Le poing de Béru se dresse au-dessus de sa pauvre frite.
— Au chouchol ! auvergnate-t-il.
Le Gros lui dit merci et lui met un coup de pompe dans le temporal.
— Ça va plus mieux vite que de lui poser un bâillon, explique-t-il.
Nous fonçons dans le garage, à la recherche d’un escalier et nous découvrons celui-ci, dans la petite cour fétide et noire située derrière le hangar. Deux bagnoles accidentées achèvent de rouiller tandis que d’énormes rats dégustent le crin des banquettes. Tout à fait entre nous et la paix d’Eraste, je ne suis pas rassuré à propos de Riri. Avec ma petite cervelle de flic à roulement à billes, je me dis que mon retard peut être vachement pernicieux pour le gars Belloise. Je risque fort de trouver ses os groupés par petits paquets, comme des bottes d’asperges !
Nous descendons un escadrin étroit, plein de salpêtre (nous ne sommes pas éloignés de la Salpêtrière, ne l’oublions point), et nous atteignons une cave voûtée. Je perçois un rai de lumière (ce qui est plus joyeux qu’un rai du culte) et un bruit de voix, en provenance d’un local situé au bout du couloir.
— Il est bien attaché ? demande un organe noble.
— On l’aurait fabriqué en même temps que la chaise, ça serait pas mieux, rétorque une voix à accent.
Je respire mieux : ils n’ont pas encore buté mon petit camarade Riri. Marrant tout de même que sur ces deux niveaux superposés, la même opération ait eu lieu, vous ne trouvez pas, bande de ce que je me pense ?
L’humidité qui règne ici est glaciale. Le Gravos se met à jouer les Atchoum. Je lui comprime la patate à pleines pognes pour écraser la déflagration, et nous arrivons à endiguer le fracas.
À pas de loup, le pétard en main (et sans cran de sûreté) je m’annonce jusqu’à la lourde de bois aux planches disjointes.
— Alors, Belloise, fait la première voix, si j’en crois tes petites annonces, tu saurais des choses, mon garçon ?
— Pourquoi pas ! riposte Riri d’un ton plutôt mauvais.
— Eh bien ! nous t’écoutons, que sais-tu ?
— Je sais que vous êtes une belle paire d’enviandés !
Un bruit de tarte retentit.
— Mais non, laisse-le, fait la première voix. Tu vois bien qu’il a la tête comme un chaudron. Il a été élevé à coups de poing, ce cher Belloise. Allume la lampe à souder, Jérôme !
— Eh, vous n’allez pas me faire ça ! bredouille Riri.
— Mais si, mon bon ami, nous allons vous le faire.
La lampe à souder se met à cracher son souffle embrasé. Riri pousse un cri terrible. Peut-être ferais-je bien d’intervenir, non ?
— Jolie, cette flamme, n’est-ce pas ? murmure le tortionnaire de Belloise. Elle me fait penser à des paysages exotiques, je suis poète !
— Si vous êtes poète, récitez-lui plutôt des vers, conseillé-je en ouvrant grande la lourde !
Les tourmenteurs de mon petit ami ont un instant de flottement.
— Les pattes en l’air, vite ! aboyé-je.
Il y a là un type brun, frisé comme un Noir, avec des traits épais et des yeux en accents circonflexes, et un bonhomme grand, pâle, aux paupières sans cils et aux cheveux châtain terne ! Ce dernier a une tête de tortue, en moins sympa. C’est lui qui tient la lampe à souder. Il la lève et les pierres du plafond se mettent à noircir.
— Vous arrivez bien ! grogne Belloise. Regardez un peu ce que ce fumier vient de me faire !
Il a une large plaque rouge sur le menton et la joue droite.
— T’inquiète pas, Riri ; Félicie, ma brave femme de mère, a une recette d’onguent fabuleuse pour soigner les brûlures. Si Jeanne d’Arc l’avait connue, elle aurait pu danser le twist sur son bûcher !
