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Le taxi nous sème du poivre et je n’aime pas ça.

À ce moment le grésillement de la radio retentit et la voiture 2 entre en liaison avec nous.

— Nous remontons le boulevard Raspail ! annonce l’intéressé.

— Alors foncez jusqu’à la place d’Italie, nous allons y arriver…

— Appuie ! hurle Béru. Ils nous moulent !

J’appuie, la rage au cœur. Il ne manquerait plus que Belloise se fasse mettre en l’air ! C’est pour le coup que je n’oserais plus reparaître devant le Vioque.

La poursuite continue.

— Tu crois qu’ils nous ont repérés ? demande le Gravos.

— Je l’ignore.

Je lance dans le micro :

— Nous piquons sur l’avenue de Choisy !

J’attends un instant et ajoute :

— Maintenant rue de Tolbiac, en direction de la Seine !

Le taxi nous est masqué par une grosse voiture de déménagement, jaune cocu. Lorsque nous doublons le lourd véhicule, nous poussons un cri de désespoir : le bahut a disparu.

Je roule comme un perdu jusqu’au quai de la Gare : rien ! Pas plus de taxi en vue que de beurre dans un restaurant espagnol.

— Et maintenant ? demande notre bagnole suiveuse.

Maintenant ils peuvent aller faire une belote.

— Le taxi a disparu, dis-je.

Et je coupe le contact.

— Tu sais ce que je pense ? murmure le Gros.

— Non.

— Le taxi n’a pas eu le temps de parcourir toute la rue jusqu’au quai. Ce p… de camion nous l’a caché quelques secondes seulement. C’était pas suffisant pour qu’ils arrivent au quai ; on les aurait vus.

— Alors quoi ?

— Alors ils se sont arrêtés en route !

— Mais on n’a vu aucun taxi en stationnement !

— T’as pas remarqué ? Il y avait un garage ; suppose que…

Je ne lui laisse pas le temps d’achever. En moins de temps qu’il n’en faut à un lapin pour perpétuer son espèce, je vire sur les chapeaux de roues, je contourne le paquet de maisons, comme dit le Béru, et je me retrouve dans Tolbiac Street. Le garage est là, à cent mètres sur la droite. C’est un établissement modeste, délabré. Un atelier de réparations plus qu’un garage. Une vieille pompe à essence maculée d’huile et crépie de poussière se trouve à l’intérieur.

— Je te parie un sandwich rillettes que c’est ici qu’il est entré, m’assure le Gravos.

Je fais un mignon virage et je me présente dans le garage. Je stoppe près de la pompe. On ne voit rien de suspect : pas de taxi.

Un type en combinaison bleue, brun et pas sympa, s’avance.

— Qu’est-ce que vous désirez ?

— De la tisane, fais-je.

— Ici y a pas de super !

Je lui désigne ma fourgonnette.

— Vous savez, je la nourris pas à l’éther ! Je ne suis pas aussi volatile !

Il a un sourire aussi torve que le pied d’un fauteuil Louis XIII et opine. Je fais signe à Béru d’explorer les zabords. Tandis que le mécano décroche le tuyau of the pompe.

— Mande pardon, fait l’enflure Bérurienne, ou c’qu’sont les lavoirs taris, siouplaît ? demande-t-il au garagiste.

— Les quoi ? s’étrangle l’homme à la salopette salopée.

— Les gogues, rectifie le Gravos.

Et d’ajouter aimablement :

— L’anglais, c’est comme le cassoulet toulousain : ça vous échappe !

— Y a pas de toilettes ici ! rétorque le pompiste.

À ce moment-là, il jure comme un perdu. Il a une vieille pompe à main, d’un modèle très vétuste. Elle ne débite le sirop que par tranche de cinq litres. Or, l’essence coule de mon réservoir que c’en est une malédiction !

— Mais il est plein, votre réservoir ! grogne le garagiste.

