Au premier, dans l’aile sud, une chambre ronde me séduit particulièrement car elle me rappelle un film d’épouvante que j’ai beaucoup aimé. Elle est dotée d’un lit à colonnes tendu de satin verdâtre à fleurs de lys. Quand on roupille là-dedans on doit rêver qu’on est le Baron des Adrets. Une porte basse donne accès à un cabinet de toilette bizarroïde : la baignoire est en cuivre, les robinets ressemblent à des manivelles d’écluse, et on pourrait organiser un motocross dans le lavabo.
Pour se toiletter dans cette usine, faut avoir son brevet de mécanicien de marine.
Après le cabinet de toilette vient une autre chambre beaucoup plus petite.
— Si vous le permettez, dis-je à Cynthia, je m’installerai dans cet appartement. Mon valet de chambre pourra loger dans la pièce du fond et je l’aurai sous la main.
— Comme vous voudrez.
Elle me regarde avec des yeux brillants. J’ai dans l’idée, mes frères, que les Écossais ne sont pas des Casanovas et que les dames d’ici, quand elles veulent se faire reluire, emploient de préférence la lessive Saint-Marc. Tous blonds-rouquins avec des bouilles de bêtas et des yeux aussi éloquents que des trous dans du gruyère. Ils doivent regarder une gonzesse pendant douze ans avant d’oser lui adresser la parole, puis lui parler du temps pendant douze autres années avant de lui proposer la bagouze au finger. Tandis que nous autres, les frenshmen, on opère avec promptitude car on sait que la vie est brève et qu’il faut se manier le dargif si on veut avoir pris sa part du gâteau quand la grognace aux grandes chailles viendra nous couper l’herbe sous les flûtes. À un regard on pige si l’affaire est réalisable. Et si elle l’est on traite le marché tout de suite. Comme quoi faut toujours avoir du papier timbré et un stylo garni sur soi pour ne pas rater les occases.
La précipitation, on ne la largue qu’au dodo et c’est à cause de ça que les bergères du monde entier et des environs nous recherchent. Je crois vous l’avoir déjà bonni, mais il est bon de vous le répéter puisque vous avez une cervelle comme les arènes de Nîmes, ce qui importe c’est d’appliquer au pageot la politique du vieillard : l’étreinte de trois plombes !
Le jour où les bonshommes des autres patelins auront pigé ça, la France n’aura plus que la 2 CV Citroën pour assurer la permanence de son prestige. Seulement ils ne savent pas, les matous d’ailleurs. Tenez, prenez les Ricains par exemple. Eux, ils commencent par se poivrer avec une souris et ils ne s’aperçoivent même pas qu’ils s’envoient en l’air, faut que ça soye des maîtres chanteurs qui le leur apprennent. Les English c’est autre chose, mais c’est pas mieux. Eux ils sont refoulés jusqu’au faux col. C’est des mateurs hypocrites. Et quand le moment de concrétiser arrive, ils se comportent comme des lavedus. Pour les Allemands, c’est au piano que ça se passe. Ils jouent du Beethoven ou du Wagner pendant des heures avant de se brancher sur le 220. Et quand ils sont à pied d’œuvre, ils chiaient d’émotion, et la partenaire fait comme Hergé : Tintin.
Paraît que les Italiens, par contre, se défendent de première. Ça seraient des concurrents dangereux s’ils ne parlaient pas tant. Seulement ils parlent avant, ils parlent après, ils parlent « pendants », et les nanas ont horreur de faire l’amour avec un phono.
