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— Ce n’est pas très important, fit-il, puisque je suis mort officiellement. Grâce à vous, Excellence.

Le titre ne dérida pas Gomez.

— Il y a maintenant des gens qui savent que vous n’êtes pas mort, dit-il. Le scandale peut éclater d’un moment à l’autre. Si les Français ou les Israéliens demandent l’exhumation, on ne pourra pas la leur refuser.

Klaus Heinkel ne répondit pas. Comme si les Boliviens ne faisaient pas ce qu’ils voulaient chez eux ! Le général Laurelesto était mort avec dix-sept balles dans le corps ! Le médecin légiste avait bien conclu à une mort accidentelle, en se parjurant deux fois par ligne…

— Qu’est-ce que vous allez faire ?

Le Bolivien soupira.

— Klaus, je suis votre ami à la vie, à la mort. Mais les ordres du général, ministre de l’Intérieur, Sancho Colon, sont formels : je dois vous arrêter et vous remettre à ceux qui vous réclament. Faire autrement marquerait d’une tache ineffaçable l’honneur de la Bolivie et risquerait de ternir l’impérissable gloire de Simon Bolivar, El Libertador.

Croulant sous cette phraséologie pompeuse, Klaus Heinkel protesta :

— Mais vous avez déclaré que j’étais mort !

— Je reconnaîtrai que j’ai été abusé, fit douloureusement Gomez.

— Mais Don Federico va être inquiété… pour…

— Don Federico ne sera pas inquiété.

C’était net et définitif. Klaus Heinkel sentait son cerveau paralysé par la panique. Cette fois c’était le bout du voyage. En un éclair, il revit les gens qu’il avait torturés et abattus jadis. Comme leur expression de bête traquée le dégoûtait alors ! Maintenant, il était comme eux.

— Ce n’est pas possible, dit-il. Ils vont me mettre en prison pour vingt ans. Ou me tuer. Major, vous avez toujours été mon ami, il faut m’aider.

Gomez soupira encore plus fort.

— Je voudrais bien, mais je ne suis pas tout-puissant. Le ministre…

— Le ministre a sûrement un cœur…

— Il a un drame dans sa vie, fit Gomez après quelques secondes de silence. Une fille anormale. Il part après-demain aux États-Unis la chercher. Faute d’argent pour continuer les soins là-bas…

Klaus Heinkel retrouva d’un coup son sang-froid. On était arrivé au plus important.

— Je pourrais peut-être aider Son Excellence Colon. Mais cinq mille dollars, pas plus.

Le major prit une expression sévère.

— Je n’oserais même pas transmettre une telle offre à Son Excellence. Elle serait humiliée.

Klaus Heinkel en fut tout désarçonné. Après tout, son passeport bolivien ne lui avait coûté que six cents dollars. Bien sûr, depuis, il y avait eu l’inflation. Mais quand même…

— Je ne suis pas un homme riche, se plaignit-il. Vous le savez bien, major.

— Le ministre m’a confié qu’il avait besoin de cinquante mille dollars, fit Gomez sur le ton de la confidence. Il doit soigner sa fille encore des années.

Le sang reflua d’un coup au cerveau de l’Allemand. Don Federico avait parlé. Et Gomez voulait tout. Ce n’était pas la peine de discuter ; l’autre avait tous les atouts.

Nerveusement, il passa sa main sur le front, essayant au moins de sauver la face.

— Je vais essayer de faire un effort, murmura-t-il. De vendre tout ce que je possède pour réunir cette somme.

Le major Gomez approuva gravement et se leva.

— Je pense que le général sera sensible à votre générosité. Nous avons beaucoup d’amitié pour vous. S’il consent à prendre la responsabilité de continuer à prétendre que vous êtes mort, je serais heureux de vous le dire. Demain, à quatre heures à mon bureau !

Cette fois, il lui serra la main. Heinkel pensa amèrement que cette poignée de mains valait cinquante mille dollars.

