— Je suis innocente de tout, affirme-t-elle. Je ne sais rien !
— Pourquoi t’es-tu tirée après l’assassinat d’Ambistrouyan ?
— J’ai eu peur. Vous n’allez pas m’accuser de l’avoir tué, peut-être ? On se trouvait ensemble dans la chambre du haut quand ça s’est produit…
— Et qu’as-tu fait ensuite ?
— J’ai marché. Je me sentais comme folle. Et puis je suis allée demander conseil à Léopold. Mais vous veniez de l’arrêter… Sa mère m’a dit qu’on devait essayer quelque chose pour le délivrer. Elle a prévenu Fred, et puis ensuite on a fait le coup de l’ambulance…
— C’est toi, n’est-ce pas, qui m’as appelé chez Soubise en feignant de croire que j’étais Léopold ?
— Et alors ? Quel mal y a-t-il ?
— Les jurés t’expliqueront !
La porte s’ouvre sur un Javer blanc comme la feuille de composition d’un mauvais élève. Il jette le diamant sur le bureau et murmure :
— Il est faux !
Du coup je sursaute.
— Qu’est-ce que vous dites ?
— Je l’ai montré à un de mes collègues qui s’y connaît. Ça l’a fait rigoler qu’on ait pu le croire authentique. Alors je suis allé chez le bijoutier du cours Lafayette : c’est du toc, monsieur le commissaire. Un vrai bouchon de carafe !
Je commence à en avoir ras le bocal de cette affaire. Voilà que tout le monde est mort ou arrêté et qu’on n’y voit pas plus clair qu’avant. J’en ai classe, je suis sur le point de m’écrouler, terrassé par la fatigue. Tout tourne et mes contemporains ont des tronches vraiment pas regardables.
— Je vais piquer un roupillon dans le premier hôtel que je rencontrerai, dis-je à Javer.
— Venez donc chez moi, propose-t-il, j’habite les Brotteaux et ma femme est en vacances…
— C’est pas de refus !
Nous confions miss Maryska à ces messieurs du guet et nous descendons. À l’instant précis où nous allons franchir la porte, le standardiste nous interpelle :
— Vous allez à Grangognant à propos du nouveau meurtre, messieurs ?
Je le regarde, plus abruti que trente-six gâteux qui viendraient de traverser le Sahara tête nue.
— Quel meurtre ? bredouillé-je.
— Ben, celui du nouvel instituteur. On vient de retrouver son cadavre dans une fosse à purin. Mort étranglé, le pauvre type !
CHAPITRE XV
Il y a le secrétaire de mairie, le curé, le premier adjoint, le deuxième adjoint, les conseillers municipaux, le capitaine des pompiers, le lieutenant des pompiers, le sous-lieutenant des pompiers, l’adjudant des pompiers et LE pompier de Grangognant. Nous sommes dans le hangar où se trouve remisée la pompe à incendie qui n’a pas été ressortie depuis le 14 juillet de l’année dernière. À terre une bâche verte fortement gonflée. Deux souliers dépassent. Tout le monde est recueilli, silencieux, impressionné. Je fais signe au pompier de rabattre le coin de la bâche. Une odeur malodorante flotte dans le local. Décidément, mon pauvre Béru aura eu une bien triste fin. Une fin assez logique pourtant, après la vie qu’il a menée : périr dans du purin est quasi normal.
La bâche est retroussée, je me penche…
Ce n’est pas Bérurier !
Je n’ai jamais vu le monsieur étendu là, gonflé et puant, avec un nez proéminent et les yeux fermés.
— Pourquoi avez-vous dit que c’était le nouvel instituteur ! protesté-je.
— Mais, bégaie le secrétaire de mairie, à cause de ses papiers, regardez… Il avait une carte professionnelle dans sa poche.
On a mis la carte à sécher sur une plaque de verre. L’encre est délavée, mais on lit néanmoins :
« Albert Pensome, instituteur ».
Je me penche sur le cadavre afin de mieux le voir. Non, mille fois non ! Ce n’est pas là le Pensome qui venait prendre son poste et que j’ai renvoyé chez lui ! Alors ?
