Elle s’installe sur le pucier à ressorts, légèrement renversée en arrière. Prête !
Allons, San-A., au travail, mon chaud lapin ! C’est pas désagréable de remettre le couvert avec une nouvelle frangine, moins de dix minutes après qu’on ait dit « au revoir-mademoiselle-merci » à la précédente. Pour Alexandra I, croyez-moi, faut pas bâcler. C’est une jeune fille qui en sait déjà long comme un travelling de Cecil B. De Mille sur la question, ses tenants et ses aboutissants. Faut pas essayer de lui vendre des navets pour des asperges ni de lui faire croire que le scoubidou à baleines sert à jauger le fuel sur les tracteurs.
C’est pourquoi, puisant dans mes ressources et dans mes recettes, je lui interprète tour à tour et avec un brio magnifique : le concasseur breton, la bouilloire à sifflet, le manche-après-la-cognée, l’humecteur à papilles, le raton baveur, le cours-moi-après-je-t’attrape, le missil dominici et le python à piton de la pythonisse.
Elle est contente, me vote un accessit, un satisfecit, et m’embrasse.
— Ah ! ces Français, murmure-t-elle en massant ses yeux cernés comme la maison d’un fou sanguinaire, il n’y a qu’eux qui sachent vraiment faire l’amour !
Ça flatte, des déclarations pareilles, vous admettrez ? Avouez que ça vous porte l’orgueil à ébullition, les gars, bien qu’en ce qui vous concerne, le radada à moustaches ne soit pas votre fort ? On a la fibre patriotarde qui se dilate : le slip qui tricolore ! Les pendeloques qui marseillaisent !
— Je boirais bien quelque chose, chéri, me roucoule-t-elle in the trompe of Eustache.
En v’là une que les prouesses plumardières déshydratent.
— Mais comment donc, mon ange !
Je fais monter du scotch et je nous prépare deux glass carabinés.
— A nos amours, Alexandra !
On trinque, mais moins bien que précédemment. Je suis en train de me dire que les parties de jambonneaux c’est bien beau, mais qu’elles ne font pas tellement évoluer mon enquête. Et comme, lorsque je suis lancé sur les soliloques professionnels, je ne m’arrête plus, je me dis qu’il est grand temps de questionner miss Polis sur ses relations avec les deux matelots du Kavulom-Kavulos. Seulement c’est un sujet délicat.
— Nos ébats amoureux m’ont donné mal au crâne, soupire-t-elle. Vous voulez me faire une compresse d’eau froide, chéri ?
— Tout ce qu’il y a de volontiers, m’empressé-je en passant dans la salle de bains.
Je m’empare d’une serviette et la plonge dans le lavabo dont j’ouvre tout grand le robico d’eau froide. C’est alors que, grâce au hasard d’un jeu de glaces, je surprends un truc pas ordinaire… Alexandra I vient de retrousser sa robe et arrache de sa jarretelle un petit sachet de toile. Elle a des drôles de cachettes, cette bergère. Avec promptitude, la voici qui vide le contenu de son sachet dans mon godet. Elle agite le verre pour diluer sa mixture et enfouit le sachet vide dans son soutien-gorge. J’ai dans l’idée, mes filles, que si mon ange gardien n’avait pas fait des heures supplémentaires, j’allais me réveiller mortibus dans quelques heures !
Je tords le linge détrempé et, une fois qu’il a eu son essorage, je prends mon essor.
— Voilà, ma beauté, j’espère que votre migraine va passer ?
Elle se plaque la serviette mouillée sur le front et s’étend sur le paddock.
— Oh ! certainement, mon amour, murmure-t-elle.
Je chope mon verre.
— Vous devriez boire un peu, dis-je. Le whisky, y a rien de tel pour endormir les maux de tête.
— Pas pour l’instant, chuchote-t-elle en fermant les yeux. Mais buvez, vous !
Je porte un toast à la donzelle et j’élève mon verre. Je vois sa paupière gauche se soulever légèrement. Elle surveille vachement mes faits et gestes.
