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C’est pensé, hein ?

— Et maintenant, allons délivrer les prisonniers !

Je la pousse hors de la pièce avec le canon de mon arme. Dehors, les Noirs foncent en hurlant vers la chenillette en flammes. Ils ont raison : de cette manière j’ai ma liberté d’action.

La porte du réduit est fermée à clé, mais il n’y a qu’une différence entre Tarzan et moi : nous n’avons pas le même coiffeur. D’un coup d’épaule je démantèle le panneau of wood.

Dans la presque complète obscurité, deux masses inanimées gisent sur le plancher. J’actionne la grosse lampe à pile Houface accrochée à la cloison. Je découvre Béru et Belloise, chacun dans son rouleau de barbelés. Ils ont fini par se coucher sur les fils, à force d’épuisement. Et ils sont lacérés comme un grand-père paralysé qu’on aurait enfermé avec quatre-vingt-deux chatons espiègles.

— Béru ! Ma grosse pomme ! appelé-je doucement, mort d’appréhension.

Un soupir, et la voix du Gros :

— C’est toi, San-A. ?

— C’est moi.

— Si tu ne ramènes pas une choucroute, c’est même pas la peine de m’adresser la parole ! Ces fumiers nous ont rien donné à tortorer.

— Où est Lormont ? m’inquiété-je.

— Ici ! fait une voix.

François Lormont est là, dans une robe de chambre pourpre. Il tient une mitraillette et la braque sur moi, par-dessous le bras d’Éva, de telle manière que si je tire, c’est la fille qui écope et qu’il a tout loisir de m’envoyer le brouet.

— Par exemple ! balbutié-je.

— Défouraille ! Défouraille, mec ! tonne le Gros. C’est lui le patron ! Je sais tout !

— Taisez-vous, espèce d’ignoble braillard ! gronde Lormont. Et vous, mon bon commissaire, remettez donc votre arme à Éva.

Je hoche la tête.

— Bien joué, Lormont.

— N’est-ce pas ?

Je tends mon arme à Éva, mais, au moment où elle s’en empare, je balance un magnifique coup de pied dans la lampe qui s’éteint. Affolé, Lormont lâche sa rafale. C’est peut-être le roi des combinards, mais pour ce qui est de l’artillerie légère il n’est pas des plus doués ! Il commet l’imprudence d’arroser jusqu’au bout du chargeur, alors que le gars San-A., fils extrêmement réussi de Félicie, a pris la sage précaution d’exécuter un saut de côté. Au bout de quelques secondes le magasin est vide. Comme en tendant mon arme à Éva j’ai, mine de rien, placé le cran de sûreté, je suis à mon aise pour m’expliquer avec ces messieurs-dames. D’un formidable soufflet je fais éternuer son rouge à lèvres à la môme. Me voici face à face avec Lormont. Il saisit sa seringue par le canon. Au style je reconnais le joueur de golf consommé. Mais avant qu’il ne prenne ma hure pour une balle, il a droit à un coup de tatane dans le tiroir aux bijoux de famille.

Ça lui coupe la chique, le souffle et l’envie de bouffer de la cantharide. Il hurle et se courbe en deux. Sa frime de fumelard se trouve au bon niveau. L’avoinée que je lui mets endormirait tous les encaisseurs de la Banque de France. Je finis de le mettre K.O. d’un terrible coup de 42 fillette dans l’opaline et pour lui c’est le couvre-feu. Un coup de boule dans le museau de la môme Éva et elle repart à dame !

Je n’ai plus qu’à délivrer mes deux lascars. Ils sont plus engourdis, ces dégourdis, que le monsieur qui vient de passer cent vingt ans à l’intérieur d’une banquise. Ils saignent par tous les pores (Béru surtout).

Mais après quelques mouvements, ça va un chouïa mieux.

— Et ma choucroute ? demande le Vorace.

On dirait son frère, tant il a maigri. Il s’est laissé glisser au moins trente livres pendant son séjour ici !

— On va t’en offrir une tellement grosse que ce ne sont pas des garçons de restaurant, mais des garçons d’écurie qui te la feront bouffer !

