— Eh bien ! vous allez l’avoir, la police, me dit-elle. Vous venez de me violer ! Je demande une expertise médicale ! « La petite-fille d’un célèbre diplomate », ça va vous coûter cher !
Le plus fort, c’est qu’elle a raison : je vais la sentir passer ! Sa parole contre la mienne ! Impossible de prouver maintenant qu’elle a cherché à m’empoisonner ! Par contre, elle, elle peut prouver que… vous pigez ? Pauvre San-A. ! Bec dans l’eau, mon mec ! Voilà ce que c’est que de vouloir mêler le zigouigoui-folichon au turbin ! Et en plus il y a l’Alexandra II dans une chambre voisine qui témoignera, elle aussi, comme quoi c’est un frénétique de la bagatelle, le San-Antonio. Et le zig de la réception qui dira que j’ai pris deux chambres…
On carillonne à ma porte. Je n’hésite pas d’un nerveux crochet à la pointe de son menton, j’envoie miss Polis au pays de la purée noire. Vite, je lui mets le couvre-lit sur la nudité, la compresse sur le front et je l’arrose de son whisky avant de délourder.
Le personnel de l’étage est là, inquiet, et des clients radinent, avec des yeux brouillés en sautoir et des pyjamas tire-bouchonnés.
Je distribue des sourires navrés, des excuses…
— Ma femme est éthylique, j’explique en montrant Alexandra… Elle a eu une crise et vient juste de s’endormir…
Les autres approchent, reniflent. Ça pue l’alcool. Ils voient qu’elle respire. Ils sont rassurés ou déçus selon leur tempérament. Ils haussent les épaules, marmonnent des grogneries, se retirent… Ouf ! Je l’ai (provisoirement) échappé belle. Je referme la porte et m’y adosse.
Quelle nuit, mes petites poules ! Quelle nuit, je vous jure !
CHAPITRE IX
DANS LEQUEL LA FÊTE CONTINUE
Pendant que miss Peau-d’hareng est encore dans les vapes, je la ligote avec les cordons du rideau, la bâillonne avec la serviette mouillée et la coltine dans la baignoire qui ressemble soudain à la tranchée des bâillonnées. Ce faisant, j’aggrave encore ma position. S’il est vrai que les cas désespérés sont les cas les plus beaux, j’ai idée que le mien n’est pas sale !
L’instant (critique) est venu de me convoquer pour une conférence à l’échelon suprême afin de statuer sur les mesures d’urgence. D’ici à très peu de temps, ça va faire un drôle d’esclandre dans Athènes, mes aventures galantes. Je peux d’ores et déjà publier une annonce dans les demandes d’emploi de France-Soir, vu qu’après ce scandale le Vieux me rendra ma liberté. La Révocation de l’Edit de Nantes semblera de la gnognote à côté de la mienne. Comment vas-tu te dépêtrer de ce pétrin. San-A. ? Tu fais toujours le malin ! Tu joues les Casanova ! Les intrépides ! Les irrésistibles ! Les supermen ! Et puis tu te fais blouser mochement par une petite teigne qui n’a pas froid aux châsses.
Alors ? Quelles sont tes intentions, bonhomme-la-lune ?
Je remets de l’ordre dans ma toilette, et, manière de me ramoner un brin les éponges, je vais respirer à la fenêtre. En me penchant, j’aperçois la Rolls de miss Alexandra stationnée devant le Palace. Je me dis que ma seule chance d’obtenir un résultat rapide est là, en bas, qui m’attend. Alors je quitte la chambre pour me rendre dans la précédente où Alexandra II somnole, vannée, en m’attendant.
— Je me demandais ce que vous faisiez, dit-elle. J’ai entendu des cris et je…
Une vieille Anglaise hystérique, l’interromps-je, ces pauvres femmes n’ont jamais couché qu’avec la photographie de Sir Winston Churchill, ça n’apaise pas complètement le système glandulaire.
Tout en causant, je vais piquer, mine de rien, mon camarade Tu-tues dans ma valoche.
— Je porte un document à mon patron et je vous remmène chez vous, mon cher ange, promets-je en lui grumant la menteuse.
Avant qu’elle n’ait récupéré de ce baiser suffoqueur, je suis dans le couloir.
