— Fais pas de rebecca, Huguette, sinon je te flanque une telle fessée que tu risquerais de mourir centenaire sans avoir jamais pu te rasseoir !
— Mais je ne comprends pas, proteste-t-elle. Laissez-moi ou j’appelle au secours !
Des gens nous dévisagent, devinant qu’il se passe du louche. Je file une tarte sur le museau de la gamine et je demande aux deux poulets dépêchés par la Rousse d’Auxerre de mettre le grand développement.
— Il faut absolument que vous recolliez à la voiture sport, mes amis ! dis-je.
Ils ne demandent pas mieux que de tourner sous ma direction ce beau morcif de bravoure. Ils ont toujours rêvé de jouer un western en vistavision.
— Où vont tes petits copains, ma choute ? questionné-je ; tu aurais intérêt à nous le dire avant que je fasse un malheur.
— Je ne sais même pas de quoi vous parlez !
— N’essaye pas de me vendre des berlues ; on m’en a livré une caisse la semaine passée et je ne l’ai pas encore entamée !
— Mais je ne sais rien ; je ne comprends pas ce que vous me demandez ! Qu’est-ce que tout cela signifie ?
— Tu veux me faire avaler ton innocence comme tout à l’heure ton narcotique, poupée ?
Elle en reste comme deux ronds de frites.
— Quoi ?
Je lui désigne Pinaud. Elle le reconnaît vaguement et commence à piger qu’il y a eu, à cause de sa pomme, du sable dans l’huile à salades ! Pour l’achever, je lui mets mes lunettes truquées.
— Chuchote quelque chose à la jeune fille, Pinaud, manière de lui faire admettre son erreur.
— Vous êtes marron, murmure très bas le débris vivant.
Cette fois, miss Peste a pigé.
— J’ai été, grâce à cette remarquable invention, tenu au courant de vos moindres faits et gestes, ma gosse. L’échange des valises avec la housse et tout… Et ton complice qui se trouve maintenant dans la brouette de la chère Éva. Tu vois ?
Elle voit.
Mais elle s’enferme dans un mutisme absolu.
— Dis-moi tout de suite où ils vont. Tout de suite, entends-tu, sinon ça va saigner pour ta jolie peau !
Moi je pense à mes trois zigotos perdus dans ce coin d’Afrique.
Cette fois, je ne laisserai pas échapper l’occasion qui s’offre de coiffer la bande.
J’ouvre la portière de mon côté et je cramponne la môme Huguette par le bustier. Elle se débat, hurle, supplie, mais je reste aussi insensible qu’une motte de saindoux devant la mer de Glace. Elle a le buste à moitié sorti hors de l’auto. La tête en bas, les yeux à quarante centimètres de la route qui défile à cent quarante à l’heure !
— Tu vas parler, dis, petite garce ? Ou je te largue tout à fait !
Mes collègues d’Auxerre n’en reviennent pas. Ils se disent qu’à Pantruche les poulagas ont de drôles de méthodes.
L’Huguette, morte de frousse, hurle comme une truie qu’on égorge. Je la retire de sa fâcheuse position, mais sans relourder la portière.
— Dis-nous vite où ils vont, sinon tu y passes !
— À l’avion, bégaye-t-elle.
Ses cheveux décoiffés ressemblent à une tête-de-loup. Elle a le sang au visage et ses yeux sont rouges. Des larmes coulent sur ses joues, elle ne songe pas à les essuyer.
— Et où est-il, l’avion ?
— Dans un champ… C’est dans le Morvan. Je ne sais pas où exactement !
M’est avis que ça ne doit pas être loin d’ici, car sinon l’accident bidon aurait eu lieu plus loin. Je pense que ces canailles ont pris un chemin de traverse, sinon nous les aurions recollés à l’allure où nous allons !
— Vous avez la radio à bord ? je demande aux poulardins.
— Oui, m’sieur le commissaire.
— Établissez immédiatement un contact avec la base de Villacoublay.