— Je me demande ce que ça donnera à l’analyse, murmuré-je.
Du coup, elle ouvre ses deux vasistas à la fois.
Je mire le verre devant la lampe. Quelques particules de poudre blanche sont encore visibles au fond du godet.
— Ça n’est sûrement pas de l’arsenic, poursuis-je, car l’arsenic laisse des traces et je suppose que vous tenez à ce que mon décès paraisse naturel ?
Vous verriez ce travail ! Elle s’est dressée sur le lit. La serviette mouillée est tombée de son front, mais elle ne songe pas à la remettre en place. Elle me regarde avec des yeux pointus comme des passe-lacets. Je vais déposer mon scotch trafiqué sur le marbre de la cheminée. Un glissement rapide ! C’est miss-poison qui veut se déguiser en miss-courant d’air. Mais j’ai prévu la chose et j’arrive devant la lourde avant elle.
— Hé, dites, Sandra, vous n’allez pas partir comme ça, on ne s’est pas tout raconté, ricané-je.
Elle se met à reculer, et moi à avancer sur elle. Nos yeux sont accrochés les uns aux autres comme des wagons de chemin de fer. A un moment donné, elle se trouve adossée au mur. Comme elle n’a pas la force d’un tank ou d’un bulldozer et que, de toute façon, nous nous trouvons au quatrième étage, elle s’abstient de défoncer le mur.
— Un proverbe de chez moi dit qu’il faut agir avant de parler, fais-je ; on a déjà agi, il nous reste donc à parier… Tu commences ou je ?
Elle reste muette.
— Très bien, je prends l’initiative, môme. Il te suffira de répondre à mes questions. Commençons par les deux marins que tu es allée chercher à l’hôpital.
— J’ignore de quoi vous parlez !
— Et ça, fais-je en lui cloquant une mandale capable de faire cracher ses défenses à un éléphanteau, tu ignores ce que c’est, friponne ?
Elle bascule et choit sur la moquette. Je refoule mes remords de galant « tome ».
— Il y a un flic dans le hall de l’hôtel, lui dis-je. Si tu ne parles pas, ma gosse, je te fais embastiller sur-le-champ, vu ?
Je m’approche du téléphone et mets ma main sur le combiné. La fille se relève et baisse la tête. Je la crois vaincue, mais comment que je l’ai dans le laos ! Car la voilà qui bombe jusqu’à la cheminée ! Avant que je n’aie eu le temps d’intervenir elle a chopé le verre trafiqué et l’a balancé par la fenêtre ouverte.
— Appelez la police, c’est ça ! me lance-t-elle d’un air moqueur.
Et comme votre San-A. bien-aimé reste coi, avec un chouïa d’air pomme sur sa physionomie avenante, la gosse se met à arracher ses fringues, à les mettre en lambeaux, à s’ôter le slip, le soutien-truc, la gaine Scandale, les bas… Et tout en agissant elle hurle des « au secours » qui foutent le chabanais dans l’hôtel ! Ses cris, bien qu’elle soit grecque, sont persans. Ils réveillent les dormeurs, font chialer les enfants en bas âge, perturbent les coïts matrimoniaux, dévastent le système nerveux des insomniaques. Dans l’hôtel, y a des Allemands qui se croient à Dachau, des Américains au Madison Square Garden, des Italiens à la Scala de Milano. Des Belges rêvent qu’on vole le Manneken-Pis, les Suisses que leurs contre-torpilleurs font naufrage dans le lac de Genève, et les Français que la cinquième est en train d’enfanter la sixième !
J’ai largué le bigophone pour ceinturer la môme Alexandra, mais autant vouloir introduire une anguille dans une marmite norvégienne pleine d’eau bouillante.
Quand, enfin, je parviens à la flanquer au travers du lit, ça remue dans toute la volière, ça remue-ménage à outrance ! On entend des piétinements, des interjections, des injonctions, des injections.
Cette peau de garce se marre comme il n’est pas permis.