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Ça l’ébranle, en attendant mieux.

— Le Baupolos ! bée-t-elle, je n’y suis jamais entrée.

— Vous n’allez pas laisser filer une occasion pareille !

La plupart des jeunes filles sérieuses se dévergondent poussées par la curiosité qu’elles ont du luxe. Les honnêtes travailleuses ne peuvent pas résister à l’attrait d’une belle bagnole ou d’un restaurant à la mode. On ne dira jamais ce que Ferrari et Raymond Oliver trimbalent comme responsabilité dans la rubrique des premiers faux pas !

Un quart de plombe plus tard je pousse la oiselle de compagnie dans le hall marmoréen de mon palace. Kessaclou roupille derrière un philodendron. Il devrait consulter un oto-rhino car il dort la bouche ouverte.

Je bombe jusqu’à l’ascenseur, en soutenant Alexandra.

Le marbre, les plantes vertes, les tapis, l’acajou et les tableaux lui cloquent le vertigo. L’ampleur des lieux aussi. Pourtant elle a l’Acropole sous la main, ma chérie. Un des plus prestigieux monuments in the world ! Matez l’ironie des choses : c’est un hôtel qui l’estomaque. La civilisation grecque, la mythologie avec Zeus et ses camarades bons-dieux, ça la laisse froide, Alexandra. L’architecture d’avant Jésus-Christ, elle s’en tamponne le soubassement, c’est l’architecture Hilton qui la passionne.

Je referme la porte de ma chambre.

— Un doigt de whisky, ma petite fée ?

— Oh non ! c’est trop fort…

— Je vous aiderai !

Elle se laisse tomber sur un canapé, comme une cane happée dans un cas nappé[15].

Je m’abats à son côté après avoir réglé les éclairages. Dans le cinoche c’est la chose essentielle, l’éclairage. Si on arrose trop, l’intimité y perd. Faut jamais surexposer les moments délicats. J’éclaire la salle de bains pour composer une source indirecte, et puis je laisse la loupiote à abat-jour rose, près du plumard. De grandes zones d’ombre subsistent. C’est ici que les Athéniennes s’éteignirent, les gars. Je coule un bras savant sur l’épaule de la gentille.

— Alexandra, velouté-je, comment vous exprimer le sentiment confus dont au sujet duquel je vous ai préalablement causé ?

— Parlez-moi en français, chuchote-t-elle.

— Mais vous ne comprendrez pas, m’étonné-je.

— Ça ne fait rien, c’est pour entendre votre langue…

Je lui souris et je lui balance en pur sanantonien :

— Ma menteuse, petite mémée, plutôt que de te la faire esgourder, je préférerais te la faire déguster ! T’as le clappoir vachement tentant, tu sais, et je voudrais que tu me refiles un billet de logement pour y héberger un panais grand commak !

— C’est merveilleux, fait-elle, on dirait de la musique.

— C’est rien à côté de celle que je peux te jouer, môme ! La flûte enchantée de Mozart, l’Introduction du Roi d’Ys dans l’Ouverture de la Princesse Czardas, et le De profondis Morpionibus au vibraphone !

Elle ferme les yeux. Je me penche sur elle et je fais l’inventaire de sa boîte à dominos. Les trente-deux pièces s’y trouvent rassemblées. La gosse se plaque à moi et participe présente. Début classique, mais comme dit l’autre, il faut passer par là ou par la porte ! Je la renverse sur le canapé. Main vadrouilleuse ! Saut d’obstacle ! Ça biche. Elle dit non, mais en grec, et je ne suis pas censé comprendre. Et puis je lui bouffe ses syllabes une à une. Un instant je me demande si elle est vraiment demoiselle. Je ne me sens pas l’âme défricheuse ce soir. Un instant plus tard je constate que mon appréhension n’était pas fondée. La conscience en repos, je me livre à cet exercice que nous devons, paraît-il, à une pomme défendue (d’où l’expression « Ça ne vaut pas un coup de cidre »).