— Bien entendu, souligna le major, vous n’êtes pas autorisé à quitter La Paz. Vous êtes sous la protection de la justice bolivienne.

Et des cinquante mille dollars réunis.

Malgré tout, Klaus Heinkel respira mieux en se retrouvant Plaza Murillo. Bien sûr, il perdait les cinquante mille dollars. Mais cela lui donnerait la sécurité pour un bon moment.

Chapitre XVII

— Elle a retrouvé Raul, chuchota Lucrezia.

Malko dévisagea la grosse Josepha, luisante et noiraude. Elle ne semblait pas satisfaite du résultat de ses recherches. Maintenant, le major Gomez était le dernier obstacle entre Malko et Klaus Heinkel. Curieusement, l’ecclésiastique ne s’était pas livré à la police, les journaux déclaraient qu’il avait été attaqué par des inconnus qui avaient tenté de le dévaliser.

Presencia et Ultima Hora avaient flétri cet acte odieux rappelant l’attentat dont il avait été victime quelques mois plus tôt. L’exercice de son ministère était décidément bien périlleux.

Malko avait l’intention de rendre lui-même visite à Don Federico Sturm afin de lui rendre les papiers de Klaus Heinkel et priver ce dernier de son support. Mais il désirait auparavant lever l’hypothèque Gomez.

— Où est Raul ? demanda Malko.

Josepha ressemblait de plus en plus à une grosse araignée.

— Là où il est, vous ne pouvez pas grand-chose, fit-elle.

Malko eut un coup au cœur.

— Il est mort ?

Josepha secoua la tête.

— Non, à la prison San Pedro, section Linos. Le major l’a fait arrêter pour un vieux meurtre. Il veut s’en débarrasser. Ce sera plus facile à la prison…

Malko réfléchissait à toute vitesse. C’était à la fois désespérant et miraculeux. Car s’il parvenait à arracher Raul aux griffes de Gomez, il parlerait.

Mais comment aller chercher un homme au fond d’une prison bolivienne ?

Il remercia Josepha et entraîna Lucrezia hors de la boutique.

— Cela paraît impossible d’aller le chercher dans cette prison, soupira-t-il.

— Mais pas du tout ! explosa Lucrezia. On va y aller !

— En prison ?

La Bolivienne sourit.

— San Pedro, ce n’est pas une prison comme les autres… J’ai déjà été y voir des amis. Avec de l’argent on a tout ce qu’on veut. Les prisonniers ont la clef de leurs cellules, ils la meublent à leur goût, il n’y a pas d’horaire, et ils ont droit aux visites de leur femme le jeudi et le dimanche. Et s’ils sont bien avec le directeur, ils peuvent même recevoir leur femme et leur maîtresse, à des jours différents…

— Il faut seulement beaucoup de pesos.

* * *

Le lieutenant de garde à la prison de San Pedro était engoncé dans une capote verdâtre où manquaient la moitié des boutons. Les mains dans les poches, il écoutait Lucrezia lui raconter comment le brillant journaliste étranger qu’elle accompagnait avait entendu parler de San Pedro, la prison modèle, et désirait la visiter. Sans perdre de temps par les voies officielles, bien entendu…

— Le Seigneur est américain ? demanda-t-il.

— Non, français, fit Lucrezia.

Pendant quelques minutes, on évoqua Paris, la Ville Lumière, ses jolies femmes et le Sacré-Cœur. Puis Lucrezia réattaqua. Le Bolivien eut un geste d’impuissance.

— Impossible, je ne peux pas laisser pénétrer un étranger à San Pedro. D’ailleurs, je m’en vais tout de suite et celui qui me remplace est encore plus sévère. Je dois aller à Santa-Cruz car c’est demain l’anniversaire de la mort de ma mère.

— Que le paradis lui soit hospitalier, interrompit pieusement Lucrezia qui le voyait venir.

— Hélas, fit le lieutenant, il me manque quatre-vingts dollars pour ce voyage que je ne peux éviter. Ma mère est morte, la santé ruinée par les privations…