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Le commandant joint ses sourcils épineux.

— Vous ne savez pas qui était le duc de Coquil-Saint-Jacques ?

— Je sais qu’il était riche, savant, français, catholique et vacciné, dis-je, mais là s’arrête pour moi sa biographie.

Il était passionné de recherches océanographiques, déclare mon interlocuteur.

— Ah oui ! dis-je (sincèrement car je viens de me rappeler ce détail). N’est-ce pas lui qui a fondé le musée océanographique de Fouzy-les-Bains dans le Cantal ?

— Exactement !

— Ainsi le Kavulom-Kavulos lui appartenait ?

— Oui, à l’époque le navire s’appelait Le Goujon Frétillant. Lors de la mort du duc, la duchesse l’a vendu à l’armateur grec Onisoikimalis et il a été reconverti en cargo.

Le Délabré revient à ses moutons.

— Pourquoi est-il, mieux qu’un autre, apte à aborder Samothrace ?

— Parce qu’il est à fond plat.

— Comme la poêle Téfal ? lancé-je étourdiment.

— Exactement, riposte mon vis-à-vis qui n’a pas lu mon paragraphe consacré à la stupidité des gens voulant avoir l’air d’être « au courant ».

— Et pourquoi est-il à fond plat ? insiste le Pinuchet.

— Pour faciliter l’exploration… Le fond du bateau était en verre, un verre spécial capable de supporter une pression de 122 fromagiques bismuthés au millimètre carré dans le sens de la largeur !

— Fantastique ! décrète le Bredouilleur, lequel n’a pas non plus lu le paragraphe que je vous cause.

— Et ça n’est pas tout, il est pourvu d’un sas virgulateur à mouvement rectifié permettant des plongées à basse fréquence.

— Voyez-vous, bêle l’Admiratif. Puis, courageusement, il demande :

— En somme, ça consiste en quoi ?

— Vous aimeriez que je vous montre ?

— Volontiers, acceptons-nous.

Lors, l’officier nous emmène dans un coin du bâtiment situé entre la poupe et la proue, mais un peu plus à gauche. Ce qu’il nous désigne ressemble à une trappe pratiquée dans le pont. Il y a deux volets en acier surexposé, hermétiquement joints.

— Alpha bêta gamma delta epsilon ! crie notre guide à un marin.

Evidemment, ne parlant pas grec, je suis incapable de vous donner la traduction de cette phrase, toujours est-il que le marin actionne un treuil. (La mère rit de mon treuil, comme disait le patron d’une péniche). Nous nous penchons au-dessus d’un puits que le soleil n’éclaire pas jusqu’en ses profondeurs.

— Au fond, un autre panneau coulisse, explique le commandant, permettant aux plongeurs de descendre par là.

Nous nous penchons. Des échelons de fer sont soudés à la paroi. A ma vive surprise, le Délectable s’engage par l’orifice et commence à descendre.

— Où vas-tu ?

— Examiner ! me répond sa voix réverbérée par le conduit.

Je me tourne vers l’officier.

— Vous disiez qu’on avait reconverti le bateau initialement équipé pour les explorations bathymétriques en cargo, d’où vient qu’on ait laissé subsister ce sas ?

Il fait la moue.

Pour éviter des frais. S’il est facile de faire du neuf à la coque[7] il est par contre très coûteux de modifier la structure interne du bateau. D’autant plus que le volume utilisé par ce sas n’est pas très grand.

Le puits métallique grossit le bruit de la descente pinuchienne. Les semelles du Débris raclent les barreaux et son souffle ressemble à celui d’un lion superbe et généreux. Enfin il arrive au fond du sas. Je vois danser tout en bas le maigre faisceau d’une loupiote. L’examinateur est à pied d’œuvre. Je le laisse « investiguer » et je regagne les appartements du commandant. Deux marins sont debout dans le couloir, qui nous attendent en compagnie de Sertékuis.

