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— Qu’est-ce que vous racontez ?

— La pauvre mémé est morte ! C’est de son âge, comme me le faisait remarquer un de mes copains de la Sûreté, y a pas plus de dix minutes…

— Morte ! s’exclame la copine de lit.

— Et c’est à se demander si elle a jamais vécu.

Ces petites chéries réalisent seulement le saugrenu de ma présence à leur chevet. Elles se regardent. La chanteuse remonte le drap pour se voiler les flotteurs qu’elle a plutôt chétifs. Berthy demande en regardant la lourde :

— Et Ambistrouyan ?

— Il s’est endormi brusquement en me voyant !

Elles bichent les copeaux. Berthy se met à glapir :

— Qu’est-ce que vous faites ici ? qui êtes-vous donc ? que nous voulez-vous ?

Ça fait beaucoup de questions dans une même phrase. Je les traite point par point, comme mon prof de français m’a appris à le faire au lycée Papillon où j’ai fait mes études.

— Je viens vous faire la bise.

Et je l’embrasse à tout-va, car faut vous dire que, vue sous cet angle, elle a tendance à vous chanstiquer les rognons.

— Je suis le commissaire San-Antonio, l’as des as de la rousse…

Et de produire ma plaque professionnelle à l’appui de mes dires.

— Et je ne vous veux que du bien, à condition que vous soyez très franches avec moi l’une et l’autre, conclus-je.

Le jour où les Pygmées ont reçu sur la frime leur premier avion, ils ne devaient pas être plus sidérés.

Profitant de leur émoi, je passe aux précisions.

— Lorsque je suis parti du Mistigri avec la vieille tout à l’heure, qui est sorti sur nos talons ?

Mlle Chochote-du-Gland paraît ne pas comprendre et sa potesse non plus. Je m’explique avec une méritoire patience :

— Voyons, mes poulettes, nous festoyions. Et puis on s’est barrés, la mère Soubise et moi, tu t’en souviens, Berthy ?

Elle opine.

— Quelqu’un de la bande est alors sorti tout de suite derrière nous ! Je veux savoir qui, c’est clair ?

Mais elle secoue véhémentement sa tête de linotte.

— Personne n’est sorti derrière vous, je le jure ! Pas vrai, Maryska ?

Elle ajoute aussitôt :

— C’est vrai que tu n’étais pas là !

Je mate Maryska et je vois friser son regard. C’est fugace, mais je suis certain de ne pas m’être gouré : elle a eu un éclair de panique dans les yeux. Voilà qui m’intéresse.

— C’est vrai, poupée, que vous n’étiez pas là ! dis-je. Et maintenant vous êtes là ! Qu’avez-vous fait dans l’intervalle ?

— Je suis montée me coucher.

Elle est braquée tout à coup. On la devine sur ses positions et bien décidée à n’en pas bouger. Maintenant c’est Berthy que je considère. Je constate qu’elle paraît surprise. Visiblement, la réponse de Maryska la trouble, car elle n’est pas conforme à la vérité.

Mon petit doigt qui en connaît long comme une facture de garagiste sur l’âme humaine me suggère que la chanteuse sans voix ne doit pas avoir la blancheur Persil. D’ailleurs la tête de cette Maryska ne me revient guère. Elle a des yeux verts, de garce 1900, et une bouche aux commissures tombantes.

— Écoute, ma jolie, lui dis-je, je ne suis pas un fortiche pour ce qui est de lire les lignes de la main, mais je peux néanmoins te prédire les pires ennuis au cas où tu ne parlerais pas. Y a déjà tellement de macchabes dans cette affaire que le maire de Lyon va sûrement débloquer des crédits pour la création d’un nouveau cimetière. Ça m’étonnerait que ton teint de pêche résiste à l’air confiné des cachots.

— Maryska ! bredouille Berthy, mais qu’est-ce que tu as fait ?

L’autre hausse les épaules.

— C’est une histoire de fou ! affirme-t-elle.

Comme pour lui donner raison, j’entends deux détonations à l’étage au-dessous.

