— Des cris d’animaux ? fait-il.
— Yes, monsieur. Si on hurlait, notre gardien se méfierait, mais quoi de plus gentil que des cris de bêtes lorsqu’ils sont imités par des hommes ? Ça va attiser sa curiosité et il voudra voir ça. Tout ce qu’on lui demande c’est d’ouvrir cette lourde, non ? Le reste on s’en chargera !
— Formide ! apprécie Belloise, si vous voulez, je peux faire l’âne, c’est ma spécialité.
— Banco ! Et toi, Gros, le porc, bien entendu ?
— Comment que t’as deviné ? s’étonne le Candide. Oui, j’imite le goret que même un charcutier s’y laisserait prendre !
— Moi je ferai le chien pour compléter la basse-cour ! À trois on y va, hein, mes fils ? De la souplesse, du moelleux ! Une, deux, trois…
Et ça part !
Le gars qui n’a pas entendu ce récital ignore tout de la vie campagnarde. C’est un concert pour étables et fosses à purin, mes choutes ! On ne pourrait pas décerner la palme à l’un plutôt qu’à l’autre ! Riri, c’est Aliboron fait homme, quant au Mastar, il ne pourrait pas se permettre ses imitations dans une porcherie, toutes les truies viendraient à la relance et Sa Majesté devrait faire du contrecarre à sa Berthe !
Au bout de deux minutes, on entend miauler le verrou. Je file un œil de plâtre à mes petits copains et je vais me placer derrière la porte. Cette dernière s’entrouvre et le négus qui nous garde passe sa tête dans l’ouverture. Je ne lui laisse pas le temps de l’en retirer. Ma manchette craquante ! Il part en avant sur le plancher. Béru le happe au passage et le redresse pour mieux lui ajuster un coup de boule dans le clapoir. Cette fois le gardien tombe sur les genoux. Il est out comme un 32 juillet, mais Belloise qui éprouve le besoin de se défouler lui débloque d’urgence sa ruade… de l’âne number one ! Avec tous ces analgésiques, notre petit camarade en a pour deux mois à ronfler.
— À nous la liberté ! clamé-je.
On met flamberge au vent et on se hasarde dans le couloir. Le bungalow semble aussi calme que la vie privée d’un eunuque.
— Alors, on y va ? demandé-je à mes compagnons de voyage.
— Où ça ? s’inquiète le Mahousse.
— Je ne sais pas, mais on y va quand même !
— Si z’au moins on avait une arme, soupire le Gros, j’ai horreur de me balader les mains vides dans un guêpier pareil !
— De toute manière, lui dis-je, il n’est pas question d’assiéger la citadelle, tout ce qu’on peut essayer de faire c’est de se barrer !
Joignant le geste à la jactance, je rase le mur jusqu’à l’extrémité du couloir. Une porte donne sur une esplanade de l’autre côté de laquelle bée un hangar où sont remisées deux tires : la jeep et un camion tout-terrain de l’armée. Le gars qui nous a extraits du tombeau la veille est occupé à réparer le camion. Il chante en bossant. C’est un truc espagnol, vous savez ? Façon gargarisme à l’eau salée !
— On va s’élancer en terrain découvert, dis-je aux aminches. On se pique la jeep et on dit au revoir à ces braves gens. Toi, Riri, tu la mets en route pendant que je m’occupe du ténor, vu ?
— Vu !
Nous nous élançons dans la lumière torride. J’arrive le premier, battant Belloise d’une poitrine et Béru d’un dargeot. Le mécanicien se retourne sans cesser de chanter. Il n’en croit pas ses yeux en amande.
— Ferme ta bouche, Toto, recommandé-je, je voudrais prendre les mesures de ton menton.
Il va pour choper un outil, mais mes cinq francforts unies pour le meilleur et pour le Pirée entrent déjà en collision avec sa mâchoire. Il part en arrière et, prompt comme l’éclair, sort un couteau un peu moins long que l’épée de Damoclès. La lame claque. Il lève le bras pour me perforer. Comme une truffe je suis bloqué par le camion et je n’ai rien sous la pogne pour essayer de me défendre. Mais Sa Seigneurie Béruréenne veille. Le Gros chope un seau d’huile de vidange et le propulse sur la bouille de l’homme aux favoris. La question est tranchée sans l’aide de son ya. Je lui fais le coup du chasseur sachant shooter. Terminé ! Le moteur de la jeep ronfle déjà !
