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— On l’a consigné aussi ?

— Bien sûr ! Mais tu te rends compte que le scandale bouillonne comme de l’eau sur le feu. D’une seconde à l’autre le couvercle de la casserole va sauter !

Sa Pinucherie frottaille sa moustache d’un index jauni par la nicotine.

— Une chose est certaine, décide-t-il.

— Laquelle est-ce, messire Pinaud ?

— C’est à bord du bateau que la substitution a eu lieu.

— Votre avis rejoint le mien, chère momie.

— Car, poursuit l’infatigable du bulbe, c’est à bord du bateau qu’on a eu les moyens de remplacer la bonne caisse par l’autre. Une cale n’est pas un endroit très fréquenté, et puis les gens qui ont fait le coup disposaient de grues, ne l’oublions pas. Tu veux que je te dise, San-A. ?

— Dis-moi-le, doux vieillard !

— Sur le bateau, il y avait déjà le faux emballage au moment où l’on a chargé le vrai.

— Possible…

— Non : probable !

— Soit ! Ensuite ?

— Ensuite on a camouflé le vrai pendant la première partie de la traversée et on l’a déchargé à Athènes.

— Probable, admets-je.

— Non : certain ! Quel était le fret du cargo ?

— Je l’ignore, avoué-je.

Cette fois, le déducteur soulève ses deux paupières dans un effort surhumain et braque sur moi son regard éteint.

— Tu aurais dû t’en inquiéter, reproche-t-il. Enfin, nous allons voir tout cela sur place, maintenant il faut que je me change. Notre avion part bien à midi trente ?

— Tu. as deviné ça aussi ! m’étranglé-je, prêt à accepter de lui désormais tous les prodiges.

— Non, modestise la vieillasse, je l’ai seulement lu sur les billets.

CHAPITRE III

DANS LEQUEL NOUS ATTEIGNONS LES ATHÉNIENS ![3]

Depuis l’escale de Rome nous avons retrouvé l’été. Un chaud soleil illumine la mer, et le ciel est aussi bleu que sur les dépliants des agences de voyage. Dans ce coucou j’ai un peu l’impression de remonter le temps. Rebrousser les saisons, s’attarder dans des instants retrouvés, regrimper les années, les siècles, n’est-ce pas le rêve de tout homme ? Un jour il s’accomplira, je le prédis. On trouvera dans les drugstores des appareils à explorer les âges. Pas nous, bien sûr, mais nos enfants, comme disait un curé. Nous, on se farcira seulement les premiers pas sur la lune. Nos lardons iront sur Mars et c’est beaucoup plus tard que la descendance se pointera sur la planète reculée au fond de je ne sais quelle galaxie et depuis laquelle on peut encore assister aux galipettes de François Ier, au massacre de la Saint-Barthélemy et à la mort de Napoléon.

La voix du commandant de bord nous annonce que l’arrivée à Athènes est imminente. Je secoue le bras du père Sherlock. Pinuche dort sitôt qu’il est assis.

Le menton sur la poitrine, le naze dans la moustache, le bada enfoncé jusqu’aux sourcils, il en écrase avec un petit bruit de cafetière électrique.

— C’est à propos de quoi ? balbutie-t-il en se fourbissant les fanaux.

— A propos d’Athènes, dis-je. Vise un peu, bonhomme chétif.

Par le hublot, je lui montre la ville blanche dans l’éblouissante lumière. Sur sa colline, le Parthénon étincelle. On le dirait en sucre.

— Je comprends qu’on en fasse des presse-papiers, murmure le fossile. Vu d’ici, il ressemble à un presse-papiers. C’est frappant, non ?

Ayant rendu ce solennel hommage à l’art grec, il se rendort pendant que la Caravelle opère sa manœuvre d’atterrissage.

— Bon, et maintenant ? s’inquiète la Vieillasse après que nous eûmes souscrit aux formalités douanières.

— On file à la police, je suis attendu par le commissaire grec chargé de l’enquête.

Un bahut nous drive à tombeau ouvert chez les poulagos.

