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Elle en renifle de surprise.

— C’est vrai que vous feriez ça ?

— Parole, mais je te le répète : à condition que tu m’accordes tout ton concours. Banco ?

— Je ne demande pas mieux…

— C’est O.K. ! Dis-moi, ravissante, es-tu au courant du job de ce pauvre cher garçon ?

Elle hausse les épaules.

— Mais… il tenait ce bar.

— Et à part ça ?

— Je ne sais rien.

— Tu vivais avec lui ?

— Depuis quatre jours seulement. Moi j’arrive de Nice. J’étais entraîneuse dans sa boîte, et puis…

C’est bien ma veine. Je m’assure le concours d’une tordue qui ne connaît rien de rien. Une sorte d’oie blanche qui ne serait plus blanche !

— Qu’est-ce que tu sais de Léo ?

— C’était une vieille copine à la bande. Ils allaient chez elle faire les c…

— Et sur la bande elle-même, que peux-tu me dire ?

— Pas grand-chose… Vous les avez vus, hein ? Les trois hommes sont copains. Nous, les filles, on suivait le mouvement…

— Ambistrouyan ne t’a pas fait de confidences ?

— Alors ça, pas la moindre…

— Il possède un autre appartement ?

— Je crois pas.

Je lui fais signe de me suivre et nous remontons dans la carrée. Je me mets à la passer au peigne fin. Tout en déplaçant les meubles, je continue de questionner la souris :

— Dans la soirée, chez la vieille, il a reçu un coup de fil d’un certain Fred, tu vois qui c’est ?

— Non.

— Tu n’as jamais entendu parler de lui ?

— Si : hier.

— Par qui ?

— C’est Léopold qui a dit à Ambistrouyan que Fred arriverait probablement aujourd’hui, c’est-à-dire hier puisqu’on n’est plus aujourd’hui.

Ce galimatias lui provoque une crise d’hilarité qui jouxte la crise de nerfs.

— Tu sais où il crèche, Léopold ?

— Oui ! hoquette-t-elle à travers son rire.

Je ne lui demande pas de préciser car je viens de tomber en arrêt devant un petit coffre-fort encastré dans le mur. Ce coffre était caché par le montant du lit. C’est marrant comme les truands ont des astuces de petits-bourgeois !

J’examine la serrure et je me dis qu’avec mon sésame je dois pouvoir en venir à bout. C’est un coffre-fort plutôt faible. Le modèle au-dessus du coffret à bijoux, en quelque short. Il n’a pas plus de combinaison que la môme Berthy. Trois tours de clé, on appuie sur un bouton logé à l’intérieur du moletage et ça s’ouvre comme une huître abandonnée sur une plaque chauffante.

— Vous avez été serrurier ? murmure la gosse.

— Non, mais j’ai lu la vie de Louis XVI, dis-je…

Le coffiot ne recèle ni documents ni diams ni fric, mais seulement un tourne-disque portatif. Marrant, non ?

Je sors l’objet de sa planque, vachement surpris qu’on fasse tant de mystère pour une chose aussi courante. La légèreté du tourne-disque me surprend. Il pèse une plume ! Je l’ouvre. Je regarde le plateau, le bras du pick-up…

Ça ne me satisfait pas. À force de les bricoler, je finis par constater que le plateau est en fait un second couvercle et qu’il n’y a que du vide par en dessous. Si un jour la Callas vous cloque un de ses disques, vous avez intérêt à vous acheter un Pathé Marconi plus perfectionné. C’est un phono pour fantôme, ça.

— Qu’est-ce que c’est ? demande curieusement Berthy…

— Une valise truquée, réponds-je.

— Pourquoi truquée ? demande cette candide donzelle.

M’est avis qu’elle en sait moins long que l’oiseau qui tète encore sa mère, Berthy. Une petite fille dévergondée, voilà ce que c’est !

— Pour charrier des trucs délicats au nez et à la barbouze des flics et des douaniers, réponds-je. Elle est de dimensions honnêtes, admets ! On peut y loger plusieurs millions en faux talbins ou plusieurs kilos de stup.