— Tu vois que ça venait pas de l’essence ! décrète le Mahousse avec une présence d’esprit dont il convient de le féliciter chaudement.

— C’est l’allumage, dis-je. Vous pouvez regarder mon delco, patron ?

Sans mot dire, mon zèbre va soulever le capot. Béru en profite pour gagner les profondeurs du garage. Il revient illico, surexcité comme trois chatons sur une plaque chauffante.

— Le bahut est ici, me souffle-t-il, derrière la grosse dépanneuse que t’aperçois !

Bravo Béru ! Je lui roulerais une galoche, pour peu que la fée Marjolaine veuille bien le transformer en une ravissante pucelle de dix-huit ans (blonde de préférence).

— O.K., lui dis-je, alors on va donner l’assaut, bonhomme. Primo, le garagiste. Je vais lui faire déguster une infusion de capot.

— Mettez voir le contact ! brame l’intéressé.

Je mets le contact, et il emballe le moteur.

— Mais il n’a rien, votre delco. Ça tourne rond ! clame-t-il.

Pour toute réponse, je pousse le capot relevé. Il le morfle en pleine nuque et pousse un cri. Mais il a une tirelire en fonte, le chéri ! Le voilà qui fait un patacaisse de tous les tonnerres, battant l’air de ses bras.

Je relève le capot !

— J’ai vu trente-six chandelles ! dit-il.

— C’était beau ? rigole Béru.

— Non, mais dites donc !

Le Gros rejette son bitos en arrière, ce qui, chez lui, a toujours été le signe d’une détermination profonde.

— Tu permets que j’offre à môssieur l’éclairage au néant ?

Et sans attendre mon approbation, voilà Sa Majesté qui place un crochet à l’estom du pompiste. C’est pas le modèle jeune fille, et d’ailleurs il ne figure sur aucun catalogue. Le style locomotive quoi !

Mon mécano émet un râle d’extase, que le Béru lui fait gober d’un coup de boule dans le clapoir. Monsieur Joint-de-Culasse s’expatrie au pays des pommes, sans demander de visas.

On traîne ce charmant homme jusqu’au box vitré servant de burlingue. Le local est encombré de pneus pas déballés et de courroies de ventilateur. Comme nous le déposons sur de la gomme d’hévéas traitée par Michelin, il reprend ses esprits et essaie de venir au suif. Je le calme en lui montrant l’ami Tu-Tues.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? demande le gars.

— Ça veut dire les mains en l’air, dis-je. Mais si je presse sur la détente, ça voudra dire « adieu, mon pote » ; tu ne risques pas de te gourer dans l’interprétation. Y en a qui le disent avec des fleurs, moi je suis plus direct.

— Qui êtes-vous ? bredouille la victime du Gros.

— Si tu es bien sage, je te promets qu’on t’enverra nos extraits de naissance. Mais si tu n’es pas sage, on te fait avaler le tien, c’est facile à comprendre, même avec une cervelle pleine de cambouis, non ?

« Ligote-le, Gros. J’aperçois du fil de fer accroché au mur ! »

Béru, je ne sais pas si c’est son amour du saucisson qui veut ça, mais pour attacher un bipède il est de première !

En moins de temps qu’il n’en faut au Vieux pour se faire faire une indéfrisable, voilà mon garagiste déguisé en momie.

— Parfait, dis-je. Avant que de te bâillonner, mon fils, nous aimerions avoir un entretien à bâtons rompus.

Il nous demande du tac au tac si son appareil à s’asseoir c’est du poulet. Le Gros lui répond par une droite qui ferait un trou dans la coque d’un contre-torpilleur. Le type crache six dents en ordre de marche, plus une qui avait justement besoin d’un rodage de soupape et essaie de faire passer des lamentations à travers ses lèvres fendues.

— Un taxi est entré ici avec trois hommes à bord, lui dis-je. Où sont passés ces trois gars ? Réponds vite, sinon tu vas ressembler à une pellicule de film d’ici pas longtemps.