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— C’est vous qui en avez pris en m’accompagnant, lui retourné-je invariablement.

Une plombe plus tard nous atteignons Nantua, patrie de la quenelle de brochet. Des quenelles, on pourrait en faire cuire sur le capot de ma Jag. Car je lui ai fait fumer le pot, à cette chérie !

Nous nous précipitons à la gendarmerie. Il y règne la plus grande animation. Les Juvaquatre vont et viennent, les motards viennent et vont. On nous renseigne : les choses se sont modifiées depuis tout à l’heure. Voici ce qui s’est passé : la voiture-ambulance ne pouvait rivaliser de vitesse avec les bolides des motards. L’un de ceux-ci l’a dépassée et s’est mis en travers du chemin, mais le conducteur de la Frégate a foncé dans le tas et maintenant le motard est clamsé. On a retrouvé son casque dans un pommier, avec sa tête à l’intérieur. Le deuxième motard a ouvert le feu ! Un vrai rodéo ! Il a dû crever le réservoir de la chignole car il y a une traînée d’essence sur la route. L’ambulance est alors entrée dans une maison de repos qui héberge une colonie d’enfants sourds-muets.

Les renforts de matuches sont arrivés sur les lieux et ont fait le siège de la casa. Mais les bandits ont envoyé en plénipotentiaire une assistante sociale qui gardait les mômes. Si on ne les laisse pas filer ils abattront les gosses !

Les choses en sont là.

— Venez, dis-je à Javer, on va aller s’expliquer avec eux.

* * *

Une maison banale, assez grande, dans un vallon près du lac. Je vois l’ambulance rangée près de la porte. Tout semble calme à l’intérieur. Sans la présence des archers qui la cernent, on ne la remarquerait pas. Une ravissante demoiselle vêtue d’une blouse blanche pleure H-O de larmes. C’est la monitrice des petits sourds-muets. Je lui passe la parole :

— Nous servions le repas aux enfants lorsque nous avons entendu un bruit de freins. La porte de la maison a claqué et quatre personnes ont fait irruption.

— Quatre ? m’étonné-je.

— Deux hommes et deux femmes. Les hommes étaient armés. Ils nous ont menacés. Les gosses pleuraient de peur, c’était affreux.

Ses sanglots reprennent. Ça lui va bien. Elle est grande, blonde, roulée à la main. Elle fait fille de famille dévouée. On aimerait l’initier aux mystères du Scoubidou-rétractile et de la Castagnette-valseuse.

— Ils ont demandé s’il y avait une voiture. J’ai répondu que je possédais une fourgonnette 403. Ils allaient ressortir lorsque la police s’est présentée. Il y a eu des coups de feu. L’un des deux hommes qui paraît être le chef m’a dit de sortir pour annoncer aux policiers que si on donnait l’assaut ils abattraient les gosses. Je suis certaine qu’ils le feraient…

Je lui demande de me décrire ces gens. Je reconnais Léopold et sa brave maman, et puis la chanteuse du Mistigri, celle qui s’est barrée après l’assassinat d’Ambistrouyan. Quant au chef, selon la môme, c’est un grand brun, très beau, avec des yeux sombres et la peau bistre.

Mon petit doigt, qui est le plus futé de tous les petits doigts de ma connaissance, me dit que le gars en question doit être le fameux Fred.

Le capitaine de gendarmerie me consulte :

— Que faisons-nous, monsieur le commissaire ?

Justement, c’est ce que se demande M. le commissaire.

— Vous avez un porte-voix ?

— Voici…

J’embouche l’appareil et je me mets à clamer :

— Eh ! Léopold ! Dis à tes petits camarades d’ouvrir toutes grandes leurs étiquettes et d’écouter ce que je vais dire !

Je me racle la gorge pour faciliter la diction du bonhomme.

— Votre circus ne rime à rien et il est perdant. C’est pas en jouant Fort Alamo que vous vous en tirerez. Vous ne ferez qu’aggraver votre cas. Alors vous allez sortir à la queue leu leu avec les mains croisées sur la tête. Et je vous donne trois minutes, juste le temps de se faire cuire un œuf ! Vu ?