Tandis que le Français, lui, il a la technique, il a la maîtrise, le contrôle, le brio. Il sait penser à autre chose au moment où d’autres ne penseraient plus à rien. Au lieu de causer il soliloque. Il se raconte des histoires. Le plaisir n’est rien si on ne sait pas le faire durer. Au contraire : il se retourne contre celui qui l’abrège. J’ai l’air de vous faire un cours, mais tout ce que je vous bonnis est judicieux. Moi je suis pour l’éducation sexuelle des générations montantes. La politique du Castor y a que ça. Le Français n’a pas de vaisseau cosmique, mais je crois que personne mieux que lui ne sait aller dans la lune. Je voudrais les voir les Titov et consorts avec leurs brancards. Ils s’envoient en l’air tout seuls, ces messieurs. Pendant ce temps leurs dames font ballon et rêvent à des fusées moins spatiales, moins spéciales. Elles font leur vaisselle avec Cosmos, en attendant que leur satellite devienne rouge. Mais je vous parie un voyage au Chili avec Philippe Clay contre un voyage en Grèce avec Bérurier qu’elles changeraient volontiers leur héros national contre un manœuvre de chez Renault.
Mais revenons à nos brebis.
Cynthia a les lèvres humides, les yeux humides, et le… le rose aux joues.
— Dire qu’un romancier français vient de me sauver la vie, soupire-t-elle.
— Ce sera désormais l’orgueil de la mienne, assuré-je.
Je lui prends la main, elle se laisse faire.
Je me dis que qui peut le moins peut le plus. Je lui lâche la main pour lui saisir la taille. Miss Mac Herrel ne proteste pas.
J’incline lentement la tête et nos lèvres se joignent. Les siennes ont un goût de fraise des bois. Comme j’adore les desserts je m’en flanque une puissante ration sans sucre. Elle noue ses bras dans mon dos et son corps se plaque contre le mien aussi étroitement qu’un timbre de quittance humecté au bas d’un effet à soixante-neuf jours. Je me dis que pour nous désunir il va falloir des démonte-pneus ou une lampe à dessouder.
— Hello ! fait une voix.
Nous nous séparons instantanément. Le temps de compter jusqu’à un et un type paraît dans l’encadrement de la porte. C’est un grand zig d’une vingt-huitaine d’années, au visage triste et blafard. On a l’impression qu’il a passé ses vacances dans le caveau de ses aïeux. Il a les cheveux bruns et plats, le front bombé, des gestes précieux.
— Oh ! je n’arrivais pas à vous découvrir, Cynthia, mon cœur.
Ayant gazouillé, il attend qu’on nous présente. À son regard je sens qu’il a senti que nous n’étions pas en train de parler des cours de la bourse.
— Sir Concy, mon fiancé, annonce Cynthia. Monsieur San-Antonio, un grand romancier français.
Poignée de main sèche et brève.
L’antipathie est spontanée, comme la sympathie. Au premier contact j’ai envie de le défringuer, de le ligoter, de le plonger dans un tonneau de miel et de l’installer sur une fourmilière. Et de son côté, Sir Concy aimerait me faire asseoir sur un paratonnerre avec un sac tyrolien chargé de briques sur les épaules et un rouleau compresseur sur les genoux.
Dehors une cloche aigrelette tinte.
— À table ! fait Cynthia.
J’ai déjà pris un certain nombre de repas dans ma vie, je pense que les plus bornés d’entre vous (et ils sont nombreux) s’en doutent, mais rarement je n’ai absorbé de la nourriture en de telles conditions. Ce dîner dans une salle à manger plus vaste que la salle des conférences au Palais de la Mutualité, en compagnie d’une vieillarde à roulettes et d’un sir Concy à basse mine est aussi joyeux qu’une opération de la rate. Outre le fiancé de Cynthia, on compte également le directeur de la distillerie, le très honorable Mac Ornish. Bien que votre degré d’instruction soit aussi bas qu’une tige de lierre rampant, vous avez dû voir déjà des gravures anglaises représentant M. Pickwick ?
Eh bien ! Mac Ornish, c’est ça : un bonhomme rondouillard, rouge comme un Conclave, avec une brioche carrossée par Lustucru ; des petites mains potelées ; des lèvres luisantes ; un nez fluorescent ; des cheveux blonds, rares et malades, étalés sur un crâne constellé de taches brunes ; des joues flasques ; des bajoues fluides ; des yeux en apostrophe ; une fossette profonde comme le fossé de Vincennes au menton ; un col cassé ; une cravate plantureuse ; et une voix de petit garçon enrhumé.