Hein ? Que trouvez-vous à répondre, mes petits rats malades ? Ça vous en bouche trente mille coins, avouez ?
Et à moi donc ! Car puisque ce mort est bien Albert Pensome, la photographie de la carte en fait foi, celui qui était venu le remplacer était un imposteur ! Oh ! mais… Oh ! mais…
Dans la rue principale du village un chant aviné retentit :
L’organe du Gros. Je sors avec tous les autres et nous voyons radiner un surprenant cortège : Béru, porté en triomphe par les parents d’élèves… Béru apoplectique… Béru radieux, triomphant, déifié ! Les enfants des écoles marchent derrière lui, en brandissant des drapeaux ou des branchages. J’aperçois dans la foule la petite Rosette de Lyon, plus tâchederoussée que jamais. Je me précipite sur elle.
— Mais où donc étiez-vous passée ce matin, petite malheureuse ? Je vous ai crue kidnappée et j’ai tremblé pour vous…
Elle rosit, Rosette, comme une rosette qui aurait la rosette ou la roséole.
— J’avais mis un mot sur la porte de mon collègue pour lui dire que j’allais à Lyon chercher des heu… des heu…
— Des quoi ?
— Des toilettes à la maison. C’est pour vous plaire, balbutie-t-elle en se jetant dans mes bras.
Maintenant c’est Les Trois Orfèvres que brame le Gravos. Il a chipé l’écharpe du maire. Des journalistes du Progrès et du Dauphiné viennent d’arriver et le mitraillent. N’est-ce point lui, le brave, le sans-peur, lui qui toujours avance et jamais ne recule, n’est-ce point lui qui a retrouvé les enfants et les a rendus à leurs familles ?
— Où allez-vous, commissaire ? bredouille Javer.
— À Lyon, réponds-je. Je crois bien que je viens de tout piger…
— On ne pourrait pas dormir un petit peu ici, je… je…
— Vous roupillerez dans la voiture.
— À la vitesse où vous allez c’est guère possible. Enfin…
Je commence à la connaître par cœur cette garce de route. Pas un des brins d’herbe qui la bordent ne m’est inconnu. Au passage les colimaçons me font signe avec leurs cornes et les maçons aussi.
— J’ai une mauvaise nouvelle à t’apprendre, Maryska.
La fille relève la tête et ses yeux errent au fond de mon âme, à la recherche d’une vérité qu’elle appréhende[15].
— Ton jules est mort. On allait lui mettre la main dessus et il a voulu faire du rififi ; alors un de nos hommes qui était nerveux et qui défouraille vite l’a assaisonné. Maintenant il a droit à une jolie pierre tombale toute blanche comme une maison espagnole.
— Qu’est-ce que vous déco… ! fait-elle.
Mais elle a pâli et sa voix est fêlée.
— La vérité. Tu vas venir tout à l’heure reconnaître le cadavre bien qu’il ne soit pas beau à regarder, ton grand maigre.
Je lui brosse un portrait vachement ressemblant de l’homme qui voulait se faire passer pour Pensome et qui a disparu. J’ignore bien entendu — je le précise pour les plus cavons d’entre vous — s’il est mort ou vivant, ce qui m’intéresse ce sont les aveux de la gosse.
Ça boume, mes frères ! Ça boume même extrêmement bien. Maryska s’affale soudain, éperdue de chagrin à l’idée que son bonhomme est mort. Elle a eu les dents trop longues. Ayant eu vent de la découverte faite dans l’école, elle a mis sur le coup, non pas son jules comme je le croyais, mais son frère. Ce dernier a essayé de chiquer à l’instituteur. Pour cela il a neutralisé l’autre, le vrai, en lui serrant le kiki et en le flanquant dans une fosse à purin.
La scène s’est déroulée à Belinbeline car il n’y a pas de gare à Grangognant-au-Mont-d’Or. Son forfait accompli, le frangin à Maryska s’est pointé, fier comme Bar-Tabac. Seulement Sa Rondeur et bibi étions déjà à pied d’œuvre.
15
Être fatigué comme je suis fatigué et parvenir à m’exprimer de cette manière châtiée, c’est quelque chose, non ?