Silence. Tout le monde est crispé. MM. les gendarmes se retiennent de penser pour éviter de faire du bruit. Soudain la porte de la maison s’ouvre et une seconde jeune fille en blouse blanche en sort en criant :

— Ne tirez pas ! Ne tirez pas !

— C’est ma collègue, fait la souris distinguée et sangloteuse.

Elle est passablement terrorisée, la seconde.

En hoquetant (elle joue au hoquet sur glace, paraît-il) elle nous transmet un second message des bandits.

Loin de se rendre, ils sont prêts à passer à l’action.

Ce sont eux qui nous donnent trois minutes pour déhotter. Passé ce délai, ils balanceront par la fenêtre le cadavre d’un mouflet, histoire de nous montrer ce dont ils sont capables.

On croit rêver, non ? Je ne savais pas que ça existait des choses pareilles !

Les deux nanas en blouse blanche se traînent à nos lattes.

— Pitié pour les petits. Ils sont si gentils. Si muets !

Les crapules vont en embarquer quelques-uns avec eux comme otages. Admettez, les gars, que la situation n’est pas joyce. J’ai une sacrée responsabilité sur les endosses, tel que vous me voyez ! Que faire ? Les mettre à l’épreuve ? Attendre pour voir s’ils auront le triste courage d’accomplir leur programme ? C’est trop risqué. D’autre part, mettre les pouces et les laisser filer est incompatible avec notre dignité de flics. Alors ? Cette affaire est décidément axée sur les moutards. Voilà qu’après avoir délivré les élèves de Grangognant, nous risquons la peau des petits sourds-muets de Nantua !

Impavide, Javer scrute sa tocante.

— Ça fait déjà une minute d’écoulée, dit-il.

Je me masse la calebasse. Plus que cent vingt secondes et le pire se produira. Le genre de truc qui vous souille la conscience pour le restant de vos jours.

— Où est votre 403 ? je demande à la souris blanche.

— Dans le garage, derrière la maison.

Ma décision est prise.

— Ne vous occupez pas de moi, dis-je à Javer. Dans une minute exactement, vous direz à ces fumiers que c’est O.K. et vous donnerez aux gendarmes l’ordre de se replier.

Là-dessus je me prends par la main et je fais mine de repartir à bord de ma calèche. Je parcours une distance suffisante pour être hors de vue et je moule mon bolide sur le bord du chemin. Ensuite je contourne la propriété et, en rampant, je gagne le garage, dont la porte est ouverte. La fourgonnette est là, paisible, qui attend le bon vouloir des hommes. Je me coule au fond du garage et, accroupi derrière l’aile gauche du véhicule, j’attends, revolver au poing. Comme toujours dans les cas périlleux, mon cœur bat lentement et je me sens calme et froid. C’est pas le moment de trembler.

Des pas retentissent dehors. Un étrange cortège apparaît.

Léopold, tenant un gamin dans ses bras. Il est suivi de sa maman, armée d’un gros pétard et coltinant sa valoche, puis vient la chanteuse du Mistigri portant un second mouflet, et enfin le type brun. Cézigue ne trimbale pas de mougingue mais sa mitraillette à friction. Et je comprends que les demoiselles de la colonie étaient en dessous de la vérité en affirmant que ce gars est prêt au pire. Y a qu’à voir ses yeux pour s’en convaincre. San-Antonio fait un rapide calcul. Il se dit que le moment d’intervenir n’est pas tout à fait arrivé. Faut attendre.

— Mettez un gosse devant et un gosse derrière ! ordonne l’homme à la mitraillette.

Léopold et la chanteuse obéissent. Il se penchent chacun par une portière pour déposer leur précieux chargement sur les banquettes. Je me dis : « À toi de faire, San-A. » Je vise et je presse la détente. Le revolver saute dans ma main. Sa détonation produit un fracas de tous les tonnerres. Là-bas, j’ai cru percevoir un cri. C’est maman Léopold qui prend congé. Derrière elle, la mitraillette éternue vilain. Une volée de prunes perfore l’arrière de la fourgonnette et troue les briques creuses du garage. Une balle m’égratigne l’oreille gauche. Je perds mon sang chaud, mais pas mon sang-froid. J’attends la fin de la salve, puis je bastosse à mon tour.