Il va pas remettre le couvert, Lormont ! Je suis sur le point de lui dire qu’il aille se faire empailler où bon lui semblera lorsqu’il réalise ma rogne et fait amende honorable.
— Mais peu importe ! ajoute-t-il. Marchons dans votre plan, après tout c’est votre métier. Vous êtes le policier et moi la victime !
En riant il se désape. Laurent met ses fringues. Tout est O.K. Je file un coup de grelot à Belloise qui attend d’entrer en piste dans sa chambre, en faisant probablement une fleur à sa souris. Vu l’altitude, cette fleur serait un edelweiss que ça ne m’étonnerait pas !
Dix minutes plus mieux tard, une gentille colonne se dirige vers le tire-miches de la Loze. Il y a là : le faux Lormont (qui a l’air plus vrai que l’authentique) ; puis le dear Belloise avec son Beretta dans la ceinture, et enfin le superbe commissaire San-Antonio sur qui se détournent toutes les dadames de la station.
Il fait un temps comme sur les affiches de propagande. Le ciel est bleu comme les yeux de la môme Lydia et les montagnes aussi drues que sa ravissante poitrine.
Les cannes de remontée cliquettent dans l’air salubre. Nous nous sommes élancés à la queue leu leu dans la formation décrite plus haut. La neige siffle sous nos planches la marche du général Hiver. Votre San-Antonio, mes petites loutes si chéries, ouvre grand son œil givré. Mon plan sera-t-il payant, ou bien me ramasserai-je lamentablement ? J’opte pour l’optimisme. Les zigs qui en veulent à Lormont ne doivent pas avoir une confiance aveugle en Belloise et ils le font surveiller discrètement pour s’assurer que le pote Riri ne les pigeonne pas.
Nous arrivons en haut de la Loze. Laurent largue sa canne et pique vers la vallée après avoir assuré la bride de ses bâtons dans ses pognes. Mon petit camarade Riri en fait autant. Je mate un bout de moment leurs gracieuses arabesques avant de plonger à mon tour. Mais au lieu de les suivre, je descends en biais, de manière à conserver de la hauteur par rapport à eux.
À cette heure de la matinoche, il y a encore peu de trèpe sur les pistes. Néanmoins quelques skieurs radinent et foncent, dans la position de l’œuf (celle mise à la mode par Yul Brynner). Maintenant, Belloise et Laurent se trouvent très au-dessous de moi. Ils bombent en direction de la piste bleue, suivant l’itinéraire que j’ai établi.
C’est un coinceteau tout ce qu’il y a de peinard en ce moment et où il fait bon revolvériser son prochain. Laurent s’arrête dans un nuage de neige provoqué par son savant dérapage. Il plante ses bois de part et d’autre de son académie, comme un type qui a décidé de se gargariser à l’oxygène en matant un merveilleux paysage.
Mon pote Belloise le rattrape. Je distingue confusément son geste. Ça fait BOUM-BOUM ! en majuscules, et un petit nuage de fumaga s’étire dans l’air vivifiant. Belloise repart, bille en hure, tandis que mon collègue s’écroule dans un style qui rendrait jalmince un type du Français interprétant Shakespeare.
Je ne me presse pas d’intervenir car je tiens à voir ce qui va suivre. Trois bonnes minutes s’écoulent, et mon pote Laurent gît toujours dans la neige. Il doit trouver le temps long, le pauvre biquet. Enfin un petit groupe de trois skieurs fait un crochet et s’approche de lui. J’aimerais bien voir à quoi ressemblent ces quidams.
Voilà donc le San-A. sur lattes qui pique schuss. Mes Allais 60 miaulent comme un chaton enfermé dans un frigidaire. Je suis déçu. Les trois skieurs en question se composent d’un moniteur de la station que je connais bien et de deux jeunes Anglaises auxquelles il donnait un cours. Le moniteur est agenouillé auprès de Laurent.
Il me regarde et murmure :
— Je ne sais pas ce qu’il a pu se faire, regardez !
