais et calmes. Lucrezia avançait, tenant toujours étroitement contre elle son otage. Le moinillon s’effaça pour les faire pénétrer dans une grande pièce qui donnait sur le jardin extérieur du monastère.

— Le père Muskie va vous recevoir, murmura-t-il onctueusement.

Il s’effaça, glissant sans bruit sur le dallage. Lucrezia poussa en avant Dona Izquierdo.

* * *

Father Muskie ne vit d’abord que les deux femmes. En son for intérieur, il pensa que Doña Izquierdo avait eu la délicatesse d’amener une amie, afin de ne pas le troubler. Puis il aperçut Malko. Trois personnes, alors qu’il n’en attendait qu’une, c’était inquiétant.

Dans un domaine où, justement, il ne fallait pas prendre de risques.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-il.

Malko répondit en allemand.

— Des amis de Klaus Heinkel.

Father Muskie sursauta : pour lui Klaus Heinkel n’existait pas, il n’y avait que Klaus Muller. C’était un homme de décision.

D’un seul bond, il fonça au coffre resté ouvert, scellé dans le mur, et claqua la lourde porte. D’un coup de doigt, il brouilla la combinaison. Le principal était fait. Il faudrait des heures à un spécialiste pour ouvrir ce coffre.

Puis il se retourna, saisit l’enveloppe qu’il se préparait à remettre à Doña Izquierdo et la serra contre son cœur.

— Que voulez-vous ? gronda-t-il, et qui êtes-vous ?

Doña Izquierdo éclata en sanglots nerveux. Lucrezia s’écarta d’elle et braqua sur Father Muskie le pistolet avec lequel elle avait menacé la jeune Bolivienne. À son tour, Malko exhiba un impressionnant colt 45 automatique, prêté par Lucrezia. Il regrettait amèrement son pistolet extra-plat, tout aussi efficace, beaucoup plus silencieux et qui ne lui donnait pas l’air d’un mafioso.

Father Muskie eut un sourire méprisant.