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— Il a pas bientôt fini de dire la messe, c’t’endoffé de frais ! grogne le Gravos. J’ai coupé ces arbres parce que c’étaient des petits. J’allais pas me farcir tout de même des phèdres du Lit-Blanc ou des peupliers de cinquante mètres, faut être logique. Bon, puisqu’y rouscaille donnes-y dix mille balles et qu’on n’en parle plus !

— Dix mille francs ! hurle le pépiniériste. Mais il y en a pour cinq ou six millions !

Re-colère du Gravos.

— Alors là, faudrait pas nous prendre pour des lavedus ! Ça remet cher le fagot, explose l’Énorme.

— Je prends tout sur moi, fais-je au pépiniériste…

— Même mon tracteur !

— Même votre tracteur. Voici ma carte, nous avons des assurances et…

Je la ferme, tout en gardant la bouche ouverte. Cela peut sembler paradoxal, et pourtant… Imaginez-vous que le Léopold a disparu. Au début de la scène il se tenait à deux mètres de moi, mais je ne le vois plus.

— Où est passé mon gars ? hurlé-je.

— Le ramolli de la frime qui t’accompagnait ? fait le Gros.

— Oui !

— Je l’ai vu qui s’esbignait à reculons.

— Où ?

— Par là !

Je m’élance, avec le bûcheron d’élite sur les talons. Quelque part dans le bois, un oiseau s’envole en poussant des cris sinistres. J’opte pour cette direction. Mais il n’y a pas de Léopold. Cet enviandé nous a floués.

— Il est passé par ici ! déclare le Mastar, regarde…

Il me montre la pochette du vieux beau accrochée à une ronce. Nous continuons à explorer le sous-bois. Je me dis que si je ne remets pas la paluche sur Léopold, je n’oserai jamais plus réapparaître devant Javer. Il ne me restera que la ressource de me téléphoner une praline dans la coquille ou de m’embarquer comme soutier à bord d’un bateau à voiles.

Nous avons atteint l’autre extrémité du boqueteau et une immense terre labourée s’étend sous nos yeux. L’horizon est vide. Pas d’erreur, notre vieille guenille se planque dans le bois. Faut agir ! Et agir quickly, comme disent les Japonais lorsqu’ils ont appris l’allemand avec une nurse anglaise. On se met à battre les fourrés à tout-va, le Gros et moi.

C’est l’Enflure qui dégauchit le premier le poteau rose.

— Vise un peu ! me hèle-t-il.

— Quoi ?

— Ben, viens voir…

Je m’annonce vers un petit monticule. Des ronces le cernent. Béru me désigne une trouée dans les plantes épineuses.

— V’là le terrier par où ce que ton renard s’a enfui.

Je me précipite. Effectivement, c’est bien l’entrée d’un souterrain.

Alors là, on est dans un vieux Fantômas d’avant l’autre guerre, mes chéris.

J’y peux rien, faut vous y faire !

CHAPITRE XII

Des lambeaux de vêtements adhèrent aux épines. Pas d’erreur : Léopold est bien passé par là. Pas si nave que ça, le vieux chpountz ! J’ai la déroutante impression d’être cocu comme Béru soi-même ne l’a jamais été. Car enfin, le coup du petit bois dans lequel prend (ou finit) un souterrain connu du vieux daim ne fait pas partie d’une coïncidence. Il s’agit d’un truc savamment calculé et destiné à permettre l’évasion du gars Popold. Il n’y avait personne à ce rendez-vous, c’est la meilleure des preuves !

Cette fois, je pige un paquet de trucs, les gars. Vous allez peut-être dire que j’y ai mis le temps, mais enfin ça y est, maintenant ça carbure rondement.

Je m’élance, courbé en deux, dans l’étroit boyau. Béru me file le train pendant un bout de temps, mais la gorge déjà étroite se rétrécit encore et le pauvre minou ne peut plus trimbaler sa brioche par ce passage. Il se met à bramer des : « Attends-moi, spèce de commissaire de mes… » dont je n’ai cure et auxquels d’ailleurs je ne réponds pas.

