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La postière m’indique l’adresse du jeune requin. Il habite 18 Grattefort and Fayrluir Street, un studio luxueux dans le quartier résidentiel, l’honorable (de lapin) sir Concy.

Je remercie ma lécheuse de Majesté et je prends la première rue à droite, ensuite je traverse Golden Teeth bridge. Tout de suite after c’est Godmich’ Place et ses frondaisons. La rue de Concy prend au fond de la place. Il s’agit d’une voie tranquille bordée de maisons à un étage dont les porches victoriens comportent presque autant de degrés que le whisky des Mac Herrel.

Je sonne au 18. Je m’attends à ce qu’un larbin vienne délourder, mais au lieu de cela je reçois l’aboiement d’un interphone à quelques centimètres des trompes.

— Qu’est-ce que c’est ?

Je reconnais la voix de sir Concy.

— Je voudrais visionner votre collection d’estampes japonaises, dis-je.

Il grogne :

— Oh ! c’est vous.

Je ne cherche pas à nier l’évidence et je l’assure qu’effectivement c’est moi.

— J’ai à vous parler, ajouté-je.

Il actionne le bouton d’ouverture et la porte s’écarte.

Je pénètre dans un joli hall dont les murs sont garnis de trophées de chasse. Un escalier de bois est là qui me tend sa rampe.

— Montez au premier ! lance sir Concy.

J’obéis. Sur le palier du premier floor une porte capitonnée s’ouvre sur une chambre délicatement tendue de satin bleu. Un nid d’amour. Cet appartement est une garçonnière où le plus jeune des sir Concy vient faire ses fredaines. Il moule le château de papa dont le pont Lévy lui colle le tournis, pour batifoler dans sa bonbonnière de luxe.

Je l’aperçois, allongé sur son lit, dans une robe de chambre en velours noir à col écossais. Il lit un journal de la région.

— Tout seul ! m’étonné-je.

— Oui, je n’ai pas de domestiques ici. Une femme de ménage suffit, j’ai des goûts simples.

Il a du sparadrap au-dessus des yeux, because ses arcades que je lui ai un peu cabossées. Ça lui compose des sourcils de gugus et je me marre comme un melon entamé.

— Ça vous amuse ?

— Beaucoup. Vous ressemblez à un clown qui a enchanté ma jeunesse.

— C’est pour me dire ça que vous êtes venu ?

— Non.

— Alors ?

Sa voix est âpre, grinçante comme une girouette rouillée.

— Je viens au sujet de cette nuit.

— Je ne comprends pas.

— Je vais vous faire comprendre.

Je m’assieds sans façon au pied de son plumard. Ça le choque. C’est de la crapule maniérée.

— Je veux parler de l’affaire de l’impasse, vous savez, quand vous cherchiez à m’écraser contre le mur avec votre saloperie de camionnette !

— Mais je…

— Mais vous quoi donc, baron de mes choses ?

— C’est faux ! Vous m’insultez et…

Oh ! les aminches, ce coup de raisin qu’il attrape, votre San-A. ! Vous savez ce que c’est, voir rouge, hein ? Vous n’êtes pas daltoniens, que diable ! On est peinard, on discute. Et puis brusquement vous voilà en proie à une noire fureur. Vous démoliriez la Tour Eiffel à coups de poings et vous vous en feriez des cure-dents. J’exécute une ruade et mon talon lui part dans la margoulette. Il clape comme un alligator déguisé en caïman puis il saute du lit et voilà qu’on recommence à s’empoigner. Un vrai gag, je vous dis.

Il biche sa lampe de chevet (en porphyre Ruby-Rosa véritable) et me la propulse dans la vitrine. J’arrive pas à l’esquiver tout à fait et le pied me déchire le cuir chevelu au-dessus de l’oreille droite.

J’en vois trente-six chandelles, parmi lesquelles brille ma bonne étoile ! Seulement elle est branchée sur l’alternatif.

— Qu’est-ce que c’est ! mugis-je, des voies de fait sur son petit copain ?