CHAPITRE VIII

Il a pris la première bastos dans le bide, où elle lui a constitué un second nombril, et la seconde dans la tempe. Plus d’Ambistrouyan ! La porte de service du Mistigri est à nouveau ouverte. Un qui a drôlement envie de hurler à la mort, c’est San-Antonio, croyez-moi. Ça tourne au gag, cette histoire. Il suffit que je m’annonce quelque part pour qu’aussitôt on enregistre une viande froide.

J’enjambe le cadavre et je fonce comme un Jazy surmultiplié dans la rue. J’ai dû mettre une vingtaine de secondes à partir des détonations pour : quitter la chambre, dévaler l’escalier, constater le désastre et sortir. Seulement le meurtrier n’est pas resté les deux pieds dans le même sabot non plus.

J’aperçois une bagnole tout au fond de la rue. Je cours à la mienne et je démarre. Mais quand j’atteins le bout de la street, je ne vois plus rien. Par acquit de conscience, je me cogne un petit cent cinquante dans le quartier. Je n’aperçois que quelques voitures de presse et je m’abstiens de les stopper. Quand on est dans une période de pommade, il faut attendre que ça se passe, quoi !

Je rabats sur le Mistigri. Berthy est immobile devant le cadavre de son copain. Sa pâleur fait songer à un pot de crème fouettée. Elle se masse les seins, bêtement, en hochant la tête d’un air égaré.

— Maryska ? je lui demande.

Elle sort de sa louche extase.

— Partie…

— Où ?

— J’sais pas…

C’en est trop ! Je me mets à trépigner comme une gonzesse. J’aimerais m’avoir en face de moi pour m’administrer la dérouillée des big days ! Au lieu de faire ce mic-mac, j’aurais dû enchrister tout ce petit monde, ni plus ni moins. Seulement môssieur le commissaire de mes deux a voulu marner en solitaire. Il fait dans le génie, San-Antonio ! Y a des moments, il se prend pour Jeanne d’Arc, lui aussi ! Conclusion : il se retrouve le bec dans l’eau, et pas qu’un peu ! D’ici pas longtemps et peut-être avant, les collègues de Lyon vont longtemps rigoler que ça fera déborder le Rhône. Ce qui s’est passé, je crois le piger : Ambistrouyan a reçu ce coup de tube d’un complice qui lui annonçait sa venue. Le complice est arrivé, il l’a trouvé menottes aux poings et il a préféré supprimer ce petit camarade qui semblait si mal parti. Les témoins, ça ne fait joli que dans les noces… La pauvre patate san-antoniaise affolée se lance à la poursuite d’un feu rouge… Et pendant ce temps, l’autre complice, Maryska, se déguise en courant d’air. Que reste-t-il au brillant commissaire ?

Une petite grue sans importance, bécasse comme pas deux et qui ne sait même plus si on est mercredi ou si elle doit prendre un bain de pieds de moutarde.

Autrement dit je l’ai in the baba ! Maintenant la gosse sanglote.

— Espèce de courge ! hurlé-je, va te fringuer et arrive en vitesse !

— Vous m’arrêtez ! Mais j’ai rien fait ! larmoie-t-elle, je comprends rien à tout ça.

— Obéis !

Elle monte en sanglotant. Pendant qu’elle souscrit aux exigences de la plus élémentaire pudeur, j’ôte les poucettes à Ambistrouyan, puisque aussi bien il n’en a plus besoin.

Je vais au bar pour me servir un grand verre de scotch. C’est le genre de petit déjeuner qui vous fait grincer des dents, mais je ne vois pas d’autre thérapeutique pour combattre l’immense lassitude qui s’empare de moi. Quelle hécatombe, mes aïeux : la mère Léo, son larbin, son camarade Ambistrouyan, le tout en moins d’une heure ! Si après ça vous trouvez qu’il n’y a pas suffisamment d’action dans mes livres, achetez-vous un pliant et allez vous asseoir à la morgue !

La môme radine, toujours reniflante.

— Je veux un avocat ! dit-elle. J’ai rien fait, je sais rien… On venait de bien rigoler et puis…

— Écrase, gamine, soupiré-je, tu dois bien comprendre que ton petit camarade n’est pas mort d’une hernie étranglée et que ça va drôlement remuer dans le secteur. Si tu m’aides, j’oublie que tu étais en sa compagnie lorsqu’il a morflé ces deux coups d’arquebuse, c’est un beau cadeau, non ?