— Parce que vous n’avez pas le choix. Si vous refusez, vous êtes mort demain, dit Malko.
Raul réfléchissait, le front plissé. Il était sûr que cet étranger disait la vérité, que Gomez voulait se débarrasser de lui, qu’il lui avait rendu trop de services. Au mieux, il risquait de croupir dix ans dans une vraie prison où il n’aurait ni son lit, ni des femmes.
Il n’avait pas d’argent pour s’évader. À peine quelques centaines de pesos.
— Il faut mille dollars pour que je m’évade, dit-il.
L’évasion ne coûterait pas plus deux cents dollars. Ensuite, il filerait au Pérou. À Lima, il y avait à faire pour un homme comme lui.
Malko n’hésita pas.
— D’accord pour les mille dollars, mais je veux une confession écrite avec les détails.
Raul jeta son poignard sur le lit et tendit la main.
— O.K.
Avec dégoût, Malko la serra. Quel métier ! Lui, un prince de sang, une Altesse Sérénissime, serrer la main d’un tueur de bas étage… Ses ancêtres devaient se retourner dans leur tombe.
Heureusement que son métier était purifié par la présence continuelle de la mort.
— Il faut commencer à écrire tout de suite, expliqua Malko. Je veux surtout savoir comment le major Gomez vous a demandé de tuer Izquierdo.
Raul eut un sourire cynique.
— Il m’a juste dit de le tuer, c’est tout, que personne ne me causerait d’ennuis. Il m’a donné mille pesos. Mais je n’écrirai rien tant que je serai ici. C’est trop dangereux.
Lucrezia intervint :
— Quand vas-tu t’évader ?
— Ce soir. Vers dix heures ou onze heures.
— Parfait, dit Malko. Nous l’attendrons devant la prison. Pour le conduire en lieu sûr.
Le chulo écoutait, les sourcils froncés.
— Moi, je veux aller au Pérou, dit-il.
— Plus tard, dit Malko. Ou alors, il n’y a rien de fait. Il prit la seconde moitié du billet-message et deux autres billets entiers, et les tendit à Raul. Ensuite, il déchira sept billets de cent en deux d’un geste sec. Il donna les moitiés gauches à Raul.
— Nous vous attendrons Piazza Sucre à partir de dix heures. Vous aurez les autres moitiés à condition que vous veniez avec nous.
Raul enfouit les billets dans son blouson bleu. Une lueur dangereuse flottait dans ses petits yeux noirs. Il n’avait jamais vu autant d’argent.
— À ce soir, fit-il. Hasta luego.
Lucrezia sortit la première de la cellule.
— Il va essayer de nous doubler, dit Malko. Dès qu’il aura les autres moitiés de billets. Il va falloir faire très attention.
Le lieutenant les attendait près de la grille d’entrée, bavardant avec un détenu.
— Contents de votre visite, Seigneur ? demanda-t-il.
— Ravi, assura Malko, vous avez la plus jolie prison du monde.
— On fait ce qu’on peut, dit modestement le Bolivien.
La « fouilleuse », elle-même, les gratifia d’un grand sourire. Une fois de plus, il commençait à pleuvoir. Malko pria pour que le major Gomez ne le prenne pas de vitesse…
Raul arriva au coin du vieux mur, essoufflé. Il n’avait même pas eu à payer le gardien-chef, comme prévu. La sentinelle de garde lui avait imprudemment tourné le dos et il lui avait planté son couteau si fort dans le dos qu’il avait tordu la lame. Au point où il en était…
Ensuite, des chulos lui avaient fait la courte échelle pour s’enfuir par les vieux ateliers. Cela lui avait coûté en tout cent pesos. Le tueur inspecta la petite place calme. Comme il avait traîné le cadavre dans sa cellule, on ne s’apercevrait pas immédiatement de son évasion. Mais il ne se sentait pas tranquille. Hugo Gomez avait des indicateurs partout. Il aperçut une voiture stationnée devant un tas de gravats près de la prison. Il s’approcha.
