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Il a quelque chose sous le bras. Ce quelque chose n’est autre qu’une bouteille de scotch.

— Vise ce qu’elle m’a donné, triomphe Bazu. La prime à la qualité, quoi. Pour une Écossaise, c’t’un signe, non ? Viens qu’on s’en tape un gorgeon, San-A. Tu vois, dans le fond, ce patelin me plaît. Ça biche sur tous les tableaux : dans le lac comme dans le padock.

Nous pénétrons dans sa chambre après que j’aie congédié Katty sous un fallacieux prétexte.

— Et comment que ça s’est passé avec la blonde du château ? demande le Don Juan de la matucherie françouaise.

— On ne peut mieux.

— T’as un ticket ?

— J’en ai surtout un pour visiter la fabrique de scotch.

— Et après ? Tu t’imagines que ces messieurs-dames t’espliqueront comment qu’ils foutent des stup’ dans leur limonade ?

— Non, mais ça va me permettre de connaître les lieux. Et connaissant les lieux je pourrai y retourner de nuit, tu piges, désespoir des psychiatres ?

— Vu. Elle a pas trop renaudé, la gamine, à propos de la gression ? Je crois que c’a été une gression à grande mise en scène, non ?

— Parfaite. Non, elle n’a pas rouscaillé et sa tatan non plus. Entre nous et la planète Mars, ça me chiffonne un peu.

Le Mahousse qui se versait une rasade niagaresque dans son verre à dents (verre qui ne saurait lui servir à un autre usage), le Mahousse, répété-je, pose brusquement sa boutanche.

— Qu’est-ce qu’elle m’a refilé dans le porte-pipe ; t’as vu ?

Il met la main à sa poche et en retire une poignée de dents.

— Mon jeu de dominos est descendu en marche. Je t’avertis qu’il sera facturé à l’Administration. J’étais en exercice.

Il jacte comme s’il avait de la purée de patate brûlante dans le clapoir. Il reste encore quelques ratiches parcimonieuses après son piège à beefsteaks : des molaires surtout.

— Un dentier que jamais j’avais eu le pareil, soupire-t-il. De la mécanique de précision qu’avec laquelle j’aurais bouffé des cailloux !

— Des cailloux, mais pas des clés anglaises !

— Parle-moi z’en pas. Ça été si rapide que j’ai pas eu le temps de parer le coup. J’ai failli partir dans le sirop, San-A. ; et pourtant j’ai rien de la femmelette à vapeurs, hein ?

Il écluse cul sec son verre de raide.

Ensuite il va ouvrir un tiroir de sa commode et y prend un objet fauve et rectangulaire, de la dimension d’une brique. Il le jette sur le lit.

— Le produit de la quête, M’sieur le Commissaire de Médeux.

Je m’aperçois qu’il s’agit d’un petit sac à main en box-calf.

— Où as-tu pris ça ?

— Je l’ai pas pris, on me l’a donné.

— Qui ?

— Mais la blonde. Quand j’y ai fait voir mon parabellum en braillant : « Money », elle m’a tendu son sac. Je pouvais pas le lui refuser, c’était si gentiment offert…

Le Gravos ricane :

— Ben ouvre ! Elle a un drôle de rouge-baiser, cette gosse.

Je relève le rabat du sac à main et j’émets un sifflement qui me vaudrait un certain succès dans une fosse de reptiles.

La pochette de cuir renferme un pistolet. Pas de l’outil de salon mais un chouette suédois de 9 mm avec lequel on perforerait les Peter Sisters en enfilade aussi aisément qu’une pêche trop mûre.

— C’est pas avec ça qu’elle se fait les cils, tout de même ! rigole sa Majesté Béru en se versant une nouvelle rasade de scotch.

Je sens le canon de 1’arme et je perçois une confuse odeur de poudre. Ce bijou de famille a servi il y a peu de temps.

