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— Je vois, fit-il, vous êtes des bandits. Eh bien, vous allez être obligé de me tuer pour prendre cet argent.

Malko s’avança :

— Nous ne sommes pas des bandits, et nous ne voulons pas cet argent. Ce sont les papiers qui nous intéressent. Vous savez que l’homme à qui ils appartiennent est un criminel de guerre.

Father Muskie secoua la tête.

— Je sais seulement que vous braquez des armes sur moi et que vous êtes des bandits. Peut-être prouvez-moi le contraire, sortez de cette pièce et je consentirai à oublier cette honteuse tentative d’intimidation. Malko retint une furieuse envie de secouer la longue barbe blanche.

— Ce couvent est connu pour avoir abrité dans les dernières années de nombreux criminels de guerre, parmi les pires, dit-il. Vous devriez avoir un peu de pudeur. Donnez-nous ces papiers et ne nous forcez pas à employer la force.

— La force !

La barbe de Father Muskie sembla gonfler, comme les poils des chats en colère. Il rafla sur le bureau un grand coupe-papier et le brandit en direction de Malko.

— Venez employer la force, rugit-il.

Dona Monica se réveilla soudainement.

— Ne les lui donnez pas ! hurla-t-elle, c’est un agent des Juifs, ils ont attaqué Don Federico.

— Ne craignez rien, fit Father Muskie. Dieu est avec nous.

Brusquement, il hurla de toute la force de ses poumons.

— Au secours ! au secours !

Satisfait, il contempla Malko et Lucrezia :

— La police sera bientôt là et vous arrêtera, dit-il d’un ton sentencieux. Vous verrez, les prisons boliviennes ne sont pas drôles.

Malko s’avança et essaya de prendre l’enveloppe. Le coupe-papier frôla son visage.

— Arrière, mécréant, communiste ! hurla Father Muskie.

Une fois déjà, des gauchistes avaient déposé une bombe dans sa voiture, et il avait voué une haine farouche à tout ce qui ressemblait à du gauchisme.

Malko hésita. Ils n’avaient pas beaucoup de temps, les cris du Père allaient finir par attirer l’attention et ils devraient fuir. Il n’avait rien de bon à attendre des hommes du major Gomez.

Il braqua son colt sur le religieux.

— Je vais être obligé de vous abattre, dit-il.

Lucrezia fit brusquement un pas en avant. Le bras tendu, elle visa la soutane. Le 32 partit avec un bruit sec et Father Muskie poussa un hurlement.

Une tache de sang apparut sur la soutane blanche à la hauteur du genou. Father Muskie tomba lourdement en avant, sans lâcher son enveloppe. La douleur le disputait à la stupéfaction sur ses traits. Puis il poussa un cri rauque et se prit le genou de la main gauche.

Lucrezia s’approcha du religieux, hors d’atteinte du terrible coupe-papier, le pistolet braqué sur la jambe valide du père.

— Canaille, fit-elle, tu protèges des êtres damnés. Je devrais te tirer une balle dans la tête. Je vais me contenter de te briser les genoux et les coudes. Tant que tu ne donneras pas cette enveloppe. Tu la donnes ?

Father Muskie secoua la tête. La bouche ouverte, il avait du mal à respirer. Au même moment, des coups violents furent frappés à la porte.

— Que se passe-t-il, Father Muskie ? cria une voix en espagnol. Vous avez besoin d’aide ?

Lucrezia, à bout portant, tira encore une balle dans le genou gauche. Cette fois, Father Muskie partit en arrière sur le dos, sous le choc de la douleur, lâchant l’enveloppe. Malko se précipita et la ramassa. Le religieux se tordait par terre comme une chenille coupée en deux.

Malko ouvrit l’enveloppe. Il en tomba de grosses liasses de billets de cent et de mille dollars. Dona Izquierdo n’avait pas menti… Il laissa les billets sur le bureau et sortit le reste de l’enveloppe. Il y avait quelques photos qu’il ne prit pas le temps de regarder et différents papiers dactylographiés, ainsi que des lettres manuscrites…

Il remit le tout dans l’enveloppe, laissant les dollars, et dit au religieux.

