Выбрать главу

— Non, rien !

Je me lève.

— Puisque tu le connais pas, y a maldonne… Excuse le dérangement.

Je suis presque à la lourde.

— Eh ! monsieur le commissaire !

— Oui ?

— Qu’est-ce que vous alliez dire ?

Ça le démange, son nez bouge.

— C’est un pastaga qui dépasse les dimensions policières, tu vois où je veux en venir ?

— Non.

— Tant pis, pourquoi continuer de parler de ça ? Tu ne le connais pas, un point c’est tout !

— Je ne le connais pas par son nom, m’sieur le commissaire. Mais je vois tellement de trèpe dans mon estanco, il est possible que…

Je joue les miraculés.

— Mais c’est vrai, tiens ! Ça te dit quelque chose ?

Et de lui produire une photo du Keller expédiée de Hambourg par bélino.

— Paraît que ce gougnafier avait les pouces très larges.

Ange s’abandonne sur la photo.

— Mais dites donc, il se pourrait qu’il soye venu au Raminagrobis ; en effet, cette bouille anguleuse me dit vaguement quelque chose. Mais ça remonterait à vieux.

— Deux ou trois ans ?

— Oui… Et vous dites que ce type aurait eu des activités…

— Il était en cheville avec les services secrets soviétiques…

— Non ?

— Si. Et au moment de sa disparition il avait sur lui, vraisemblablement dans la doublure de ses fringues, un document d’une valeur que tu n’imagines pas. C’est ça qui intéresse mes services à moi, Ange. Il y aurait la grosse prime pour le dégourdi capable de les fournir.

— Oh ! Oh ! La poule se met à pondre de l’or, à cette heure ?

— Par personne interposée, oui. La prime en question irait chercher dans les vingt tuiles !

— Pas possible ?

— Sans compter qu’on ne serait pas regardant sur la manière dont le papier arriverait !

Il baisse la tête, absorbé par le bout rutilant de ses nougats.

— Pourquoi venez-vous me raconter ça à moi, m’sieur le commissaire ?

— Je le raconte à tous ceux qui seraient susceptibles de faire retrouver Keller, vivant ou… mort ! C’est pas un mal, la preuve tu l’as vaguement aperçu ici. Tu es donc bien placé pour en parler autour de toi. Tu sais, y a pas que ceux qu’ont un insigne qui sont capables de mener une enquête. Te voilà sur la ligne de départ. Tu peux peut-être décrocher la timbale.

Je lui tends la main. Il laisse tomber dans ma dextre une pogne délicate ornée d’un bouchon de carafe en carbone extra pur.

— Si t’avais une idée, ou un tuyau, tu demandes le commissaire San-Antonio à la maison Poupoule.

— Entendu !

Je retrouve la salle enfumée. Les clilles ont fini leur partie de frotti-frotta. C’est une nouvelle effeuilleuse qui occupe la scène. Loquée en hôtesse de l’air, cette fois. L’argument du ballet s’intitule « Panique à bord ». Y a le feu dans le zinc, l’extincteur ne fonctionne plus et, stoïque, la Jeanne d’Arc pose ses fringues pour tenter d’enrayer le sinistre. Elle finit par éteindre le brasier, qui, vicelard, n’attendait plus que son minuscule slip de Nylon pour pousser le dernier soupir. Le populo est ravi.

— Pas mal torché non plus, ce numéro, me balance le barman.

— Taisez-vous, je fonce à Air France, dis-je en gagnant la sortie.

Plus question de me rincer l’orbite. J’ai certaines dispositions à prendre. Entre nous, j’ai monté un turbin carabiné à Ange Ravioli, et comme ce micheton ne fait pas le poids, il se pourrait qu’on enregistre du nouveau à partir de bientôt et peut-être avant.

Tout se développe à la bonne allure. Nous sommes parvenus à identifier quasi sûrement le cadavre de l’homme. Je viens d’établir qu’Ange Ravioli, locataire de la propriété où a été trouvé son cadavre, connaissait Keller. Ce serait suffisant pour emballer le patron du Raminagrobis, mais je préfère attendre encore. Plus le poisson mord, plus on a de chances de l’attraper.

CHAPITRE XI

Dans lequel mes déductions ressemblent à des divagations

Un méchant — et inattendu — mal de gorge (mais peut-on dire qu’un mal de gorge soit inattendu ?) me réveille au petit matin. Je sens que je fais de la température et j’en suis fort affligé, car ce n’est pas le moment d’être malade. Comme je remue dans mon pucier, Félicie paraît, une pèlerine jetée sur sa longue robe de nuit.

— Tu es fatigué, Antoine ?

— Un début d’angine, M’man.

— Je vais te préparer un gargarisme et des compresses.

Elle me prodigue ses soins, me gave de cachets et j’ai l’impression que mon mal de gorge s’éclipse discrètement, terrorisé par ces rampes de lancement pour sulfamides.

— Tu es rentré très tard, murmure Félicie en touillant mon infusion ; tu auras pris froid en remisant la voiture.

— J’ai eu beaucoup de travail.

— À cause de Magny ?

— Oui. Je crois que je vais avoir du neuf dans la journée.

Comme elle paraît prodigieusement intéressée, je m’amuse à faire le point devant elle. C’est un exercice salutaire. Et puis la fièvre me rend bavard.

— Vois-tu, M’man, cette affaire est des plus simples. Quand on rassemble les différents éléments, on s’aperçoit qu’on ne risque pas d’échec.

— Tu trouves ? hasarde la chère femme, discrètement.

— Qu’avons-nous au départ ? Deux morts dans le petit jardin d’une propriété construite depuis seulement sept ou huit ans et habitée par deux familles. Conclusion, c’est l’un des deux groupes d’habitants qui a fait le coup…

Félicie tire un fauteuil près de mon lit et ramène les pans de sa vieille houppelande sur ses genoux.

— Et si quelqu’un d’étranger était venu en l’absence des locataires…

— Enterrer deux corps ? Voyons, M’man ; lorsqu’on veut se débarrasser d’un cadavre, on ne va pas creuser une fosse dans le jardin d’une maison inconnue !

Elle n’est pas obstinée, Félicie.

— Tu as raison !

— Bon. Nous avons identifié le corps de l’homme. C’est celui d’un malfrat allemand qui a été en rapport avec un des locataires. C’est signé, non ?

— Voilà une forte présomption, admet ma brave mère. Tu es certain de l’identité de la victime ?

— Presque. Tout correspond : la date de sa disparition, le signalement, tout !

— Le signalement ! Quelle ressemblance peut-on établir entre de pauvres os et un homme vivant !

— C’est le boulot des spécialistes. Et puis on a trouvé sur les restes des signes particuliers correspondant à ceux du disparu. Non, je te le répète, ça s’emboîte comme dans un puzzle, quoi !

— Alors, en ce cas…

Elle ne sait que dire, la pauvre chérie. Ces affaires de police l’épouvantent toujours. Bien qu’elle ait un fils dans le bisness un meurtre a gardé pour elle toute sa poésie funèbre, comme dans Détective.

— Le locataire en question, poursuis-je, en veine de jactance, est un ancien truand, alors tu juges ? Un type coupable de hold-up et qui maintenant tient une boîte de nuit. Il admet avoir connu Keller, le mort !

Félicie hoche la tête. Dehors, le jour commence à poindre. Dans la basse-cour du voisin, un coq qui s’en ressent tire ses dames des plumes en leur annonçant à pleine gorge l’arrivée de la machine à dorer les nombrils.

J’aime bien entendre arriver le jour. C’est l’instant émouvant où l’on ne ressent pas le mal de vivre.