Walter Callahan croise dans l’ascenseur Marie Fresnel. Cette rencontre le chavire, et Marie sent l’étrange trouble qu’elle crée en lui, mais peut-elle se douter qu’elle ressemble terriblement à Loli, la mère des enfants Callahan, disparue il y a si longtemps?
Jonas a noté l’inclination de son père pour la voisine, il décide d’enquêter sur Marie. Et surtout, sur Serge, feu son époux, qui n’est peut-être pas mort comme on l’a dit…
Fred, l’inventeur, a décidé de ne plus sortir de son atelier, il est plus en plus irritable et personne n’a le droit de pénetrer dans son domaine. Fred est sur le point d’inventer quelque chose qui peut donner un grand espoir à l’humanité. Mais aussi la précipiter dans la tourmente.
Louis vient de nous fournir une base de travail qui pourrait être le Pilote à lui seul. J’aime ce ton qui oscille entre mystère et désespoir, avec juste la petite pointe d’ironie qui emporte le tout. Curieux, ce contraste entre l’individu et ce qu’il écrit. Le gars est jovial, positif. Son style est retenu et presque secret. Quand je lui dis que question noirceur, il n’a rien à m’envier, il répond que ses drames et les miens sont de nature très différente. Lui croit à la fatalité, et moi pas.
Je me suis promis d’y réfléchir.
Il est 21 heures et nous venons à peine de finir la synthèse de nos quatre textes. Il fait nuit, nous sommes sans doute les derniers dans l’immeuble. Louis nous distribue des doubles de clés, au cas où l’un de nous aurait envie de travailler seul, ou besoin de trouver un toit, une tasse de café, ou un collègue dans le même cas.
Au bout de quelques nuits le sommeil m’est revenu. Il m’arrive même de débrancher la machine mentale pour refaire des petites choses quotidiennes: me nourrir, changer de chemise ou inviter Charlotte à dîner. Comme avant.
– Je te préférais insomniaque.
Pourtant il faudrait que je note tout de suite cette idée de médium qui sait évaluer la théorie du 1 %. Je l’ai eue sur le chemin et je vois très bien ce que je pourrai en faire d’ici cinq ou six épisodes.
– Tu m’entends? Je préférais quand tu étais insomniaque!
– Tu as un stylo, amour?
Hier nous avons livré les épisodes 1, 2 et 3, les premières réactions doivent arriver demain. Le n°4 est bien avancé, j’ai des suggestions à faire sur un neuvième personnage qu’il nous reste à créer. Je vois plutôt un homme d’âge mûr, reporter au long cours qui fait escale chez les Fresnel quand il passe à Paris. En revanche, je ne suis pas très fier d’un dialogue entre Mildred et Bruno, écrit à la va-vite cet après-midi.
– Je ne me suis plus lavée depuis trois jours pour sentir la femelle en rut.
L’ambiance au sein de l’équipe est d’un calme inespéré. Quand il y a comme un différend dans l’air, nous attendons tous le petit vent frais qui vient balayer la menace d’un orage. Soit nous avons trop besoin d’argent, soit nous avons su laisser notre ego à la porte.
– Stanick a téléphoné, il veut que tu passes au bureau à 4 heures du matin.
– Tu ne pouvais pas le dire plus tôt!
Charlotte sait ricaner sur commande avec une rare conviction, une vraie performance de comédienne. Elle sait à quel point je déteste ça.
– Parce que en plus tu y crois! Le plus ridicule là-dedans, c’est que je ne peux même pas me confier à ma meilleure amie, je ne me vois pas en train de lui raconter que mon mec me trompe avec une Saga, qu’il rêve d’une Saga, et qu’il m’appelle Saga quand on fait l’amour.
– Tu charries, je n’ai jamais fait ça…
– Évidemment, on ne fait plus l’amour.
– Tout de suite, si tu veux…
– Chiche.
La chienne! Je savais qu’elle dirait ça.