Je me dis que cette arme explique peut-être la résignation de la plus jeune des dames Mac Herrel à la suite de l’agression. Elle ne tenait pas à ce qu’on entreprenne des battues qui eussent peut-être permis d’arrêter le coupable et de découvrir que Cynthia avait dans son sac des accessoires de toilette un peu particuliers.

Outre la pétoire, le réticule contient le permis de conduire et la carte grise de la jeune fille, huit billets d’une livre, un peu de monnaie, et une minuscule clé de sûreté. M’est avis que cette clé n’ouvre pas une porte de Stingines-Castle où les serrures sont grandes comme des boîtes à lettres. En somme l’agression a été doublement payante et, une fois de plus, l’Effroyable s’est montré à la hauteur de sa tâche.

— Bonne journée, Gros, dis-je en buvant une gorgée de whisky à même le goulot.

— Bonne journée, sauf pour mes crochets. Avec quoi que je vais bouffer maintenant ?

— Chiale pas, on te fera du vermicelle. Et puisque t’as été de première je vais te faire une fleur, bonhomme.

— Quoi t’est-ce ? espère-t-il.

— Je te prends à mon service.

— Ça t’ennuierait de dérouler un peu le tapis, que je comprenne ?

Je lui raconte l’invitation qui m’a été faite et le stratagème que j’ai trouvé pour faire pénétrer aussi le Gravos à Stingines Castle.

Voilà l’édenté qui se met en suif ! Pas d’accord, qu’il est, Bérurier 1er.

— Sans charre, au moment où que je dégringole une déesse de l’amour comme Mme Hantine, tu veux que j’aille m’enfermer dans c’t’prison, là-haut ! Et pour y jouer les larbins ! Moi, Bérurier ! Que je me baisserais seulement pas pour ramasser le mouchoir d’une bourgeoise ! Que c’est pas dans mes principes ! Bérurier en esclave ! Tu t’entreprends et tu te laisses en route, San-A. C’est la fatigue ou quoi ? Un Bérurier en videur de pots de chambre ! Que mon père qu’était fermier avait des garçons de ferme ! Et tu voudrais que…

Je profite de ce qu’il déguste un doigt d’oxygène dans un bol d’air pour tonner :

— C’est fini cette comédie ! Inspecteur Bérurier, vous êtes ici en mission commandée ! Vous ferez ce que vous ordonne votre chef et sans donner le moindre signe de réprobation sinon il pourrait vous en cuire. Vu ?

Vaincu comme toujours, il baisse le ton, mais continue pourtant d’ergoter.

— Tu me connais, San-A., le travail m’a jamais fait peur. Jouer des rôles quand c’est qu’il le faut, j’sus pas contre non plus. À preuve c’t’après-midi ! Tu me demanderais de me déguiser en n’importe quoi de vexant, pour le boulot, d’accord, j’accepterais : je me fringuerais en ordonnateur des Pompes funèbres, en général, en député, en Lyonnais, en mère maquerelle, en mère Mac Herrel s’il le faudrait ; mais en larbin, c’est pas possible, pas un Bérurier, Tonio, jamais ! Chez nous, on n’a pas l’intelligence branchée sur la haute tension, je reconnais. Ça se peut qu’on soye cocu. On picole trop et on se lave p’t’être pas assez les pieds, nous sommes d’accord. Mais on a de la dignité, je m’escuse.

CHAPITRE VIII

Dans lequel je procède à des préparatifs, à mon installation, et à deux visites dont l’une manque se terminer mal pour le superman de la police française

À l’ouverture des magasins, nous investissons Mybackside-Ischicken afin de dénicher à mon nouveau valet de chambre une tenue ad-hoc. Après plusieurs déconvenues (l’Écossais est plutôt mince) nous trouvons un pantalon noir, une veste blanche et un nœud noir à Bérurier. Il est triste comme si ces préparatifs concernaient les funérailles de sa baleine. Néanmoins je suis venu à bout de ses curieuses réticences et il se laisse loquer en loufiat de grande house avec une résignation qui m’émeut. Béru, c’est une espèce de gros toutou qu’on mènerait chez le vétérinaire. Il est pas content mais soumis.