Pinaud somnole sur sa banquette, indifférent aux rues que nous traversons. La lumière de ce bel après-midi m’enchante. Faut être truffe, dans le fond, pour subir les mauvaises saisons alors que le mahomet continue de se baguenauder. Les hommes ne pensent pas au fait que l’été ne meurt jamais sur le monde. Ils disent qu’il est parti, sans songer qu’il est simplement ailleurs et qu’il suffirait de le suivre dans ses pérégrinations.

A l’hôtel de police, le commissaire Kelécchimos nous attend. C’est un homme jeune et soucieux, aux cheveux coupés court, vêtu d’un beau complet à rayures mauves et bleues et qui parle couramment français à l’aide d’un interprète. Ce dernier accessoire pourrait être nain s’il ne s’obstinait pas à porter des talonnettes. Il n’est donc que nabot, mais le jour où il sera chauve et en savates, il trouvera aisément de l’emploi chez Bouglione. Sa petite taille ne l’empêche pas de manier notre langue impeccablement et sans accent.

— Le commissaire Kelécchimos vous souhaite la bienvenue et se met à votre disposition ! déclare-t-il.

Voilà qui démarre bien. On se présente, on se congratule, on se demande réciproquement des nouvelles du Parthénon et de la tour Eiffel. On enregistre avec satisfaction que ces deux œuvres d’art n’ont pas encore été volées et on entre dans le vif du sujet. C’est Kelécchimos qui a pris l’affaire en main. Illico je lui pose la question pinaudière à propos de la nature du fret transporté par le Kavulom-Kavulos. La réponse nous désenchante : des voitures. Outre la « Victoire », le bateau ramenait des Renault. Ces dernières ont été déchargées à Athènes. Non, elles n’étaient pas emballées ! Oui, seules les autos furent déchargées. Kelécchimos avait eu la même idée que nous à propos de cette escale au Pirée. Mais son enquête démontre formellement que la dame sans tronche n’a pas mis pied à terre ici.

Quelle hypothèse formule le confrère ? Nous essayons d’interpréter sa réponse véhémente, mais il parle trop vite et trop en grec pour que la chose nous soit possible. Force nous est donc d’attendre la traduction.

Selon Kelécchimos, la substitution a eu lieu en France et c’est le faux emballage qu’on a hissé à bord du Kavulom-Kavulos. Comme ça pas de problème pour lui : il rejette les responsabilités.

Je le regarde. Il me brandit un désarmant sourire.

— La tentative de suicide du commandant nous semble étrange, dis-je à l’interprète, nous aimerions avoir des renseignements à propos de cet officier.

L’expression de notre confrère se durcit. Il baratine un bon bout de temps en évitant de nous regarder. Le nabot-traducteur semble gêné.

— Le commissaire dit qu’il s’agit d’un vieil officier irréprochable dont la carrière touche à sa fin et fut bien remplie. Par ailleurs on ne saurait suspecter un commandant de la marine grecque.

— N’est-ce pas à la suite d’un interrogatoire prolongé que ledit commandant a fait cette dépression ?

Nos partenaires échangent une série de « Z » renversés et de « O » barrés. La réponse arrive enfin :

— Le commandant n’a pu admettre qu’une œuvre d’art placée sous sa responsabilité disparaisse, son sens de l’honneur est tel qu’il a cru ne pas pouvoir survivre à ce scandale.

Le détritus me tire par la manche.

— On perd son temps avec ces gens-là. San-A., m’avertit-il. Ce commissaire est un orgueilleux. La preuve : il est myope et a retiré ses lunettes pour nous recevoir, il en a encore la marque sur le nez. Elles dépassent de sa poche supérieure. Tu constateras qu’il cherche à les faire passer pour des lunettes de soleil, mais qu’en réalité elles sont à doubles verres. Il a décidé de jouer les Ponce Pilate et veut nous persuader que le vol a été commis en France. Son interprète n’est qu’une manière de faire de l’obstruction car lui-même comprend le français parfaitement, ça se voit à ses yeux lorsque tu poses des questions. Il réagit avant que le petit bonhomme ne les ait traduites.

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3

Vous devez bien penser que je n’allais pas laisser passer celui-là !