Un coup de périscope, au loin, me montre les hommes de Lormont, dansant de joie autour du brasier, tout là-bas.

— Si vous avez un brin de force, traînez-moi ces deux personnages jusqu’à l’avion, leur dis-je. Moi, j’ai encore un petit turbin à faire.

— Quoi t’est-ce ?

— Mettre le feu à ce nid de serpents à sonnettes ! Des documents s’y trouvent. Ils brûleront avec le reste, je n’ai pas le temps de les chercher, et comme en fait ce ne sont que des photos de documents…

— Si par hasard tu dénichais un bout de pain et de saucisson, larmoie le Gros en s’attelant aux jambes d’Éva.

Boum !

Nous sursautons. Je regarde Riri. Il tient mon revolver tout fumant à la main. Lormont, le crâne éclaté, fait une grosse tache sur le plancher.

— Belloise, nom de Dieu ! hurlé-je.

— La première fois que j’ai du raisin sur les pognes, m’sieur le commissaire, balbutie-t-il, mais je regrette rien. Ce que ce salingue a pu nous faire endurer, c’est rien de le dire !

« Et puis quoi ! ajoute-t-il, après tout, on m’avait chargé de le buter, non ? J’aurais dû le faire plus tôt ! Rien de tout cela ne se serait produit et j’aurais encore ma petite Lydia !

ÉPILOGUE

Tout en mastiquant, non pas son saucisson — car je n’en ai pas trouvé — mais son gigot froid, le Gros — ou plutôt, le Nouveau Maigre — regarde sous lui par un hublot.

— C’est bon ? lui demande Pinaud, attendri devant cet appétit farouche.

— Ça manque de mayonnaise, mais y a des circonstances où que la gourmandise c’est de la superflue ! répond philosophiquement Boulimique Ier, roi des Estomacs et empereur des Intestins.

Il ajoute, désignant le sol :

— L’avantage de ces maisons de bois, c’est qu’elles flambent bien quand c’est qu’on y met le feu !

Moi, je savoure ma joie et ma victoire en regardant le ciel infini où le soleil pète le feu. C’est bon d’avoir pu se tirer d’une affaire pareille, non ? Alors que tout semblait perdu ?

— Ce salaud de Lormont ! fais-je. Ainsi il a voulu négocier pour son compte l’arme secrète que le gouvernement réalisait dans ses ateliers ! Un drôle de gourmand, hein ? J’ai idée que lorsqu’elle aura retrouvé ses esprits, la môme Éva en aura long à nous dire sur les activités du bonhomme.

— Sûrement, assure véhémentement Béru en mordant dans son gigot.

Il ajoute, heureux, mastiqueur, protéiné :

— Heureusement que ce mouton avait pas une jambe de bois, hein, les gars !

Nous rions en chœur. Mais moi c’est du bout des lèvres car maintenant je me pose des questions. L’une d’elles surtout me taraude : pourquoi diantre avait-on chargé Belloise de tuer Lormont puisque c’était Lormont le chef de la bande ?

Je finis par poser cette colle à Riri.

— Enfin, quoi ! dis-je, admettons que tu n’aies pas eu cette crise de conscience et que…

Mais il hausse les épaules et déclare, la bouche pleine :

— Oh ! ça va, commissaire, je préfère me mettre à table complètement. Je vous ai bourré le mou au début… Et puis après, quand j’ai compris que ça tournait au caca et qu’on m’avait pigeonné, j’ai plus osé parler… Notre rencontre à Courchevel, c’était du flan. J’avais ordre de vous jouer la comédie et de vous vendre cette salade du Lormont que j’étais chargé de buter. M’est avis que c’est lui qui avait dû manigancer ça. Comme il s’apprêtait à disparaître, il voulait que la police sache que sa vie était menacée, comprenez-vous ? Pendant que j’effaçais votre copain, il s’est tiré en douce. Une partie de la bande, Quincy et consorts, n’était pas au parfum et s’est laissé avoir aussi… D’où leur rogne. Enfin, je vois les choses comme ça et… Ouille !!!