– Note, on n’est pas obligés non plus.
– Marco…
J’aimerais autant éviter ce genre de conversation dans un restaurant. Pour une fois qu’on sort ensemble, bordel.
– Ça te dirait de venir visiter le bureau, amour? J’en profiterais pour relire un truc qui me chiffonne.
– Dis-moi que tu plaisantes…
– Ils nous ont livré une télé géante avec toutes les chaînes du câble.
– Ne me dis pas qu’il y a aussi un canapé et une machine à café.
– Bien sûr.
– Alors tu as tout ce qu’il faut pour y passer la nuit.
Elle se lève aussi sec et quitte le restaurant sans même un regard vers moi. La jalousie lui va tellement bien que pendant une seconde j’ai envie de la suivre.
Je n’aime pas me fâcher avec Charlotte mais ce sont pourtant les seuls moments où je réalise à quel point je suis dingue d’elle. Elle a ce genre de beauté qui laisse indifférent quatre-vingt-dix-huit hommes sur cent, mais qui fascine les deux qui restent. Je suis l’un d’eux et par chance, l’autre ne s’est jamais manifesté. D’ailleurs je ne comprends pas comment on a pu la laisser en paix jusqu’à notre rencontre.
Elle doit tourner le coin de la rue, cette garce.
Je me souviens même d’avoir éprouvé une étrange inquiétude la première fois que je l’ai regardée. Je me suis dit que si par malheur elle n’était pas libre, je consacrerais ma vie entière à la débauche sans jamais me lier à personne.
Elle entre dans la bouche du métro Saint-Sébastien.
Des bras rachitiques, des tâches de rousseur partout. Pour accentuer son côté feuille morte elle se teint les cheveux au henné et ne porte que des choses brunes. Des jambes splendides. C’est ce qu’elle a de mieux, les jambes. Elle le sait. Quand elle m’a proposé de vivre sous le même toit j’ai répondu oui, à condition qu’elle arrête de porter des minijupes. Elle m’a traité d’un tas de noms d’oiseaux mais j’ai obtenu gain de cause.
Elle doit monter dans une rame sans même regarder si je l’ai suivie.
Il n’est pas question que je lui coure après. Jalouse d’un feuilleton? Ridicule! Vingt fois je lui ai dit que Saga était la chance de ma vie mais cette folle refuse de comprendre. Je suis en train de devenir un scénariste, un vrai, et c’est tout ce que ça lui fait. Un scénariste, nom de Dieu! Si elle est un peu patiente, dans quelques mois, j’en serai un.
Les mains dans les poches, j’ai flâné dans la ville en me demandant ce que les trois autres pouvaient bien faire passé minuit. J’ai imaginé Mathilde entourée de roses rouges, plongée dans un roman à lire ou à écrire. Jérôme en train de réciter par cœur les dialogues de Terminator dans un cinéma vide. Et Louis dans les bras de Morphée, en train de rêver à son cher Maestro.
Incapable de trouver la minuterie, je monte l’escalier dans le noir et longe un bout de couloir. Dans notre bureau, la télé scintille.
Nous la laissons allumée sans le son pendant toute la journée, et personne n’a pensé à l’éteindre en partant. Je tâtonne vers le canapé pour trouver la télécommande. Dans un clip assez sexy, une fille s’enveloppe de draps mouillés.
C’est là que ma main touche quelque chose de vivant. Je pousse un petit cri absurde et fais un bond en arrière.
– Excusez-moi…
Une silhouette que je discerne mal, recroquevillée dans le canapé. Je pousse le variateur de l’halogène à fond. Un jeune type me regarde avec des yeux de coupable. Les mêmes que ceux de Jérôme la première fois que je l’ai vu dans ce bureau.
– Qui êtes-vous?
– C’est mon frère… Il est au drugstore…
Il reste là, vautré dans le canapé, après avoir tenté une ou deux fois de se redresser.