Выбрать главу

Il s’est pris la hure dans ses grosses paluches de massacreur. On aurait dit un môme. Un môme de quatre-vingt-dix kilos à la bouille hachée de cicatrices, mais un môme tout de même !

— Tu as bien fait de te confier, Riri. On va aviser. Avant dimanche, tu dis ?

— Oui. Et on est vendredi !

La sonnerie du téléphone n’a retenti que deux fois et le Vieux a décroché. Il avait beau être deux heures du matin, sa voix était aussi fraîche qu’un bouquet de fleurs et plus nette que de l’anis dans lequel on n’a pas encore mis de l’eau.

— J’écoute !

— San-Antonio, monsieur le directeur !

Il y a eu une brusque chaleur dans son ton.

— Oh ! par exemple ! Alors, ces vacances ?

— Je crois que je n’en prendrai vraiment que le jour où je serai allongé dans un beau cercueil capitonné ; et encore je me demande si l’archange Machinchouette ne viendra pas me raconter qu’on lui a fauché son auréole pendant qu’il se faisait faire sa mise en plis !

— Qu’est-ce qui se passe ? Vous êtes à Courchevel ?

— Oui. Seulement j’y fais des rencontres, patron.

Je lui ai narré la petite histoire de Riri Belloise. Le boss écoutait en jouant « tagada-tsoin-tsoin » avec son coupe-papier sur le socle du téléphone. Ça vibrait dans mes feuilles désagréablement.

— C’est quel genre, votre Belloise ?

— Des gros bras pleins de biceps et une grosse tête pleine d’air. Faux billets, proxénétisme, vol qualifié… Mais jamais de sang sur les doigts, du moins pas à ma connaissance… Et vous, patron, François Lormont, vous connaissez ?

— Naturellement. Il était au lunch lorsqu’on m’a remis la cravate. Le Tout-Paris…

— Puisque vous le connaissez, pouvez-vous m’envoyer demain un garçon ayant sa stature et sa corpulence ? Bref, quelqu’un qui lui ressemblerait le plus possible.

— Vous avez une idée ?

— J’en ai même plusieurs. Nous devons absolument découvrir qui sont ces gens qui tiennent à se débarrasser de Lormont. Tant que nous ne le saurons pas, ses jours seront en danger.

— Parfait, je fais le nécessaire. Que proposez-vous donc ?

— Que Belloise tue Lormont.

Il était habitué à mes fantaisies, le Tondu. Pourtant il a cessé de faire de la musique avec son coupe-papier.

— Vous dites, San-Antonio ?

— Je dis que Belloise doit tuer Lormont… avec l’assentiment de François Lormont, bien entendu. Un simulacre, patron. Histoire de voir ce qui se serait passé si Belloise avait joué le jeu de ses mystérieux… clients jusqu’au bout.

— Vous m’avez fait peur, a rigolé le boss. Très bien. Je vous envoie un gars, et vous, vous prenez toutes dispositions avec l’industriel. Je vous donne carte blanche. Mais que tout cela reste officieux, n’est-ce pas ?

Y a vraiment des moments où on a envie de conseiller au Vioque de travailler chez C.C.C. car il n’aime pas se mouiller.

— Tout ce qu’il y a d’officieux, monsieur le directeur !

CHAPITRE III

Le Carlina est un établissement tout ce qu’il y a de sélect, avec eau chaude et froide à tous les étages et plantes vertes à profusion.

Il est dix heures du mat’ lorsque je m’annonce, frais comme un rabbit de rabbin, dans un pull bleu ciel couleur épinard et un futal fuseau beige bien plus beau qu’un fuseau horaire fraîchement sorti des ateliers de Greenwich.

Je demande à parler à M. François Lormont. La ravissante préposée sonne l’intéressé, lequel demande qui je suis. Je fais répondre que je suis moi-même, ce qui est la vérité la plus vraie que j’aie jamais proférée. Il accepte de me recevoir.