Cette fois, Kessaclou a disparu. La voie est libre. Je sors d’un pas dégagé. Une barre mauve s’élargit au fond de l’horizon, côté est. L’aurore, mes fils… La belle aurore radieuse. Je louche sur la Rolls. Un grand costaud coiffé d’une casquette plate est installé au volant.
Je m’éloigne de quelques pas, me baisse pour échapper à son éventuel regard, puis, plié en deux, je reviens à la hauteur de la portière. De ma main gauche j’actionne la poignée avant droite, tandis que de la gauche je braque mon feu. Ça le réveille, le driveur de ma belle violée. Il tourne vers moi un visage maussade, aperçoit mon feu et porte la paluche à sa veste.
— Non ! Nein ! No ! Niente ! crié-je.
Il interrompt son geste. Je prends place à côté de lui et je ferme la lourde.
— Tu parles français, Popaul ?
Il reste immobile.
— Do you speak english ?
— Just a little ! me répondit-il.
J’emploie donc cette langue sans laquelle tout le Canada parlerait français. Mais, comme je m’adresse à une majorité d’analphabètes (et méchants) je vous traduis ma conversation afin que vous ne mouriez pas de curiosité.
— File, mon pote !
— Où ?
— Ailleurs, c’est un coin que j’affectionne !
Il démarre. On se croirait en carrosse dans cette tire mérovingienne ! Je ne cesse pas de braquer cet ami. Je m’y connais en hommes (en femmes aussi) et je sens qu’il est du genre plutôt coriace. Avec un zigoto comme môssieur il faut avoir les deux yeux ouverts et des réflexes.
On se met à rouler dans Athènes endormie. On passe devant l’église orthodoxe de Saint-Bornibus, puis devant les ruines du temple élevé à la gloire de Pédérastre ; ensuite on contourne l’arc de triomphe chargé de perpétuer le souvenir de la victoire de Permanganate et nous atteignons la banlieue. Les maisons s’abaissent, les gens se font matinaux, les premiers vélos commencent à circuler.
— Où allons-nous ? demande le conducteur.
— Continue, je te préviendrai quand il faudra que tu t’arrêtes.
Après la banlieue, c’est la campagne. Une buée pâle la nimbe, l’ouate, la cotonne, la calfeutre, l’irréalise.
Bientôt nous atteignons la mer immense et verte dont la ligne d’horizon est toute proche. Un chemin blafard pique vers la grève.
— Tourne à droite, lui ordonné-je.
Il obéit. Le chemin cahote et descend vers une crique léchée par les vagues. Quelques barques gisent sur le rivage comme de gros poissons avariés que le flot aurait rejetés[16].
Je veux bien que cette crique me croque si je ne parviens pas à accoucher le chauffeur de ses secrets.
— Descends et garde les bras levés, sinon ça va être ta dernière aube, mon gars !
Il se conforme en tout point aux prescriptions du docteur. Je sors à mon tour de la calèche. J’aimerais bien trouver un bout de ficelle pour ligoter ce type. Je contourne la Rolls afin d’ouvrir la malle arrière de ce bâtiment. La première chose qui me pète dans la rétine, c’est un fusil muni d’une lunette. Alors là, comme on dit à Bastia : ça se corse ! M’est avis, mes frères, que je suis bel et bien en présence de mon assassin.
— Dis donc, Oswald, l’interpellé-je, je te trouve imprudent de ne pas remiser ton artillerie après tes séances d’arquebuse sur les toits.
Je n’en bonnis pas une broque de plus car, avec une promptitude inouïe, le pilote de ligne vient de sortir un Colt de sa poche et me braque. Comme j’en fais autant nous nous braquons donc mutuellement. Nous ne tirons ni l’un ni l’autre. Nos êtres sont tellement tendus qu’on entend friser nos poils sous nos bras. Vus de l’extérieur on doit ressembler à deux statues de marbre. Habituellement, moi, vous me connaissez : j’ai la défouraille facile. Mais là, j’ai été bloqué par la rapidité d’exécution du gars. En un regard on s’est jaugé et, comme dirait un Auvergnat, on n’a pas « j’ogé » tirer, de peur que l’autre prenne le millième de seconde d’avance qui pourrait être fatal. Que voilà donc une situation ambiguë (comme dirait notre ministre des baths-arts qui n’aime pas les théâtres portant ce nom).
16
Mon Dieu que c’est beau ! Bravo ! San-Antonio, après toi ce sera bien le néant dans la littérature, comme le disait justement Chateaubriand.