— Vous pouvez constater que je vous laisse l’argent. Vous faites un bien vilain métier.

Tordu en deux par la douleur, Father Muskie ne répondit pas. Prostrée sur une chaise, Dona Izquierdo assistait à la scène sans réaction, les yeux rouges. Malko pensa à la scène dans le petit bordel du Kilomètre 4 et eut honte de lui. Il poussa Lucrezia vers la porte. Un rictus de haine déformait les traits de la jeune Bolivienne.

— Nous devrions achever cette vermine, dit-elle.

Malko ouvrit la porte. Devant le colt, le moinillon, collé au battant, fit un saut en arrière.

Lucrezia partit en courant vers la porte. Malko agita le canon du colt sous le nez du moinillon.

— Si vous dites un mot avant que nous soyons dans la rue, je vous fais sauter la tête.

Le moinillon retrouva du même coup sa charité chrétienne et le goût du silence. Passant un œil par la porte, il aperçut Father Muskie en train de ramper dans une mare de sang et poussa un couinement d’effroi.

Malko et Lucrezia étaient déjà à la porte. Le soleil et les bruits de la rue leur firent du bien. Ils avaient l’impression de revenir d’un autre monde. Malko prit le volant et dévala l’avenue Camacho. Le plus urgent était de mettre les documents en lieu sûr.

Avant de les échanger à Don Federico Sturm contre la vie de Klaus Heinkel, à qui on avait retiré les crocs.

* * *

Moshe Porat prit une loupe et examina soigneusement une des photos. Les deux autres Israéliens avaient déjà photocopié tous les documents apportés par Malko.

— Cet homme en soutane blanche est Martin Borman, dit lentement Porat. Plus connu sous le nom de Padre Augustin. Cette photo est prise près du monastère de Burranabaque, dans les Yungas. Les ouvriers que vous voyez derrière lui et à qui Padre Augustin présente ce trophée sont ceux qui ont modernisé le monastère. En y adjoignant, entre autres, un système radio à ondes courtes ultramoderne. Tout ceci a été envoyé d’Allemagne par les amis de Borman.

Malko était stupéfait.

— Vous saviez que Borman était en Bolivie ?

Moshe sourit tristement.

— Nous avons tout su de Borman. Avec un peu de retard, malheureusement. Et il est si bien protégé qu’on ne peut rien tenter. Maintenant, il est reparti au Paraguay, dans une région absolument déserte, sauf quelques colonies allemandes.

Une autre photo représentait l’assistance d’un baptême. Rien que des étrangers. Moshe Porat montra une silhouette au second plan, enveloppée dans une grande soutane.

— Voilà encore Padre Augustin… Martin Borman si vous préférez… C’est le baptême d’un de ses amis allemands qui vit au Brésil. La cérémonie se passe également au couvent de Burranabaque.

Malko était déçu.

— Mais alors, tout ceci ne vous sert à rien, ne vous apprend rien ?

— Pas grand-chose, reconnut l’Israélien. Il y a longtemps que notre Division 6 a renoncé à s’emparer de Borman. Les gouvernements bolivien et paraguayen le protègent. Certes, leurs services secrets sont généralement au courant de ses déplacements, mais ils ne nous avertissent pas.

— Évidemment, publier ces documents embarrasserait certains officiels, mais cela n’irait pas plus loin. Pour le reste, c’est la liste des contacts qui relient Martin Borman à l’extérieur. Quatre hommes dont nous connaissions déjà les noms. Les notes sur leurs activités ne nous apprennent pas grand-chose non plus. Bien sûr, cela pourrait servir, si le gouvernement acceptait de se débarrasser des criminels de guerre, mais ce n’est pas demain la veille…

— Même les partis de gauche les protègent.

— Mais pourquoi ? demanda Malko de plus en plus stupéfait.

Moshe frotta son pouce et son index l’un contre l’autre.