Séguret nous pousse à multiplier les coups de téléphone de Marie à S.O.S. Amitié et les séances de Camille chez le psychanalyste. Difficile de faire moins cher, il est vrai. Même si Louis et moi mettons un maximum d’énergie dans nos dialogues, il nous arrive d’être à bout de souffle en fin d’épisode. Depuis hier, nous avons réglé une partie du problème: après un monologue époustouflant de désespoir, Camille quitte le divan, serre la main de son psy et s’en va. Pendant qu’elle descend l’escalier, on entend un coup de feu. Exit le psy qui n’était pas préparé à tant de spleen.
Jérôme s’occupe des démêlés de Jonas avec son terroriste, Pedro «White» Menendez. Personne ne sait pourquoi il pose des bombes. Les endroits qu’il fait sauter sont toujours inattendus: le musée Grévin, le ministère de la Défense, l’Arc de triomphe, la foire du Trône, la Tour d’Argent, la poste du Louvre, et bien d’autres. Toute cette violence n’est que pure abstraction (Séguret ne nous permet rien de plus qu’un flash radio à chaque explosion), ce qui met Jérôrne dans un état de frustration dingue. Bilan, Menendez se radicalise d’épisode en épisode. On ne sait presque rien de lui, excepté qu’il a toujours un livre de Kafka en main.
Mathilde s’occupe avant tout de Mildred et de la «Créature». ès qu’ils se retrouvent dans la même pièce, tout devient possible. omme si Mathilde voulait passer en revue l’infinité des imbrications morales et physiques entre deux individus de sexe opposé. Je n’ai jamais rien vu de plus cru au monde! Séguret ne s’aperçoit de rien, comme il est incapable de détecter l’ivresse de Walter si on ne le montre pas en train de rouler au milieu de bouteilles vides. Tant qu’on ne décrit pas la Créature avec la queue en bataille et la langue pendante, il ne voit aucun mal à ce que deux jeunes gens s’amusent dans une chambre close. S’il soupçonnait une seconde à quel degré d’obscénité nous en sommes! L’incidence de certains mots avec certains gestes provoque quelque chose de pur et de torride. À côté de ça, le porno de la chaîne concurrente passe pour un cours de sciences naturelles.
Et Dieu sait si, en ce moment, je n’ai pas besoin qu’on vienne m’agacer les sens…
Surtout depuis qu’un curieux phénomène de combustion spontanée s’est emparé de moi.
Ça ne se passe ni dans le cœur ni dans la tête, mais quelque part entre le nombril et le bas-ventre.
Une flammèche qui vire au brasier…
J’ai du mal à admettre qu’il s’agit d’un effet pervers dû à cette distance qui s’est créée entre Charlotte et moi. Les rares fois où nous nous croisons, toujours par hasard, je sens en elle une légitime envie d’engager une de ces guerres des nerfs qui en laisse toujours un sur le carreau. Il y a une dizaine de jours, je l’ai effleurée par inadvertance et elle a sursauté comme si son coude s’était brûlé en frôlant mon épaule. Un rejet tellement fulgurant, tellement instinctif que j’ai compris en un quart de seconde bien plus de choses qu’au cours de ces dernières semaines. Depuis, plus question de ronronner autour d’elle ou même de la voir nue dans la salle de bains.
Parallèlement à cette phase de mutité physique, j’ai remarqué que les diffusions nocturnes de la Saga produisent sur moi un effet inédit. Lors d’une de mes nuits de découche, je m’en suis ouvert a Jérôme:
– Ça ne te fait rien, ces personnages de femmes qui s’abanonnent à tout ce que tu leur fais vivre?
– Une Garbo ou une Faye Dunaway, je ne dis pas, mais ce n’est Madame Sparadrap ou cette pétasse de Camille qui vont me faire grimper aux rideaux.
– Et leur intimité mentale?
– …?
– Prends, par exemple, la scène où Camille pète les plombs et tente de séduire Walter. Tu te souviens de ce qu’elle lui dit, là, dans la chambre?
– Pas vraiment.
– Elle lui fait comprendre qu’elle vient de s’épiler le pubis, juste pour lui, et qu’elle a relu Sade pour se préparer à cette rencontre. Elle ne le dit pas comme ça, mais c’est tout comme.
– Et alors?
– Quand je l’ai vue, cette scène, quand j’ai vu la fille qui joue Camille faire des effets de poitrine devant l’autre beatnik dégénéré, quand j’ai entendu toutes ces belles métaphores autour du sexe, je me suis demandé si nous avions le droit de nous servir d’elle comme d’un support à nos fantasmes. De jouer avec la libido des autres, même des personnages de fiction.
Il m’a regardé avec la circonspection du bon sauvage qui voit débarquer le missionnaire.
– Ça fait combien de temps que tu n’as pas sali des draps avec une fille, coco?
– …?
Pour garder une contenance, j’ai joué le type qui ne se prend jamais les pieds dans ce genre de poncif. Je me suis lancé dans une diatribe à la Guitry – la grandiloquence agacée, le paradoxe exubérant – pour dire que la pulsion libidinale n’était pas la seule ponse, quoi qu’en dise Freud. Le monde ne se partage pas en priapiques et en eunuques. Le mythe de l’homme gouverné par sa turgescence est une chimère de bigoterie, etc., et je suis rentré chez moi, persuadé de m’en être tiré la tête haute.
Je n’ai revu la question que le lendemain, quand Louis m’a demandé de relire une séquence.
23. CHAMBRE CAMILLE. INT. JOUR
Jonas entre après que Camille le lui a permis. Elle est en train de brancher le téléphone qu’il lui a confié dans la séquence 16.
CAMILLE: Le mot de passe, c’est bien «Quitte ou double»?
JONAS: Non, il a été changé hier, c’est «Rien ne va plus».
CAMILLE: Vous auriez pu prévenir. Vous n’avez pas assez joué avec moi?
JONAS: À quelle heure avez-vous rendez-vous avec Menendez?
CAMILLE: À 20 heures, à son hôtel.
JONAS: Et vous vous habillez comment?
CAMILLE: C’est le flic qui me pose la question, ou le soupirant?
– Tout y est, à ton avis?
– …
– Tu as l’air tout chose, Marco…
J’aurais été incapable de lui dire ce que j’avais lu en réalité.
23. CHAMBRE CAMILLE. INT. JOUR
Jonas entre après que Camille le lui a permis. Elle est en train de branler le téléphone qu’il lui a confié dans la séquence 16.
CAMILLE: Le mot de passe, c’est bien «Nique ou double»?
JONAS: Non, il a été changé hier, c’est «Rien ne va plus».
CAMILLE: Vous auriez pu prévenir. Vous n’avez pas assez joui avec moi?
JONAS: À quelle heure avez-vous rendez-vous avec Menendez?
CAMILLE: À 20 heures, à son hôtel.
JONAS: Et vous vous déshabillez comment?
CAMILLE: C’est le flic qui me pose la question, ou le soupirant?
Il était temps que je rentre. Avant de partir j’ai appuyé sur la touche «quitter» de mon ordinateur, comme je le fais chaque soir. J’ai vu s’afficher: «Bonsoir, vous pouvez maintenant étreindre votre écran.»