San-Antonio regarde, mes lapins. Et ses dragées présidentielles se convulsent sous l’effet de la stupeur. Mon camarade Laurent est mort. Il a morflé deux bastos dans le buffet. Une immense tache rouge s’étend dans la neige. Je palpe son pouls : nobody ! Je regarde sa bouche : pas la moindre buée ne s’en échappe. C’est fini. FINI !
— C’est un crime ! m’annonce le moniteur en ramassant le Beretta tout chaud qui s’enfonce lentement dans la neige durcie.
— Ça m’en a tout l’air, bredouille cette nave de San-Antonio.
Je hurlerais de rage si, biscotte la neige, je ne craignais de passer pour un loup.
M’est avis que cet enviandé de Riri m’a repassé de première. Il a changé les fausses valdas du Beretta contre des vraies. D’accord, Laurent n’a pas dû souffrir. Mais sa stupeur, à ce pauvre gars, lorsqu’il a réalisé qu’il prenait de la vraie purée dans les éponges !
— Je vais prévenir les secouristes et la gendarmerie ! fais-je au moniteur.
J’ai hâte de remettre la pogne sur Belloise. Quand j’aurai fini de lui raconter ma vie, il ne lui restera plus assez d’oreille pour écouter le dernier disque de Frank Sinatra. Si toutefois il est assez patate pour m’avoir attendu !
Eh bien ! croyez-moi ou allez vous faire tatouer le numéro de téléphone de M. Jean Mineur sur l’omoplate gauche avec un cure-dent à fourche télescopique, mais la première personne que j’avise en radinant au Sapin Bleu, c’est mon Riri, aussi radieux qu’un documentaire en couleurs sur les îles Hawaii. Il est au bar de notre hôtel et sirote un between the sheets en écoutant la radio. Il me vote un sourire en 140 de large lorsqu’il m’aperçoit.
— Alors, m’sieur le commissaire, ça va comme vous voulez !
— À merveille, Al Capone !
Il rit et profitant de ce que le barman fourbit son perco, il murmure :
— Vous avez vu ce carton ! Votre zig est un comédien de première. Ma parole, j’ai vraiment cru qu’il morflait le potage !
Il s’avise de ma mine lugubre et demande :
— Mais qu’est-ce qui se passe ? Vous semblez tout chose ?
— C’est pas moi qui suis tout chose, Riri, mais le gars que tu viens de dessouder !
— Comment ça ? bredouille l’enfoiré.
— Pas étonnant qu’il ait bien joué la comédie ; il y avait de vraies prunes dans le pétard !
Les ratiches de Belloise se mettent à jouer le grand air de Carmen.
— Dites, charriez pas, implore-t-il, j’ai horreur des histoires macabres !
Je sors de ma poche le Beretta que j’ai pris la précaution de conserver et je dégage le chargeur.
— Regarde les pralines qui restent, Baby. Tu ne vas pas me dire que ce sont des haricots verts ?
Oh ! la bouille du gentleman, mes aïeux ! Un vrai portrait robot !
— Mais, m’sieur le coco… Vous m’aviez dit que c’était chargé à blanc… Et puis j’avais moi-même vérifié par mesure de sécurité !
Sa mine effondrée n’est pas feinte ! Il n’est pas capable d’interpréter un rôle pareil, le Riri. Lui, la subtilité, c’est pas sa longueur d’onde !
— Je vous jure, m’sieur le coco… mis-saire, j’y suis pour rien. Nom de Dieu ! Je serais pas allé flinguer un flic sous vos yeux, surtout après vous avoir affranchi de ce qui se passait !
— Alors si tu es blanc, dis-je, c’est que quelqu’un d’autre a remplacé les fausses balles par des vraies !
— Mais, c’est impossible !
— Qu’as-tu fait de ce feu, depuis que je te l’ai donné, hier soir ?
— Il n’a pas quitté ma poche, je le jure, m’sieur le commissaire.
— Mais toi, espèce de lavedu, tu l’as quittée, ta poche, pour dormir, non ?
— D’accord, mais mes fringues étaient à côté de mon lit. Et elles n’en ont pas bougé, Lydia vous le dira.
— D’accord, Lydia va me le dire ! Où est-elle ?
— Elle est allée faire des courses.
— Viens !