— Voici Féfissa et Sakapélos, ma commandante, annonce ce dernier. En ce qui concerne Tédonksikon et Olimpiakokatris, je vous rappelle qu’ils ont été débarqués au Pirée : intoxication alimentaire !

— Ah ! fichtre[8], murmure l’officier.

Il va compulser le livre de bord.

— Effectivement ces deux hommes ont été pris de vomissements et hospitalisés à l’escale du Pirée, convient-il.

Le livre de bord, c’est comme le port-salut : c’est écrit dessus !

En moi, y a mon petit lutin qui fait tilt.

Je ferme la porte de la cabine, pour rester seul avec les marins. C’est Sertékuis qui m’interprète. Grâce à lui, j’apprends que Féfissa et Sakapélos avant d’être engagés sur le Kavulom-Kavulos naviguaient tous deux à bord du Sibélétron, un pétrolier jaugeant dix mille tonneaux, dont trois de Juliénas. Leur bâtiment ayant pris feu, à la suite d’une imprudence de l’armateur qui avait jeté son cigare dans la citerne principale[9], ils durent chercher du boulot ailleurs.

Je leur demande s’ils connaissaient les deux autres matelots engagés en même temps qu’eux et ils me répondent que non. Leurs certificats sont bons. Ces deux garçons ont l’air sérieux.

— Vous avez participé à l’embarquement de la « Victoire » à Marseille ? leur demandé-je.

Ils répondent négativement, ce qui signifie qu’ils branlent le chef de gauche à droite, puis de droite à gauche.

— Et au Pirée, vous avez aidé à la manœuvre de débarquement du fret ?

— Non, déclare Féfissa, nous autres, nous sommes mécaniciens et nous travaillons dans la chambre des machines.

Que ne le disaient-ils plus tôt.

— O.K., merci, les congédié-je.

Une main me frôle la hanche. Je constate avec un indicible effroi qu’elle appartient à Sertékuis.

— Vous avez des yeux merveilleux, me gazouille la matelote, j’adore les Françaises !

J’hésite entre lui expliquer à ma façon que je ne suis pas celle qu’il croit, ou le lui laisser croire histoire de rigoler. Pour prévenir toute fausse manœuvre je m’adosse à la cloison.

— Dites-moi, Sertékuis, je lui gazouille, vous avez des tuyaux à propos de Tédonksikon et Olimpiakokatris ?

— Comment cela, des tuyaux ? questionne-t-il, intéressé.

— D’où venaient ces deux hommes ?

— Ils avaient travaillé à bord d’un bateau américain, me renseigne la chère âme.

— Il y a un médecin à bord ?

Elle fronce ses sourcils peints comme ceux d’une poupée de porcelaine.

— Non, mais c’est le maître d’équipage qui fait fonction d’infirmier…

— J’aimerais le voir…

Sertékuis se penche sur moi et son souffle parfumé me file le vertigo.

— Vous êtes très exigeant, grand méchant ! s’enhardit-il.

Je me demande s’il va m’être possible de me contenir. Stoïque, je décide que oui.

— Quelle est votre lotion d’après rasage ? me susurre-t-il. Ce qu’elle sent bon !

« Va-te-faire-voir », de chez Milliat Frères, lui dis-je. C’est à base d’essence de nouilles en bâton.

Frôleuse, il laisse tomber un coin de son maillot pour dénuder son épaule gauche. Intenable, qu’elle est, le mousse. C’est votre San-A. chéri qui commence à s’en faire de la mousse, pour le coup !

— Allez me chercher le maître d’équipage ! enjoins-je.

Son regard de biche me virgule un reproche mouillé et il s’éloigne. Le commandant qui se demande ce que je suis devenu apparaît.

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7

C’est drôle, hein ?

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8

Il voulait dire « Ah ! foutre », mais devant moi il n’a pas osé.

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9

Il était assuré par les Lloyds.