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— Oui, m’sieur.

— Eh bien ! raconte…

Il se recueille. Puis, timidement, murmure :

— Je pourrais pas avoir un autre verre de vin blanc ?

— Tiens, mon mignon, gazouille l’Horreur bérurienne. C’est gentil à c’t’âge-là !

Et il tend un verre de blanc au lardon qui l’écluse cul-sec.

— Voilà, fait alors le gamin, un soir je rentrais à la classe, y a mâme Soubise, la chanteuse qui se promenait avec le vieux de l’appartement…

À la description qu’il me fait, je reconnais Léopold.

— … « Dis-moi, mon chéri, qu’elle me dit, c’est toi qui as trouvé la boîte avec le bouchon de cristal ? » « Oui, mâme », que je réponds…

J’ai les méninges déphasées. Voilà qu’après le chapitre Fantômas, on aborde le chapitre Arsène Lupin. Le bouchon de cristal ! Qué zaco ?

— C’t’un gros bout de verre, bien taillé, que j’ai trouvé dans le préau où que le maître m’avait mis en punition, explique Louis Dubois.

J’insiste pour avoir un complément d’information et je l’obtiens :

— Je m’es assis sur le billot qui sert qu’on y coupe le bois. À c’t’endroit le plancher est délatté. Pour m’amuser j’ai fini d’arracher une latte. Alors j’aperçois dans le trou une espèce de paquet. C’était plié dans un bout de journal allemand. J’y défais et je trouve une boîte en cuir. J’ouvre la boîte, dedans c’était le bouchon de carafe…

Je ne sais pas si cela vous produit le même effet qu’à moi, mais cette histoire de bouchon de cristal qui se greffe tout à coup sur l’enquête me passionne.

— Et après, mon minou joli, continue…

— Quand les autres ont été partis, le maître est venu me délivrer. Je lui ai fait voir ce que j’avais trouvé. Il a été surpris et m’a dit qu’il fallait pas en causer aux autres, vu qu’il me mettrait huit verbes.

— Et t’en as causé à personne, p’tit homme ? demande le Gros, attendri.

— Si, fait Jean Charron. Il m’y a causé à moi parce qu’on est amis.

— Mais juste à lui ! certifie Dubois.

Je sens que si je laisse flotter les rubans, faudra des crochets à broder pour arriver à démêler l’écheveau.

— Ne nous emballons pas, tranché-je ; quand Mme Soubise t’a-t-elle demandé si c’était toi qui avais trouvé le bouchon de carafe ?

— Le lendemain, quand c’est que je rentrais de l’école.

— Et alors, que s’est-il passé ?

— Elle a dit au vieux de l’appartement de m’emmener balader dans sa belle voiture. C’était une MG 1600 avec hart-hop.

« J’ai cru qu’on allait juste faire le tour du pays. Mais il a pris par le chemin de la Vache-Morte, et puis par l’hameau du Bossu, et puis par les coteaux de Roblochon, et puis par les marais de la Crapaudière, et puis…

— Brèfle, conclut Bérurier, il t’a amené jusque chez lui ?

— C’est ça. Au début y avait sa mère qu’était gentille et qui me faisait bouffer des bons plats…

— Quoi, par exemple ? demande le Gravos dont l’œil s’éclaire d’une lueur d’intérêt.

Mais je supplie le môme de nous épargner la liste de ces mets rarissimes. Béru en conçoit un certain ressentiment et essuie tristement la salive qui déjà perlait à ses babines.

— Ensuite, gamin ?

— Je me faisais du mauvais sang rapport à mes vieux, mais le type de l’appartement me répondait qu’il leur y avait téléphoné. C’était pas vrai vu que mes vieux n’ont pas le téléphone, chez nous y a même pas l’eau courante ! Je m’ai mis à rouspéter, alors ils m’ont attaché… Et puis voilà.

— Tu ne sais rien d’autre ?

— Non, rien… Y a Jeannot qu’est venu me rejoindre deux jours plus tard, je crois… Voilà.

— À toi, maintenant, dis-je au gars Jeannot… Que t’est-il arrivé ?

