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Je pose mon verre. Je prends la main décharnée de la vedette, je lui roule des cocards énamourés, du genre : « Ah ! que n’ai-je cinquante ans de plus pour oser vous faire la cour ! »

Ça la liquéfie, la vieille Barbara.

— Vous êtes la plus grande d’entre les grandes ! gazouillé-je. C’est en effet le bon Dieu qui vous a mise sur ma route, chère immense vedette !

Elle trépide du fondement. C’est bon ! Ça rend ! Ça biche !

Je poursuis, remettant dans ma soutane tout respect humain, soucieux seulement d’atteindre le but, comme disait si justement Raymond Kopa au temps de ses prouesses :

— Je voudrais que les gouvernements de mon dentier, je veux dire du monde entier, s’unissent pour édifier votre statue en or massif, taillée dans la masse !

— Merci, merci, mon petit, vous êtes un connaisseur !

— Votre nom sera écrit au néon dans l’Histoire du cinématographe (Je sais causer aux vieillardes, non ?). Des rues, que dis-je : des avenues le perpétueront, ce nom glorieux ! Et je voudrais que la véritable Victoire de Samothrace, ridiculisant ses maigres répliques, étende ses ailes de marbre sur l’airain de votre légende !

Ouf ! C’est osé, hein ? Faut le faire ! Ça ne s’improvise pas en potassant le dernier Sagan, une diatribe pareille !

Pour couronner le discours, je tombe à genoux devant elle et j’enfouis ma tête dans les plis de sa robe en lamé or.

Béru qui somnole risque un œil à travers son brouillard éthylique.

— Ça y est, il va passer l’hospice à la casserole ! balbutie-t-il. T’as de la santé, San-A. Ta boîte de vitamines C, tu la laisses pas au vestiaire…

Je ne réponds rien. J’attends. J’écoute soupirer la Dame. Son cœur cogne tellement fort qu’un qui s’approcherait d’elle risquerait d’être renversé.

— Mon petit amour, soupire Barbara en caressant ma chevelure, soyez heureux : les injustices ont été réparées… Regardez !

Elle se lève et va au piano à couette. Elle frappe huit fois de suite sur le si bémol de gauche. O miracle ! L’instrument pivote, dévoilant une fosse dans le plancher. Un projo caché dans un bouquet de chrysanthèmes s’éclaire. Il y a comme un bruit feutré et, lentement, majestueusement, la Victoire de Samothrace monte de l’orifice. Altière ! Sublime !

Béru cligne des yeux.

— Je suis complètement naze, bavoche le Monstrueux, voilà que j’ai des hallucinations. Si vous permettriez, je me piquerais un somme sur le sofa !

Et, tournant le dos au chef-d’œuvre, orgueil du Louvre et par la même occasion de la France éternelle, terre de contrastes et fief de l’intelligence universelle, Bérurier se met à ronfler.

CONCLUSION

C’est la big réunion dans le burlingue du Vieux.

Sont réunis, deux points à la ligne :

Le Boss, en costard noir, cravate blanche, Légion d’honneur rouge et calvitie rose praline ; Béru, loqué de frais, moi-même, en bleu-croisé-cravetouze et pochette noire, Pinaud, plâtré un peu partout et tenant une grosse boîte en carton sur ses genoux et, enfin, devinez qui ? Vous êtes trop truffes, vous ne trouverez pas : le ministre des Bazars soi-même, la figure baudelairienne et le verbe comme un hydroglisseur sur le lac Ontario.

Non, mais vous jugez d’un honneur ? Le Sinistre des Bazars en chair et en os ! Grave, un brin tragique pour faire plus vrai.

— Messieurs, fait-il, je tenais à remercier tous les héros de cette enquête si particulière et si délicatement menée. Vous fûtes à la peine, soyez à l’honneur ! Vous avez bien mérité de la Patrie en restituant à la France l’un des plus beaux fleurons de son patrimoine artistique.

Bérurier sanglote et se mouche dans sa cravate. Le Vieux est d’une pâleur marmoréenne, tout comme la Victoire qui nous donna tant de soucis.

L’Excellence cause, cause, cause à effets. On va avoir tous droit au Mérite Civil, à une rallonge occulte, à un supplément de congé et à des places gratuites dans les théâtres nationaux (ceux où l’on chope le torticolis à cause des plaftards repeints).

Ayant parlé, il se fait raconter les détails comment on s’y est pris pour faire avouer la Mémée, et comment Béru a pu persuader le radio du « Good Luck To You » d’envoyer un message pour réclamer du secours… Un barlu de guerre français croisait intentionnellement à promiscuité et, sous le prétexte officiel d’aider à réparer une voie d’eau, a pu récupérer la Victoire. Personne n’en a rien su. Maintenant miss Barbara est dans un asile psychiatrique où on lui a donné une poupée représentant la Victoire.

Le ministre approuve, re-félicite, remercie.

C’est alors que le père Pinuche se racle la gorge.

— M’sieur le ministre, dit-il, j’ai quelque chose pour vous.

Il tend son carton. C’est gros, c’est lourd.

Tout le monde est stupéfait, plus le Vieux qui est ennuyé. Le ministre sourit gentiment :

— De quoi s’agit-il, monsieur l’inspecteur principal ?

— Pendant les quelques jours que j’ai dû passer à Samothrace, je me suis fait remettre le plan des fouilles. Et, depuis mon lit, en me basant sur le seul raisonnement, je suis parvenu à détecter l’endroit précis où était enterré ceci…

Le ministre ouvre la boîte. Malgré le respect que nous lui devons, nous nous précipitons. On regarde. On voit une magnifique tête de déesse en marbre.

— Ça consiste en quoi ? demande Béru.

Mais le ministre qui est un technicien du caillou façonné a déjà pigé, lui. Il réussit à blêmir.

— Serait-ce possible ! marmonne-t-il.

— Ça l’est, affirme Pinaud. Je suis allé vérifier au Louvre, ça raccorde ; c’est bien la tête de la Victoire, m’sieur de ministre !

On pourrait croire que l’Excellence va l’accolader, Pinaud. Lui virguler dans la foulée le grand cordon de ceci et la médaille de cela. Mais pas du tout. Après un temps de silence il referme le couvercle de la boîte.

— Mon ami, dit-il à Pinaud, on ne peut pas se permettre de redonner sa tête à la Victoire dont la réputation est précisément basée sur sa décapitation. Un chef-d’œuvre est une chose entière à laquelle nul additif n’est plus permis.

Il tend le carton à Pinaud.

— Conservez cet objet sur votre cheminée, fait-il. Et quand on vous demandera d’où il vient, répondez toujours que vous l’avez acheté aux Galeries Lafayette !

« La France compte sur votre discrétion, comme elle a compté sur votre courage ! »

FIN