Une seule personne était à l’intérieur. Grâce à la lueur d’un réverbère il reconnut la fille brune.
Raul fit le tour de la voiture et ouvrit la portière brutalement. Puis il se jeta sur le siège avant ; Lucrezia sursauta, étouffant un petit cri. Tendu et mauvais, Raul demanda :
— Où sont les dollars ?
Lucrezia mit la main dans son sac et lui tendit les demi-billets. Elle avait repris son sang-froid. Avidement, Raul compta les billets. Il n’avait pas fait de plan, mais devait agir vite.
— Où est le gringo ? demanda-t-il.
— Il nous attend dans la maison où nous allons.
Dans la pénombre, Raul aperçut les jambes découvertes de la jeune Bolivienne. L’ombre en haut des cuisses lui donna des sueurs froides. Elle était aussi excitante que Carmen.
Lucrezia mit le moteur en route.
— Attends, grommela Raul, je veux être sûr qu’il y a le compte.
Il plongea la main droite dans sa poche, comme pour prendre les billets. Le reste se passa très vite. Le « clic » du couteau à cran d’arrêt qui s’ouvrait donna la nausée à Lucrezia. Heureusement, Raul avait à pivoter pour la frapper. Sans un mot, il la prit à la gorge de la main gauche.
Au moment où il se penchait pour lui plonger le couteau dans le flanc, le canon d’un pistolet se posa derrière son oreille.
— Lâchez ce couteau, ordonna Malko.
Il ne dit rien de plus. Mais Raul sentit à l’intonation de sa voix qu’il allait le tuer. Vivement il revint à sa position initiale et il laissa tomber le couteau sur le plancher de la voiture.
Malko qui était resté accroupi sur le plancher se redressa complètement et dit d’une voix glaciale :
— Vous êtes vraiment une bête venimeuse…
Raul ne répondit pas, furieux d’avoir raté son coup. Il guettait une autre occasion. Malko appuya encore un peu plus le canon du pistolet contre sa nuque.
— Si vous essayez de vous enfuir, je vous tue. Si vous refusez de signer, je vous tue aussi, et si vous tentez quoi que ce soit contre nous, je vous tue également. Maintenant, voulez-vous venir avec nous, faire votre confession ?
— Où nous allons ?
— Là où vous serez à l’abri du major Gomez.
— Ça va, grommela le tueur. Mais, vous savez, je voulais pas la tuer, juste lui faire peur.
Lucrezia lui jeta un regard de mépris.
Elle mit en route et partit vers le bas de la ville. Les mains sur les genoux, Raul ne bougeait plus.
Malko allait aborder le virage de l’avenue Libertador où se trouvait l’école de police militaire quand il aperçut la Jeep garée en travers de la route. Il n’eut que le temps de freiner pour éviter la collision.
Des hommes en uniforme avec des fusils et des mitraillettes surgirent de l’obscurité. Il n’eut pas le temps de poser de question ; quelqu’un ouvrit violemment sa portière et une lampe électrique fut braquée sur son visage.
— Sortez, ordonna une voix en anglais.
Comme il ne bougeait pas, on le prit par l’épaule de sa veste et on le tira brutalement dehors. Il tomba sur le macadam au milieu d’un cercle de soldats. Aussitôt, des mains brutales le relevèrent, le ceinturèrent, lui ôtant toute possibilité de lutte.
Comme sa voiture était restée au milieu de la route, un militaire se mit au volant et la gara.
— Au secours ! cria Malko. Au secours !
Il espérait ameuter les occupants des véhicules qui le suivaient. Mais personne ne bougea. Un rideau de soldats armés s’était interposé entre eux et lui. Dieu merci, il n’avait pas pris la confession de Raul, dûment signée à chaque page. Lucrezia l’avait gardée sur elle, dormant dans la villa tranquille habitée par David et Samuel, les agents israéliens.