Il est difficile et pour mieux dire pas commode d’évaluer la distance lorsqu’on se déplace dans un souterrain avec comme unique guide une petite lampe électrique faite pour considérer des amygdales. Je progresse dans la boue à une allure réduite. De l’eau glacée me dégouline dans le cou et par instant je pose la main sur des surfaces visqueuses on ne peut plus désagréables. Néanmoins, après un bon bout de moment, ma balade dans les ténèbres s’achève.

Un ovale de jour point au loin, qui grandit à mesure que je marche. Je finis par déboucher sur un chemin creux. Des traces de pneus sont visibles. Des gouttes d’huile souillent l’herbe tendre du sous-bois de même que des traces de glaise laissées par des souliers aussi crottés que les miens.

Quelqu’un attendait Léopold à la sortie. Et ce quelqu’un l’a embarqué pour une destination inconnue. Je mets mes pognes en porte-voix et je hurle : « Béruuuuu ! »

Des oiseaux affolés par ce nom s’envolent dans un lourd claquement d’ailes. La voix du Gravos retentit, plus proche que ne me le laissait supposer la durée de mon expédition.

— J’sus t’iciiii !

On se rejoint. Ensemble nous gagnons ma Jag.

— Et alors ? demande l’Enflure en prenant place.

— L’enfant se présente de plus en plus mal.

— Le mec t’a fabriqué ?

— Yes, monsieur. Et je vais te dire une chose : si je ne lui remets pas la main dessus dans l’heure qui suit, il ne me restera plus qu’à expédier ma démission et à me retirer aux Nouvelles-Hébrides.

— C’est dans les Pyrénées-Orientables, ça ? demande le Gravos, toujours épris de géographie.

Je fonce jusqu’à ce que je rencontre Javer et ses archers.

— Ça marche à bloc, lancé-je joyeusement. Faites cerner toutes les routes de la région. Notre homme et ses complices essaient de s’échapper, c’est merveilleux, on va coiffer toute la bande.

Là-dessus, je déhotte méchamment dans le fracas de mes six cylindres survoltés. Un peu soufflé, il est, Javer. C’est comme si un tordu lui disait : « Chic, y a le feu chez moi ! » Il doit se dire que les flics parisiens ont des méthodes révolutionnaires.

Enfin, qu’il se dise ce qu’il veut et qu’il aille se faire chromer le coccyx !

— Où qu’on va ? s’informe Bérurier.

— Lyon.

— Quoi fout’ ?

— Rendre visite à une vieille dame…

Car vous avez parfaitement compris, malgré votre atrophie caractérisée de la cervelle, que je me propulse, tel que vous me voyez, chez Léopold. J’ai deux mots à bonnir à sa môman. Deux et peut-être trois ! Voilà une daronne qui ne me paraît pas très catholique. Car enfin c’est elle qui m’a pigeonné. Gambergez un brin, et tant pis si vous coulez une bielle. Lors de ma seconde visite chez Léopold, la vioque m’a dit qu’elle me reconnaissait à ma voix, vous vous souvenez ? Si elle reconnaissait ma voix, c’est qu’elle l’avait entendue. C.Q.F.D. ! Si elle l’avait entendue, elle a su que j’arrêtais son chiare. Toujours O.K. ? Elle m’a brodé à la main cette histoire de la fille aux lunettes noires et aux accents multiples pour m’intriguer et elle m’a dit qu’elle avait aiguillé la fille sur Grangognant pour que j’y aille… Vous mordez bien le topo ? Elle a téléphoné chez Soubise en sachant que j’allais lui répondre. Elle a dit qu’elle voulait voir Léopold et qu’elle le connaissait pour m’obliger à envoyer notre ami en chair et en os. Elle a cloqué le rancard dans ce bois parce qu’elle savait que son vieux bambin comprendrait. Elle savait qu’il connaissait le souterrain ! Elle a voulu lui donner sa chance à cet enfant. C’était la seule chose à tenter pour le soustraire aux griffes de la police ! Et elle voulait le faire évader parce qu’elle savait qu’il risquait gros. Au moment que je vous cause, je suis prêt à vous parier ceci contre cela que Léopold ne s’est pas contenté de traficoter de la drogue.