Béru ici ! Béru à Athènes ! Béru au commissariat ! Mais c’est du rêve à grand spectacle ! C’est du miracle à l’état pur ! Ou qui sait, peut-être du mirage, non ? Des fois que je rêve ? Faudrait savoir… Je me pince, comme il est recommandé de le faire dans ces cas-là. Pas d’erreur, I am lucide.
— Salut, Grosse Pomme, je murmure entre mes chailles.
Le Béru, il a l’entendement branché sur le retard.
— En tant que confrère of you, poursuit-il, j’espère que vous allez vous manier la rondelle et que… Et puis, brusquement, il réalise qu’on vient de lui causer français et il sursaute. Il m’avise, doute de ses cinq sens, de Camille Saint-Saëns et s’arrondit intégralement tous les orifices pour bien affirmer sa stupeur.
Je me mets à chantonner, comme si je ne m’adressais pas à lui, sur l’air de « Si tu n’en veux pas, je la remets dans la capote ».
Il a vachement le contrôle du self, Bérurier. Il renifle un grand coup, remonte ses chaussettes vertes sur ses grosses cannes poilues, tire sur les bords de son Bermuda à rayures bleues et rouges, passe ensuite la main par l’échancrure de son polo jaune orné d’une raquette orangée, et enfin soulève sa casquette de toile violette à longue visière verte qui le ferait rassembler à un jockey s’il pesait quatre-vingts kilos de moins.
— Bon, now, messieurs and gentlemans, je vous laisse le soin de faire le nécessaire pour retrouver my Kodak. Vous savez ce que c’est ? Un touriste sans Kodak, c’est une tête de veau sans vinaigrette ! On a beau se faire tirer la vitrine par les professionnels, ça vaut pas le cliché d’armateur. Remember de my name : Bérurier, B-é bé, r-u rier ! Je suis à l’hôtel d’Antigone et d’Anouilh réunis. Bons baisers aux enfants et à la revoyure !
Il fait une sortie enlevée qui laisse la flicaille dans l’étonnement, le trouble et l’indécision.
Du coup, il se sent mieux, San-A. Quand le hasard se met à vous faire risette, vous vous sentez drôlement costaud. Sa Majesté va illico tuber au Tondu, lequel remuera ciel, terre, eau, gaz et électricité à tous les étages pour me tirer de la mouscaille peu glorieuse dans laquelle je me suis flanqué.
Je coule un regard à la pendule du commissariat. Son cadran n’est pas rédigé en chiffres grecs et annonce dix plombes. Combien de temps encore va-t-il falloir poireauter dans ce local sinistre ?
Ma somnolence a été réparatrice. Je me sens un peu mieux, l’esprit combatif, sans lequel il n’est pas de vie possible, m’habite (en bandoulière) à nouveau.
Vingt minutes s’écoulent encore, goutte à goutte. Le gros méchant auquel je suis uni par les liens nickelés des menottes bâille à en décrocher la mâchoire d’un crocodile.
Soudain un coup de patin retentit au-dehors. Je vois, à travers les grilles de la fenêtre, un fourgon noir et austère. Pas d’erreur, c’est le panier à salade qui va me conduire en prison ! Vous parlez d’un honneur pour la famille !
San-Antonio embastillé comme le premier malfrat venu ! Décidément on aura tout vu : les poils de mes bras et les poils de mon ami Luc ! De quoi se frotter le dargif sur une banquise jusqu’à ce que l’un des deux s’enflamme.
Deux gardes pénètrent dans le poste. Mon gorille se dresse et tire sur la chaîne, comme on tire sur la caisse d’un clébart pour l’emmener balader.
En soupirant, je le suis.
CHAPITRE XI
DANS LEQUEL BÉRU SE HISSE AU NIVEAU DES PLUS GRANDS !
Une foule considérable cerne l’entrée du poste de police. Les badauds regardent la Rolls et le fourgon noir avec curiosité, sensibles à l’anachronisme que constitue la réunion de ces deux véhicules. Lorsque je parais, enchaîné à mon king-kong, un murmure à tout hasard hostile monte de la populace. L’un des gardes ouvre la porte arrière du fourgon. Avant que je n’escalade les degrés du marchepied, le gorille me déchaîne because les cellules individuelles du fourgon ne peuvent héberger plus d’une personne, à la rigueur une personne et demie, à la fois. Comme il n’y a pas de gardes cul-de-jatte, force leur est donc de m’isoler. Dès qu’il me déchaîne des éléments mystérieux en font autant. Une explosion retentit : de hautes flammes jaillissent sous le fourgon, le lèchent, l’enveloppent. Le feu se met à serpenter dans la foule qui se débine à une allure supersonique et en produisant des « bangs » également supersoniques. Une traînée de poudre, les mecs ! Les passants, les non-passants, les flics en uniforme et les z’en-civil, tous prennent la direction de leur choix et essaient de battre le record du monde des dix mille mètres.
Je reste planté sur le marchepied à me demander ce qui arrive. Comme je me le demande au milieu d’un brasier, mes réflexions revêtent vite un intérêt brûlant.
— T’attends le métro ou d’être cuit à point ? rugit l’organe béruréen.
Mort de mes os ! Je pige que cet incendie surprenant est une manœuvre de mon féal Alexandre-Benoît. En voilà un qui tombe à pique.
Je saute du fourgon. La bagnole du Gravos est là, portière ouverte. Je me précipite à l’intérieur sans réfléchir qu’en agissant de la sorte j’aggrave drôlement mon cas.
Il fait un décollage impressionnant, le Mastar. Faut le voir, sa gapette au ras des sourcils et son gros dargeot étalé sur la banquette. Ses miches ont crevé la peau oignonesque du bermuda pour conquérir vaillamment leur liberté.
Ayant eu raison de la couture médiane, elles débordent copieusement, plantureuses, poilues, sombres comme les origines du monde.
— T’es dingue, Gros, j’halète. Un coup pareil c’est la Bastille pour toi, je suis inculpé de viol et de meurtre !
— Et ta sister, elle est inculpée de tapinage sur la voie biblique ? riposte le Mahousse.
Sa Majesté, je vous l’ai souvent dit, mais dans les grands instants, elle est sublime ! Vous le verriez au volant de sa vieille traction ravaudée, vous en prendriez des vapeurs.
— T’as eu le temps de tubophoner au Vieux ?
— Je suis t’été au bureau de poste voisin, ils m’ont renseigné comme quoi y avait une plombe d’attente pour Pantruche ! Les bigophones, ça devient plus praticable, maintenant ! C’est presque aussi duraille de causer d’Athènes à Paris que de Meulan à Paris ! Alors je m’ai dit que j’avais meilleur compte de t’estirper de ce gourbi par mes moyens privés. Qu’est-ce que tu voudrais qu’il fasse, le Dabe, depuis son burlingue, qu’il t’envoie une boîte de crottes en chocolat ?
Et qu’est-ce que tu as fait ?
J’avais une nourrice de réserve dans ma guinde. Quand le fourgon cellulaire s’est annoncé, j’ai répandu ma tisane dessous en laissant des traînées jusqu’à la lourde du poste. Une petite alloufe au bon moment et t’as vu le résultat ?
— Tu aurais dû te faire artificier, approuvé-je. Seulement fais-leur confiance aux poulardins grecs, on va les avoir au panier dans pas longtemps et peut-être avant. Surtout qu’avec ton os, pour passer inaperçus faudrait que toute la population hellène soit devenue aveugle et sourde !