Ces messieurs les grosses tronches s’activent. La petite Huguette hoquette. Elle est dans un état de prostration très avancé pour son âge.
— Vous l’avez, monsieur le commissaire !
— Thank you very much ! fais-je en me penchant par-dessus la banquette pour pouvoir jacter in the micro.
Je me fais connaître, je donne mon chiffre, et j’annonce à ces messieurs qu’un avion clandestin va s’envoler du Morvan d’un instant à l’autre. Il mettra probablement le cap sur l’Afrique. Ordre de l’intercepter coûte que coûte, par n’importe quel moyen et de le contraindre à atterrir sur l’aérodrome de Chalon-sur-Saône.
Les gars me disent que c’est O.K. Ils vont alerter les radars et des escadrilles de chasse. J’ai idée que ma brave Éva va avoir des émotions fortes d’ici pas longtemps et peut-être avant.
— Alors, monsieur le commissaire, on fait quoi t’est-ce ? s’informe le conducteur.
— On met le cap sur Chalon, dis-je. Inutile de rouler à tombeau ouvert, maintenant c’est aux aviateurs de jouer.
CHAPITRE XV
Une heure plus mieux tard, comme le dit Béru qui cause si bien français à ses heures, nous débouchons sur l’aéroport de Chalon. Il jouxte la Nationale. On a prévenu de notre arrivée et il y a des lumières à Giono.
Nous nous rangeons aux abords et nous matons l’immense champ. Aucun appareil n’est en vue. J’appelle Villacoublay.
— Rien de signalé, monsieur le commissaire ! fait la voix monstrueusement indifférente du radio.
— Cet avion serait-il passé entre les mailles du filet ?
— C’est possible s’il n’a pas pris le cap sud. Car les moyens de repérage se sont exercés avant tout sur une ligne Lyon-Bordeaux.
— Tenez-moi au courant, nous restons en liaison.
— Entendu !
Un moment s’écoule. Les gars de l’aérodrome viennent bavarder avec nous. On s’offre des cigarettes, on cause de la pluie et du mauvais temps… Et puis, tut tu tu tutu ! La radio retentit.
— Un avion clandestin est signalé au-dessus du territoire suisse. Il se dirige plein sud. Vitesse de croisière 300 kilomètre-heure.
Je deviens rouquinos comme une pivoine qui regarderait se déloquer un cardinal indien. Ces peaux de vache nous ont échappé. Ils ont pris toutes les précautions et, au lieu de piquer sur la Méditerranée, ont fait un crochet pour se mettre à l’abri des avions de reconnaissance français.
— L’aviation helvétique peut-elle prendre l’appareil en chasse ?
— Elle n’en aura pas le temps. Il se trouvera au-dessus de l’Italie.
— Alors l’aviation italienne !
— Les formalités seront peut-être trop longues. En tout état de cause, même si la reconnaissance italienne poursuivait l’avion pirate, elle ne pourrait le contraindre d’atterrir qu’en territoire italien !
Je bous.
— Dites, les gars. Ce coucou de mes deux fait du trois cents à l’heure, dites-vous. Si vous mettez un zinc faisant trois fois cette vitesse, nous l’aurons vite rattrapé, non ?
— Bien sûr.
— Drivez illico un « Mystère IV » sur Chalon-sur-Saône et demandez aux Italiens de suivre le vol de l’appareil en question.
Le mec est estomaqué.
— Je ne sais pas si vous vous rendez compte mais…
— Demandez confirmation de cet ordre à Paris et agissez, c’est d’une importance capitale. Capitale ! Vous m’entendez !
— Très bien : je transmets.
Le silence revient. Le père Pinuche qui vient tout juste de se réveiller demande :
— Tu as l’intention de courser l’avion au-dessus de la Méditerranée ?
— Exactement.
— Mais tu ne pourras pas le forcer à atterrir.
— Ne t’occupe pas du chapeau de la gamine, Vieillard. Laisse flotter les rubans sans t’inquiéter si la feuille se décolle.