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— On dirait que tu vas tourner dans un vestiaire ! dit Béru.

— Western, le corrigé-je entre les dents.

— Tu veux pas m’espliquer ?

— Si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira-t-à toi ! déclaré-je.

Je passe le lasso, puis mes bras valeureux à travers les barreaux. C’est pas la première fois que je lance le lasso. C’est un pote à moi qui m’a appris : un Texan.

Je rate une fois mais pas deux. Au deuxième jet la large boucle cerne le classeur. Je me hâte de tirer avant qu’elle ne tombe au pied du meuble. Par chance j’emprisonne celui-ci en son milieu.

— Et maintenant ? demande la voix visqueuse du Gros. (Depuis qu’il a ses ratiches dans sa poche, lorsqu’il parle, on dirait qu’il traverse un marécage avec des bottes d’égoutier).

— Maintenant, il est à nous.

Je commence à haler par petites saccades. Le classeur glisse sur le parquet, je lui fais parcourir un petit mètre, puis se pose soudain le problème du tapis. Le Persan encré l’empêche de glisser. Bérurier s’en aperçoit et ricane.

— Dans le dos la balayette, hein ?

— Au lieu de gouailler, Navrance humaine, tu ferais mieux d’accrocher le coin du tapis avec ta cuillère. En y allant mollo tu pourras le relever et le classeur passera.

Il admet, il exécute, il réussit, nous avons gain de cause.

Je poursuis mon travail de traction. Le classeur continue son petit bonhomme (en bois des Galeries Barbès) de chemin.

On dirait un automate. Plus qu’un mètre, plus que quatre-vingts centimètres, plus que cinquante…

Je tends la corde à Béru.

— Tiens-la tendue, Gros.

Je pousse mon bras entre les barreaux. Je force. Mon épaule en prend un vieux coup mais je saisis la poignée de la cassette.

Elle peut juste passer entre les barreaux en la tenant de profil.

— Et voilà le boulot, triomphe le Gros.

Je n’ouvre pas la boîte d’acier. Je ne savoure pas l’ivresse de la réussite. Inquiet, Je regarde le burlingue de la vioque à roulettes. C’est devenu un vrai chantier et quand la tante Daphné pénètrera dans son antre, elle aura un sacré coup au palpitant.

— Ah ! évidemment, le ménage aurait besoin d’être fait maintenant, admet l’Énorme.

— un peu, mon neveu.

— On va tout de suite piger que c’est nous, hein ? Surtout que Je peux plus récupérer ma cuillère maintenant qu’elle est accrochée dans le tapan Persis.

Je devrais être plus rayonnant qu’un apiculteur mais au contraire me voilà emmouscaillé jusqu’au fignedé. Que faire ? Une fois de plus, le dear Béru soumet la suggestion number one.

— Je te proposerais bien quèque chose, seulement t’es chiche de m’envoyer chez plumeau.

— Raconte !

— Si on foutait le feu au bureau ? Le classeur est en bois, le tapis en laine, ça prendrait comme dans une fabrique de celluloïd.

— Par ma foi, mon gentil Seigneur, exulté-je, que voilà donc une bonne, belle et généreuse idée.

— Je vais chercher un bidon d’essence, j’en ai vu au garage.

— Dac.

Maintenant, il est presque la demie de sept heures. Le temps presse. Lorsque Béru revient avec le bidon, j’asperge le classeur en vitesse, je frotte une allumette et la lance sur la mare de benzine.

Ça fait une légère explosion et tout s’enflamme avec un instantanéisme réconfortant,

— Embrase-moi, Valentine, embrase-moi ! chantonne le Gros.

Comme tous les êtres primitifs, il est ravi par le feu. Je lui tends le bidon.

— Reporte ta panoplie du parfait petit pyromane où tu l’as prise, conseillé-je.

— Et ensuite ? Je vais chercher les pompelards ?

— Ensuite, tu mets une nouvelle cuillère au bout de ton fil et tu vas à la pêche. Ça fait du reste plus d’une heure que tu y es, tu le sais bien ?

— Ben voyons !

On se quitte rapidos. Le gars Mézigue regagne sa chambre en catimini et se pieute comme s’il ignorait que le very old castle commence à griller. Maintenant il ne me reste plus qu’à ouvrir la cassette.