Un groom me pilote à travers l’établissement jusqu’au deuxième étage et m’introduit dans un salon confortable avec vue sur la neige. Il y a des reproductions de Dufy aux murs et des originaux de Lévitan par terre. Je confie la face sud de ma personne à un canapé moelleux et j’attends. Dans la chambre voisine, une radio distille du langoureux. Quelques minutes s’écoulent et la lourde s’ouvre sur un homme d’une quarantaine d’années, de taille moyenne et qui serait blond s’il lui restait des cheveux. Il porte une robe de chambre écossaise aux couleurs du clan Mac Donald. Il a les pieds nus dans des mules italiennes et il fume la pipe qu’il s’est fait faire récemment. Le regard est celui d’un homme habitué aux affaires, qui jauge ses interlocuteurs en une seconde et sait, au bout de cette seconde, ce qu’il a à attendre d’eux.

— Monsieur San-Antonio ? Votre nom me dit quelque chose, attaque-t-il, bille en tête. Ne seriez-vous point ce fameux commissaire dont les exploits défrayent si souvent la chronique ?

— Fameux est un bien gros mot, monsieur Lormont.

— Vous permettez ? dit-il.

Il décroche le biniou.

— Un déjeuner complet, murmure Lormont.

Puis, avant de raccrocher :

— Voulez-vous prendre quelque chose avec moi ?

— Volontiers.

— Café, thé, chocolat ?

— Whisky.

Il sourit.

— Votre réputation n’est pas usurpée, dirait-on. Montez ma bouteille de scotch, ajoute-t-il.

Ayant passé ses petites commandes matinales, il s’assied en face de moi.

— Je suppose que vous avez quelque chose à me dire, commissaire.

— En effet, monsieur Lormont.

— Eh bien, je vous écoute !

— Je suis venu vous apprendre une triste nouvelle : on va vous assassiner.

Je ne sais pas quelle bouille vous pousseriez si je débarquais chez vous pour vous annoncer un truc comme ça. Mais je suis prêt à parier un casque à pointe contre une pointe Bic que vous deviendriez vachement pâlichon et que vos genoux feraient bravo. Lormont, lui, encaisse la nouvelle sans broncher.

— Quand ? demande-t-il paisiblement.

— Avant demain soir, monsieur Lormont.

— Qui ?

Là je me garde bien de balancer le blaze de Riri.

— Je l’ignore encore, mais je sais de source extrêmement sûre que l’événement doit se produire.

— Pour quelle raison doit-on me tuer ?

— Je comptais un peu sur vous pour l’apprendre, avoué-je.

— Pourquoi diantre ! voulez-vous que je le sache ?

— Parce qu’en général on connaît ses ennemis ou les gens auxquels on porte préjudice. On ne fait assassiner que ceux qui vous gênent. Les statistiques ont prouvé que huit fois sur dix, la victime porte une partie de la responsabilité du meurtre.

Il ne sourcille toujours pas et continue de me fixer en tétant nonchalamment son morceau de bruyère. Je viendrais lui dire qu’un tordu a embouti une aile de sa calèche, il marquerait plus de contrariété.

— La chose ne semble pas vous affecter outre mesure, monsieur Lormont ?

— En effet.

— Je vous admire.

— Il n’y a pas de quoi. Ce n’est pas du courage mais de l’incrédulité, mon cher commissaire. Je n’ai pas d’ennemis, je n’ai jamais causé de préjudice à mon prochain, du moins pas à ma connaissance, et je considère cette nouvelle comme un bobard, soit dit sans vouloir vous vexer !

— Je la tiens pourtant du futur tueur en personne.

Là, il tique un chouïa.

— Expliquez-vous !

À cet instant on frappe à la lourde et un larbin s’annonce, porteur d’un plateau abondamment garni. J’attends qu’il ait mis les adjas pour continuer.

— Les gens qui vous veulent du mal ont payé un truand pour vous descendre. Ce truand s’est dégonflé et m’a averti, voilà l’histoire, monsieur Lormont.