— Les voyageurs, en voiture ! lance Belloise qui a l’air de se payer une seconde jeunesse.
— Une seconde, fils !
Je ramasse le flingue du zig vidangé et je plante la lame dans les pneus du camion. J’en perfore deux et je vais pour m’occuper du troisième lorsque Béru tonne :
— Acré ! Les v’là !
Alors je saute dans la jeep et Riri fait un démarrage en trombe.
À la sortie de la vaste cour, l’homme en blanc et deux mastars nous coupent la retraite, armés de parabellums à grand spectacle.
Ils nous couchent en joue, ce qui est moins gentil que de nous coucher sur leur testament ou dans le lit de leurs épouses. L’homme en blanc nous hurle de stopper, mais on s’en tamponne le coquillard.
— Baissez-vous et laissez-moi manœuvrer ! nous dit Riri.
Dans la vie, il est des circonstances où il faut faire confiance à son prochain. Le Gros et moi-même nous nous mettons à croupetons sur le plancher de la jeep. Ça se met à vaser ferme. On se croirait au Chemin des Dames. Les balles crépitent contre la carrosserie. Le pare-brise fait des petits et on se prend des morceaux de sécurit plein les tifs. Mais l’auto continue de foncer. Un cri ! Un choc ! Je me dis qu’on a percuté un arbre, mais non : il s’agit d’un homme.
La jeep passe dessus et continue sa course zigzaguée. Maintenant les balles viennent de derrière, preuve que nous avons franchi le barrage. Bientôt la mitraillade cesse. Nos intercepteurs doivent se rabattre sur le camion pour la poursuite western ; ils vont être contents de trouver leurs boudins dégonflés.
— Ça va, relevez-vous ! dit Belloise.
On se réinstalle sur les sièges.
— Pas de bobo ? je demande à notre conducteur émérite.
Il rigole.
— Un petit bout d’oreille de rien du tout. C’était joyce, non ? Ça m’a rappelé quand on a ratissé la succursale du Crédit Lyonnais à Vitry !
Il réalise brusquement à qui il parle et bredouille :
— Je disais ça pour se marrer, natürlich !
— Ben voyons, fais-je.
Je regarde derrière moi. En bordure du bungalow, je vois une masse sombre sur le sol.
— Dis voir, Riri, t’aurais pas meurtri un des gars, par hasard ?
— Dame, il nous défouraillait dessus, je lui ai fait le truc de la corrida et il s’est pas évacué assez rapidos. Je crois bien que sa cage à soufflets en a pris un vieux coup, j’ai entendu craquer. Faudra qu’y se fasse remettre des cerceaux neufs, moi je vous le dis !
Je mate la guimbarde. Elle est percée comme des gants de coureur cycliste.
— On a eu de la chance de ne pas se faire trouer les chaussettes avec cette distribution d’olives, apprécié-je.
— Parle pas d’olives, tu veux, supplie Sa Rondeur, je crève littérairement de faim !
— Je me demande où nous sommes, murmure Belloise. Vous trouvez pas que le paysage manque un peu d’ombre ?
— C’est vrai, gars. Les bûcherons ne doivent pas faire fortune dans ce bled.
— Ce serait pas le Sahara ?
— Je l’ignore ; tout ce que je peux vous dire, c’est que ça n’est en tout cas pas la forêt de Marly !
— À ton avis, hasarde le Goret, il y a loin d’ici z’au prochain bistrot ?
— Douze mille kilomètres à peine.
Il gémit.
— C’est terrible. On va mourir de faim et peut-être même de soif ! Attendez : y a un mec qui fait du stop, là-bas !
— C’est pas un stoppeur, c’est un cactus, rectifie Belloise, vous avez du caramel mou à la place des yeux, m’sieur Bérurier !