CHAPITRE XII

Dans lequel je rends des visites

Dans cette affaire, convenons-en, nous nous comportons davantage comme des malfaiteurs que comme des policiers.

Violation de domicile, détérioration de voiture, incendie volontaire, rien ne manque à notre palmarès. De quoi se faire embastiller pour un bout de temps au pays de sir Walter Scotch.

Dans mon pageot, je m’efforce de bricoler la serrure de la boîte métallique. Mais sans mon sésame, je suis aussi désorienté qu’un cul-de-jatte à qui on offrirait une paire d’échasses. Pas moyen de faire jouer le ressort.

Et voilà qu’il me vient une idée ; une de plus. Je me relève et je vais fouiller la petite poche ventrale de mon bénard.

C’est là que j’ai glissé la petite clé de sûreté trouvée en même temps que le revolver dans le sac à main de Cynthia.

Je l’essaie. Gagné, San-Antonio ! Ton esprit de déduction, ta vaste intelligence, ton génie d’enquêteur, toutes ces brillantes qualités jointes au courage le plus calculé, ton intrépidité, ta justesse de vue, ta modestie aussi (n’ayons pas peur des maux), t’ont une fois de plus permis de renverser les obstacles, et les situations, de scier les embûches. Bravo, San-Antonio. La petite clé de sûreté ouvre la cassette.

Et puisqu’elle ouvre la cassette, j’ouvre la cassette, comprenez-vous ? Comme ça, d’un seul mouvement, sans hésiter, tandis que le castle des Mac Herrel flambe allègrement.

La cassette contient une bonne centaine de coussinets en matière plastique du genre berlingot Dop. J’en éventre un. Il renferme de l’héroïne.

Ainsi donc la mère Daphné est au courant du trafic ? Que dis-je : elle le dirige puisque c’est elle qui détient la came que l’on choque ensuite dans les boutanches de whisky ! Elles sont marrantes, les grandes familles écossaises quand elles s’y mettent ! La vieille lady impotente fait des réserves d’héroïne, sa nièce se promène avec un 9mm qui a dû buter un homme ; leur directeur est armé, le futur mari essaie de me casser la bobine, le maître d’hôtel place des micros à la tête de mon lit ! Wonderful, que demande le peuple ?

Je me rends, lesté de la cassette, dans la salle of baths, et je colle la boîte dans la chasse d’eau. Puis je me zone une bonne fois et je m’endors comme un bébé en attendant les pompiers.

En fait de pompiers, c’est Cynthia qui radine une demi-heure plus tard.

— Tony ! Tony ! tonitrue-t-elle.

Je sursaute, me frotte les carreaux.

— Oh ! Darling, c’est vous ! Qu’arrive-t-il, vous semblez dans tous vos états !

— Il y a de quoi ! affirme ma belle conquête. Le château a failli griller. Figurez-vous que le feu a pris dans le bureau de tante Daphné.

— Le feu ! balbutié-je, surpris au plus haut point.

— Oui. La pièce a flambé entièrement, heureusement que les murs de Stingines Castle sont en pierre de taille, il n’a pu se propager.

— Il y avait des choses de valeur dans ce bureau ?

— Pas mal, oui. Mais des papiers surtout, des souvenirs de famille…

— Je suis navré, ma chérie.

Je me gratte le crâne.

— Comment se fait-il que je n’aie pas entendu les pompiers ?

— Nous ne les avons pas appelés. Il n’y en a pas à Stingines et le temps que ceux de Mybackside-Ischicken arrivent… Ce sont les domestiques qui sont venus à bout du sinistre avec les extincteurs de la maison.

— Il fallait m’appeler, je leur aurais donné un coup de main…

Curieuse scène qui, comme les cactus, ne manque pas de piquant. Ça se voit gros comme des fautes d’orthographe dans le rapport d’un brigadier de gendarmerie qu’elle me soupçonne. Mais nous jouons le jeu. C’est la guerre des nerfs. Nous nous observons tous, sans oublier les bonnes manières. Nous nous surveillons en dînant, en bavardant, en faisant the love. On essaie de se trucider, on se met le feu, on papote. Ah ! je m’en souviendrai. Quand un jour je raconterai ça à vos enfants, mes amis (à ceux que j’aurai faits à vos femmes, of course) ils ne voudront pas le croire !