On s’est séparés pour le déjeuner, bien que Riri m’eût convié à leur table.
— T’es trop jalmince pour mon goût, Riri ! Je me connais, quand je vois une nana carrossée comme la tienne j’ai tendance à vouloir jouer le « Clair de Lune » de Werther sur ses jarretelles, c’est plus fort que moi.
Il avait éclaté d’un rire dont s’étaient régalés les échos de la montagne.
— Je suis pas jalmince, commissaire. Ce matin, c’était pour l’honneur, je vous avais pris pour un cave, sauf votre respect.
Néanmoins j’étais resté sur mes positions. Trinquer avec un malfrat est une chose. Passer ses vacances de neige avec lui en est une autre. Fallait que je respecte mon standing.
On ne s’est donc plus revus de la journée. Dans l’après-midi, je me suis payé des émotions fortes dans la Saulire et le soir je suis allé draguer à la « Bergerie » où j’ai eu l’honneur et l’avantage de rencontrer une personne agréable en compagnie de laquelle j’ai passé une soirée plus agréable encore.
C’était pas le genre pin-up fracassante, au contraire. Primo, elle avait un brin de bouteille, mais discret, et ses petites pattes d’oie ajoutaient à son charme. Une dame de la bonne société, venue à la montagne pour la santé de ses enfants. Elle leur consacrait ses journées, réservant ses nuits à son usage personnel. Nous fîmes trois danses, nous bûmes deux verres et nous allâmes faire un tour. La suite je vous la dis pas parce que ça vous ferait rougir comme des langoustes si vous saviez que ladite personne possédait une voiture américaine avec sièges renversables et chauffage ambiant à pulsion cardio-vasculaire double sur mollusque hybride à perforation intermédiaire biconvexe.
La tire recouverte de neige ressemblait à un igloo. Pour y entrer, fallait dégager la lourde à la pelle de camping et faire pipi sur l’encadrement de la portière pour la dégeler, mais une fois à l’intérieur, ça valait la peine !
Elle m’appelait Gervais parce que je jouais divinement à l’esquimau frileux. Cette séance, mes aïeux ! Le père Noël en aurait chialé dans sa hotte ! À la fin du circus on a essayé un regroupement de nos académies, mais c’était pas facile, croyez-moi. Ma petite camarade avait une jambe passée dans le volant et une autre coincée à l’intérieur de la boîte à gants. J’ai vu le coup qu’on allait être obligé de la dégager avec un chalumeau oxhydrique ! Pour comble de bonheur, son après-ski a bloqué le klaxon et quand on est sortis de la charrette il y avait douze mille huit cent quatre-vingt-deux personnes avec des flambeaux et des lampes électriques qui nous attendaient.
Bref, une heure du matin sonnait à toute volée lorsque j’ai réintégré l’hôtel. De la musique parvenait du bar. Je m’y suis dirigé pour un ultime glass. Au moment où j’allais y pénétrer, une voix est sortie du salon de lecture.
— M’sieur le commissaire !
J’ai fait demi-tour. Dans une pénombre ouatée, près d’un magnifique feu de bûches artificielles dont les tubes électriques pétillaient joyeusement dans la cheminée en faux marbre imitation bois, Riri Belloise gesticulait comme un professeur de culture physique dans sa salle ou un Napolitain au téléphone.
— Qu’est-ce que tu fiches là, Riri ?
— Je vous attendais, M’sieur le commissaire.
Sa voix avait des inflexions bizarres. Une sorte d’espèce d’inquiétude assombrissait son regard.
— Ça n’a pas l’air de carburer, gars ?
— Je voudrais vous dire quelque chose !
Ça ne me bottait pas. Un zig comme Riri, quand il vous fait des confidences, c’est jamais pour vous déballer du présentable.
J’étais prêt à parier votre air gland contre une vue basse que ce tordu s’était embringué dans une vilaine histoire et qu’il comptait sur le fils unique et préféré de Félicie pour arranger les choses. Avec les truands comme lui, c’est toujours du kif : si vous avez le malheur de vider un pot en leur compagnie, ils se hâtent de vous réclamer la lune.
— Je t’écoute…
Mais il n’arrivait pas à accoucher.
— T’en fais une tronche, Riri !
— Y a de quoi !
— Bigre ! C’est si grave que ça ?
— Grave c’est un mot faiblard pour causer de mon affaire, m’sieur le commissaire.
— Dis donc, Belloise, tu me mets l’eau à la bouche et, à cette altitude, ça risque de geler !
Il a haussé les épaules. Dans le bar tout proche, le pick-up jouait un truc vachement salace et, à travers le rideau masquant la porte vitrée du salon, j’apercevais des couples si étroitement enlacés qu’on aurait dit des troncs d’arbres.
— Vous savez pourquoi je suis à Courchevel, m’sieur le commissaire ? Oh ! c’est pas pour faire du ski, croyez-moi !
Je me suis raclé la gargante.
— Écoute, Riri, avant de balancer la vapeur, souviens-toi que je suis un poulet. Je préfère te prévenir loyalement que si ce que tu vas me dire était trop moche, j’ai beau être en vacances, j’agirais en conséquence.
— Je sais, m’sieur le commissaire. Et c’est justement parce que vous êtes flic que je me confie : je suis ici pour tuer un homme !
Après ce petit couplet il a poussé un grand soupir de soulagement et a attendu mes réactions. Je dois reconnaître que ça m’avait un peu soufflé.
— Tu m’en bonnis de chouettes, Belloise. Je ne savais pas que tu travaillais dans le raisin ?
— Justement, je veux pas, m’sieur le commissaire. Jusqu’ici j’ai mené une existence qui n’est pas publiable dans le bulletin paroissial, d’accord, mais je ne me suis jamais taché les pognes.
— Je sais, Riri.
— C’est pour ça que je suis bien décidé à ne pas faire ce qu’ils m’ordonnent !
— Qui, ils ?
Il a baissé le ton et, bien que nous fussions seuls, a coulé un regard peureux autour de lui.
— Des gens que je ne connais pas, commissaire. Des gens qui ne me contactent que par téléphone.
— Passionnant, tu joues les Chevalier Mystère. Qu’est-ce qu’ils te disent, tes zèbres ?
— Que si je bute pas la personne en question d’ici dimanche, la police recevra un dossier à mon sujet.
— Un dossier ?
Il a baissé le nez.
— Un dossier gênant que vos collègues ignorent. Permettez-moi de rester discret à ce propos.
C’était la moindre des choses et je n’ai pas insisté, c’eût été de mauvais goût.
— Et qui est… la personne en question ?
— François Lormont !
— Attends, ça me dit quelque chose, ce nom. C’est pas l’industriel ?
— Si. Il est au Carlina en ce moment.
Belloise n’était plus le mastar qui m’avait fait renifler sa droite le matin sur la terrasse. Il avait l’air d’un pauvre bonhomme écroulé.
— Vous voyez, m’sieur le commissaire, je mets mon sort entre vos mains…
— On t’a promis quelque chose en échange de cet assassinat ?
— Cinq briques.
— C’est pas le Pérou !
Il a haussé les épaules.
— C’est bien parce que ces mecs me tiennent autrement, qu’ils essaient de me faire marner au rabais.