Elle sursaute.

— De la drogue !

Au lieu de répondre, je renifle l’intérieur de la boîte. Après quoi, je prends la petite loupe qui ne me quitte jamais et j’examine quelques grains d’un blanc gris tapissant le fond du coffrage. Pas d’erreur, c’est de la coco. On dirait que j’ai mis la main sur un gentil trafic, les gars. Du coup, ça me console un peu de mes déboires.

— Viens.

— Où allons-nous ? balbutie la gente demoiselle.

— Dire bonjour à Léopold. Le matin on a les idées nettes, je suis certain que la conversation peut être édifiante.

* * *

Léopold habite cours Gambetta, près de la place du Pont. Sa concierge sort les caisses d’équevilles au moment où nous radinons. Dans cette laborieuse cité, la vie commence très tôt. Nous escaladons les trois étages, plus l’entresol, ce qui fait quatre, et je tire la sonnette de cuivre de Léopold avec tant de vigueur que l’anneau me reste dans les doigts. Un judas est percé dans le vantail. Je me plaque contre le mur, laissant ma compagne seule en vue sur le palier en guise d’appât.

— Tu diras exactement comme moi ! lui enjoins-je, quelle que soit l’énormité de ce que je pourrai proférer, vu ?

Elle actionne ses ramasse-miettes pour me rassurer. J’attends. Au bout d’un bout de moment un glissement se fait entendre dans l’appartement. Le portillon du judas claque et le verrou actionné pousse un gémissement qui ferait pleurer une bouteille d’huile. Le gars Léopold se montre, dans un fabuleux pyjama noir boutonné sur l’épaule. Je me fais voir. Vous ai-je dit que je m’étais muni du faux tourne-disque ? Non ? Alors voilà qui est fait !

— Salut, Léopold, gazouillé-je. On vous dérange pas, j’espère ?

Il a mis son râtelier pneumatique dans un verre d’eau et il me rappelle de façon frappante une tirelire que j’ai beaucoup aimée.

— Vous ! clapote-t-il.

Il zieute Berthy, l’œil plus indécis qu’un cannibale sur le point de se farcir un ange et qui se demande s’il va commencer par l’aile ou par le pilon.

— On peut entrer ? poursuis-je. Surtout ne vous tracassez pas si le ménage n’est pas fait.

Son logement est petit-bourgeois, presque austère. Les peintures n’ont pas été refaites depuis l’assassinat de Sadi Carnot, les meubles cirés sentent le vieux. C’est plein de tentures qu’on n’a pas battues depuis leur majorité, de cache-pots, de plantes vertes pas vertes, de lustres à franges, de perlouzes et d’objets marocains.

Il nous drive jusqu’à la salle à manger. Les stores sont fermés et attachés à la barre d’appui avec du fil de fer, ce qui indique qu’on les remonte une fois par millénaire ; on se croirait dans un sanctuaire.

— Qu’est-ce que c’est, chéri ? demande une voix chevrotante.

— Des amis, maman, ne t’inquiète pas, répond le vieux crabe avec componction.

Il baisse le ton :

— Maman est rentrée de la campagne, dit-il à Berthy.

Je le découvre soudain sous un autre aspect. Ce n’est plus le vieux salingue qui fourrageait sous les jupes des dames quelques heures auparavant (et au paravent) mais un vieux, très vieux garçon vivant avec sa maman. San-Antonio avec trente ans de plus, quoi !

Notre visite semble terriblement l’emmouscailler.

— Qu’y a-t-il ? demande le digne crabe.

— J’aimerais savoir ce que vous avez fait depuis que je vous ai quitté au Mistigri ! attaqué-je.

Il crie « Chuuut » en me montrant la cloison. Il a peur de sa maman, le pauvre biquet. Un refoulé qui n’a jamais pu s’affranchir de la tutelle maternelle ! Toutes les mères ne sont pas comme Félicie, hélas !