Elle aime. Elle le dit, elle le gémit, elle le crie, elle l’écrit, elle le mime, elle le râle, elle le roucoule, le gazouille, le clame, le réclame, le proclame, l’affirme, l’assure, le jure, l’objure, le susurre, le chuchote, le zozote, le suçote, le récite, le traduit, le répète, le versifie, le morsifie, le braille, le Louis Braille, l’annonce, l’affiche, le mugit, le vagit, le miaule, l’explique, l’amplifie, le commente, le lamente et l’amante.

Point à la ligne, fermez les guillemets.

Je nous désunis. Mais la voilà qui se raccroche à moi et qui me pleure sur la poitrine.

— Et mon fiancé ? sanglote-t-elle.

C’est le mot de la fin, vous avouerez ?

— Ton fiancé, il est cocu, ma tendresse, lui réponds-je.

Je voudrais bien trouver un autre mot pour qualifier ce qui vient de lui arriver, mais franchement je n’en trouve pas.

Là-dessus, le turlu grésille dans ma chambre. Quarante-deux secondes plus tôt il pouvait provoquer un déraillement.

Je vais décrocher, pensant que le commissaire Kelécchimos va m’annoncer du nouveau. En fait c’est le mec de la réception.

— Mademoiselle Polis est en bas ! me dit-il.

Catastrophe ! Alexandra I radine plus tôt que prévu à mon planninge. Que faire ? C’est du Feydeau de la grande année, ça. Du Labiche ! Du Guitry ! Mais vous n’êtes pas sans connaître l’esprit d’initiative de votre San-A., hein, mes petites biches humides ?

— Dites donc, vieux, fais-je au préposé, ça vous intéresserait de gagner une gratification grosse comme l’Acropole ? Alors conduisez cette demoiselle dans une chambre libre, en lui faisant croire que c’est la mienne et dites-lui que j’arrive.

Aussi taudis, au site, aux faits !

— Bien, monsieur, rétorque imperturbablement l’employé, je conduis cette personne à votre appartement !

Ouf !

— Qu’est-ce qu’il y a ? balbutie Alexandra II.

— Mon patron vient d’arriver, il faut que j’aille lui présenter mes devoirs, expliqué-je en me rajustant avec une rapidité frégolienne.

— Et moi, pendant ce temps ?

— Repose-toi, ma petite poule, le lit est monté sur amortisseurs télescopiques.

Je me file un coup de peigne, je m’oins le museau d’eau de Cologne (bravo Balanciaga !) et je redécroche le biniou afin de demander au nuiteux à quelle chambre il a conduit la « personne en question ».

— Appartement 114 !

— Merci !

Ah ! Françaises, Français, quelle nuit !

— Je croyais que vous occupiez la chambre 69 ? me fait la ravissante, la triomphante, la fracassante Alexandra I.

— On m’a déménagé parce qu’il y avait une fuite dans la salle de bains.

Chose curieuse, je viens de la trouver dans le couloir, se dirigeant vers l’ascenseur. Quelque chose me dit que la fille du diplomate (un sacré voltigeur) avait l’intention de se débiner avant que je n’arrivasse. Je lui fais part de mes doutes.

— Vous rebroussiez chemin ?

— J’ai oublié mon sac à main dans la voiture.

— Qu’à cela ne tienne, je vais vous le chercher.

— Inutile !

— Mais on risque de vous le dérober.

— Mon chauffeur est demeuré au volant…

Je n’insiste pas et lui fais réintégrer la piaule.

— Je ne vous espérais pas si tôt, Alexandra…

— J’ai prétexté une migraine. J’avais hâte de vous revoir…

— Merci du compliment.

Elle me sourit.

— Je n’ai pas beaucoup de temps, vous savez… Grand-père doit m’emmener demain en croisière à l’île de Cérébos.

« Ça ne manquera pas de sel », plaisanté-je pour moi-même.

Ce qu’il y a d’extraordinaire dans la vie, ce sont ces péteuses désœuvrées qui viennent se faire connecter le diffuseur à basse fréquence et qui ne s’en cachent pas. Alexandra I, elle, n’objecte aucun fiancé. Elle ne dit pas que c’est déraisonnable, que sa vertu grince des dents ou qu’elle a des principes.

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15

Ce qui ne veut absolument rien dire du tout. Moi, à votre place, je ne lirais pas des trucs pareils, ça démantèle les méninges.