— Détache-le, enjoins-je au Gros.
Béru s’empresse. Lorsque Belloise a recouvré la liberté de ses mouvements, je lui demande :
— On peut refaire surface, vieux ?
— Je vous demande seulement une seconde, m’sieur le commissaire !
En entendant mon grade, les deux malfrats tressaillent et prennent des mines consternées. Belloise s’approche du soudeur-poète et lui prend sa lampe des mains.
— Bouge pas, mon pote, gronde Riri, je vais te faire une petite épilation définitive !
J’interviens :
— Laisse quimper, Riri, je suis de la police, pas de la Gestapo !
Mais autant exhorter un camion-citerne en panne ! Il ne peut pas s’empêcher de balader son lance-flammes sur la devanture du blondasse. L’intéressé pousse une drôle de goualante ; Bécaud, Aznavour et consorts peuvent déclarer forfait !
Je saisis le bras de Belloise.
— Arrête, je te dis, je ne permettrai pas qu’on moleste quelqu’un que je viens de mettre en état d’arrestation.
— Avec toi on peut jamais se marrer, bougonne le Gros. Ce que t’es bonnet de nuit dans ton genre.
— Fouille ces messieurs et prends leurs armes, tranché-je.
Le Gros obtempère. Chacun de ces deux messieurs possédait un outil grand format susceptible de décider le caissier le plus tatillon à vous remettre le contenu de ses tiroirs sans vous faire signer de quitus.
— Bon, maintenant on va remonter ! annoncé-je. Ces messieurs vont marcher devant en gardant les bras levés. Et pas de coups fourrés, sinon je vous colle tellement de plomb dans la carcasse qu’il faudra un bulldozer pour vous charrier jusqu’au cimetière du coin !
Malgré sa brûlure, Belloise se marre.
Il a tort.
CHAPITRE VIII
Pour une fois, votre bon petit camarade San-A. a commis une légère erreur tactique, mes frères : celle de faire passer devant nous les ouistitis que je viens d’arrêter.
Comme nous atteignons le bas de l’escalier, une voix crie :
— Couche-toi, Ray !
Illico, le blond se fout à plat bide sur le bas des marches. Le frisotté l’imite rapidos et j’ai le déplaisir de trouver en face de moi une bonne demi-douzaine de truands, tous plus patibulaires les uns que les autres. L’un d’eux a dans les bras une arquebuse capable de vous déguiser en grille de mots croisés dans un minimum de temps.
Il s’autorise de cet avantage pour m’adresser la parole assez durement.
— Jette ton feu ! Et toi aussi, le gros vilain ! ajoute-t-il à l’adresse du Valeureux.
Sa machine à faire sucer les fraises est si près de moi maintenant que j’en louche. En soupirant, je largue Tu-Tues ! Béru fait de même.
— Banco, poursuit l’arquebusier, maintenant demi-tour à droite, droite ! Les mains bien en l’air et le buste droit ! Voilà, et maintenant le nez au mur, tous les trois !
Nous sommes devenus d’une extrême docilité. Rien de tel que l’œil noir d’une Thomson pour vous rendre obéissant.
— Au boulot, vous autres ! dit le type blond qu’il a appelé Ray.
Qu’entend-il par là ? Je ne tarde pas à l’apprendre. Ces messieurs ont des appareils à caresser le cervelet qu’ils ont dû faire breveter S.G.D.G. Le premier gnon est pour Béru. Le coup claque sec et mon Honorable Patate s’écroule. Ensuite c’est le tour de Riri. Lui a droit à la formule dégustation : deux coups, le premier pour plaisanter, le deuxième pour vous expédier à la fabrique de cirage. Comme le démolisseur s’approche de moi, je murmure :
— Non, sans façon : pour les insomnies je prends des cachets.
Et parallèlement je balance ma talonnade numéro 13, celle que Kopa m’a enseignée. Le type prend ma chaussure Bailly dans sa pension de famille et s’écroule en se massant le zigomuche prostatique à virole double.