Je lui mets une mandale à cinq doigts. Sa tête fait un écart de cent centimètres et Monsieur me fonce dessus. Nous tombons à la renverse sur le dodo. Quelqu’un qui nous verrait, je vous jure qu’il croirait que votre beau San-A. est en train de virer sa cuti, mes choutes. Et pourtant si on se roule sur un page, sir Concy et moi, c’est en tout bien tout honneur. Y a rien entre nous qu’une grêle de coups. On bascule de l’autre côté, on roule jusqu’à la cheminée. Concy fait un saut de carpe. Manque de bol, il se cogne la coquille contre le marbre et reste inerte. Se mettre soi-même K.O. c’est pas de veine, hein ?

J’attends un peu, puis, voyant qu’il reste inanimé je passe la main par sa robe de chambre pour tâter où en est son pauvre cœur meurtri.

Ça bat de façon satisfaisante.

Je vais dans la salle de bains attenante, je passe une serviette sous le lavabo d’eau froide et je reviens lui bassiner le visage. Au bout de quelques secondes il revient à lui.

— Ça va mieux ?

— J’ai mal au crâne !

Je m’en doute.

Il a sur le point culminant une aubergine grosse comme mon poing. J’aide le pauvre zig à s’allonger sur le lit.

— Écoutez, me dit-il, je ne suis pour rien dans l’attentat que vous me reprochez. Prenez le journal et regardez en dernière page…

J’obéis. En bas de la quatre, il y a un article concernant le vol d’une camionnette appartenant aux Concy. La machine aurait été chipée la veille au soir sur un chantier.

— Vous voyez bien ! triomphe Philipp. D’ailleurs j’ai passé toute la nuit ici en compagnie de deux de mes amis. Nous avons bu et joué aux échecs de dix heures du soir jusqu’à cinq heures ce matin. Vous désirez leur témoignage ? Il s’agit de sir Hacacheter et de lord Hatteur…

Quelque chose de désabusé donne à sa voix d’étranges inflexions. Il paraît triste. Il a trop dérouillé, le frère. Et si, après tout, il était innocent ?

Toujours cette idée fixe du Vieux qui me taraude.

— Je voudrais savoir qui vous êtes vraiment et ce que vous cherchez ici, dit-il. Votre comportement n’est pas naturel, monsieur San-Antonio.

Je hausse les épaules.

— Je vous le dirai un de ces jours si vous ne le savez pas. Pour le moment on va en rester là. Mettez-vous des compresses et prenez de l’aspirine.

— Vous retournez chez Cynthia ? grince-t-il.

— Chez sa tante plus exactement.

— Dites-lui que j’aimerais la voir. Elle ne m’a même pas téléphoné ce matin pour prendre de mes nouvelles.

— Elle n’a pas eu le temps, nous avons eu un début d’incendie à Stingines Castle, ça distrait.

Je le quitte.

Au fond je ne suis guère avancé. La camionnette a-t-elle réellement été volée ? Philipp a-t-il vraiment passé la notte avec des potes ? Sa hâte à me fournir un alibi ne me dit rien qui vaille.

Bon, il est temps de regagner Crapulard Castle.

CHAPITRE XIII

Dans lequel je retrouve la mère Patrie et Bérurier la mère O’Paff

— Mais N… de D…, y a donc pas z’une de ces truffes qui cause français !

Cette exclamation partant d’un groupe de domestiques attentifs m’indique la présence, au sein de celui-ci, du Valeureux.

Je m’avance et je trouve le Gravos, congestionné, un tronçon de canne à lancer à la main, faisant des gestes et postillonnant comme le courrier de Lyon.

— Eh bien, Pépé rose ! l’interpellé-je, qu’est-ce qui t’arrive ?

Il bouscule Mayburn, la femme de chambre, le jardinier, une lingère, la cuisinière (que la malédiction de Brillat-Savarin l’accompagne) et un valet de chambre.

— Ce qui m’arrive ! frémit l’Obèse. Ce qui m’arrive ? Regarde plutôt.