Il n’attendait que mon signal pour prendre le relais, Jeannot. Lui aussi il aime jouer les vedettes. Il se racle la gorge.

— Oh ! moi, fait-il, c’est chez la mère Soubise que ça s’est produit. J’étais allé lui porter des œufs comme toutes les semaines. Et puis elle me cause de Loulou qu’avait disparu en me demandant ce qu’on en disait. Et puis aussi ce qu’on disait de notre instituteur qu’était mort dans la nuit. Alors j’y ai dit qu’on en disait rien, mais que moi je me doutais que c’était pour à cause du bouchon de carafe que tout ça était z’arrivé et que j’allais y dire aux gendarmes pour si des fois que ça les intéresse… Elle m’a demandé des explications dont à propos du bouchon. J’y ai dit que ce qui me faisait croire que ça venait du bouchon, c’est qu’il était ployé dans un journal allemand.

Le chiard s’interrompt et, saisissant son verre vide, le renverse avec une mimique éloquente.

— On va recommander un pot, décide le Gros, c’est vrai qu’il se laisse bien écluser, ce petit picrate.

Dubois vide le sien, clappe de la menteuse et déclare :

— Il est pas mauvais, mais un peu vert…

— Y se fera, assure Bérurier.

— Y se fera avec mes deux, rétorque le Grangognasien. C’est l’année qui veut ça.

Béru éclate de son bon gros rire et passe la main sur la tête de ses protégés.

— Y sont amours, ces petits, me dit-il radieux, je regrette pas d’être rentré dans l’enseignement. Je sens qu’on va faire un beau couple tous les trois.

Je le regarde avec des soucoupes démesurées : le Mastar pense-t-il faire une seconde carrière dans la pédagogie ? Ses fameuses méthodes bulgares apporteraient certes de profondes modifications dans l’enseignement primaire.

Je reviens à mes moutons (Jean Charron est d’ailleurs tout frisé).

— Que s’est-il passé ensuite ?

— La mère Soubise m’a fait avaler des dragées qu’avaient mauvais goût, et puis je m’ai endormi, et puis on a dû me charrier en bagnole jusqu’à Lyon parce que je m’ai réveillé dans le placard où que vous nous avez trouvés.

Voilà, maintenant ils m’ont vidé leur sac. Élément intéressant : le fameux bouchon de cristal. Ça, c’est nouveau et ça pourra expliquer bien des choses…

Je retourne au bigophone et je redemande pour la énième fois Grangognant-au-Mont-d’Or.

— C’est bien vrai que vous avez retrouvé les petits ? m’attaque la postière. Les parents sont ici et…

— Je vais leur passer les gosses, ma belle. Mais auparavant, comme disent les Chinois, je voudrais vous poser quelques questions.

« Étiez-vous à Grangognant pendant l’Occupation ?

— J’y suis née et je ne l’ai quitté que pour faire mes études à Lyon !

— Est-ce qu’à un moment quelconque de la guerre, les Allemands ont occupé l’école ?

— Non, répond-elle.

— Vous en êtes bien certaine ?

— Naturel…

Elle se tait brusquement et pousse un léger cri.

— Si ! Je suis bête ! Au moment de la défaite allemande, quand les Frisés étaient en pleine débâcle, l’école leur a servi d’hôpital pendant une huitaine de jours. Ils y entreposaient les blessés en attendant que les camions sanitaires fassent la navette…

— C’est tout ce que je voulais savoir, assuré-je. Ne coupez pas, joli cœur, je vais amener les moutards.

Elle murmure :

— Dites…

— Oui, mon amour bleu ?

— J’aimerais bien faire votre connaissance (elle prononce « connaissince »).

— C’est sûrement faisable, la rassuré-je. Il faudra qu’on en parle à tête reposée.

J’appelle les vaillants enfants de Grangognant et je tiens un conseil de paix avec le Béru de service. J’ai idée que sa biture a redémarré. Pendant mon séjour au bigophone, il a commandé un nouveau pot de blanc. Nous en sommes maintenant au sixième et la trogne du Mahousse semble comme éclairée au néon.