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— Mon commandant…

— Je sais…

— Vous savez quoi ?

— Tout !

Il est net, catégorique… Avec lui, au moins, on ne perd pas de temps.

— C’est au sujet du meurtre sur le stade ?

— Ah ! vous êtes au courant ?

— J’ai vu. Des lavettes, mon cher ! Rien que des lavettes. Vingt-deux lavettes sur le terrain ! Plus l’arbitre… Mais paix à ses cendres…

— Vous avez assisté au meurtre ?…

— Venez !

Je pénètre dans l’appartement.

C’est intime, coquet. Il y a une girafe empaillée dans l’entrée (elle est en deux tronçons), des défenses d’éléphant, des défenses d’afficher et des défenses de stationner.

Dans le salon où m’entraîne le commandant, je trouve des pattes d’éléphant évidées, un coyote naturalisé, trois condors (dont un en plaqué) et un missionnaire impropre à la consommation, assis dans un fauteuil, devant un jeu d’échecs.

— Le père Nofils, présente mon hôte. Un vieux de la vieille avec qui j’ai fait Madagascar…

Le père est un père angora. Il a une grande barbe toute frisée. Il retire sa pipe, crache sur le tapis et me serre la pogne.

Le commandant Gochedroite me montre des lunettes d’approche.

— On a regardé le match, Nofils et moi. Pas vrai, curé ?

— Oui. Et c’était mou comme jeu, assure le père missionnaire en permission…

— Vous avez vu s’écrouler l’arbitre ?

— À vrai dire, nous ne l’avons vu que lorsqu’il était à terre.

— Vous n’avez pas perçu de détonation ?

— Non. On écoutait la retransmission à la radio. C’est par la radio que nous avons appris qu’il y avait eu crime. J’ai dit à Nofils : « Curé, je vous parie mon stick que la balle a été tirée avec un fusil à longue portée… Et qu’elle l’a été de cette maison… »

— Vous avez des soupçons ?

— Moi ? Dieu me garde ! Je ne soupçonne pas, je raisonne.

On peut même ajouter qu’il « résonne ».

Il ajoute en m’administrant une claque dans le dos qui me déboîte le poumon gauche.

— Vous allez prendre un peu d’alcool de riz avec nous, mon garçon, ça vous donnera du cran !

Je n’ai garde de refuser. Il emplit trois verres d’un truc affreux qui semble avoir été déjà bu plusieurs fois et que j’avale en suppliant la Providence de m’épargner.

Puis je prends congé de ces braves célibataires.

— Vous connaissez vos voisins de palier ? demandé-je au commandant.

— Les Chofroy de Volaye ? Je comprends. Ce sont les seules personnes que je fréquente hormis le père Nofils… Vous voulez les interviewer ? Manque de pot, mon garçon, ils sont absents pour quarante-huit heures. Mais si vous voulez jeter un coup d’œil à leur appartement, c’est faisable, j’ai les clés, à cause de leurs canaris que j’alimente en leur absence… Attendez !

Il va chercher un trousseau de clés et m’ouvre la lourde.

Je fais, en sa compagnie, le tour d’un appartement douillet meublé de reliques. Des portraits d’ancêtres me regardent avec réprobation.

— Je crois que c’est tranquille, non ? fait mon mentor.

— Ça l’est…, conviens-je.

Effectivement, il n’y a pas la moindre trace suspecte. Le logis ne sent pas la poudre.

Je prends congé du retraité. Il me broie les phalanges avec énergie.

— Vous me plaisez, mon garçon, fit-il. Pour un flic, vous n’avez pas l’air trop… Bref, vous voyez ce que je veux dire ?

— Je vois, et je vous remercie, mon commandant. Pour un ancien militaire, vous n’avez pas l’air trop… non plus.

Il éclate d’un rire forcené qui fait trembler les murs et retourne vers son missionnaire.

Perplexe, qu’il est, le valeureux San-A.

Il se dit qu’il est marron. Le tord-boyaux administré par Gochedroite me tord les tripes. Je me demande si je poursuis mes recherches ou si je vais me faire hospitaliser tout de suite.

Mais ma conscience professionnelle est à toute épreuve.

Il faut aller de l’avant… Toujours de l’avant !

Je redescends. Au troisième, je réalise que je n’ai en somme pas visité l’appartement des Vazimout. D’accord, ils ne sont pas là… Mais, justement, en leur absence, le meurtrier d’Otto Graff a pu s’introduire chez eux.

Je prends mon sésame et je dis deux mots à la serrure. C’est du gâteau.

Une tirelire à trois balles possède une serrure plus coriace. Je pénètre chez l’employé de banque. Aussitôt, je décèle un bruit. Un gosse gazouille des mots que je ne pige pas, non loin de là.

Je suis la source sonore et j’atterris dans une cuisine. C’est à ce moment-là que je pige tout.

CHAPITRE VIII

Dans lequel je découvre

que les enfants de cette époque

ont de drôles de jeux

La cuisine est propre, bien en ordre. Mais le fusil monté sur trépied qui en occupe le centre met dans ce décor paisible un je- ne-sais-quoi de troublant.

Juché sur une chaise, un gamin de quatre à cinq ans presse la détente du fusil en criant : « Pan-Pan ! Pan ! »

Il feint de viser par la lorgnette qui surmonte l’arme. Il s’amuse comme un petit fou, cet amour.

En m’entendant arriver, il se retourne. Il ne paraît pas effrayé.

— Bonjour, lui roucoulé-je, tu fais joujou, mon chéri ?

C’est un mignon bambin aux joues fraîches, aux cheveux bruns, bouclés. Il a un sourire auquel on ne résiste pas.

Quand je vois des mômes comme lui, j’ai envie de devenir fils-père.

— Oui, me répond-il. Je rigole bien…

Je le prends par les aisselles afin de le débarquer de sa chaise et je me penche sur le fusil.

La lorgnette est extrêmement puissante. Deux traits en croix forment viseur sur l’objectif. Pour un tireur moyen, ça n’a rien de duraille de flinguer quelqu’un avec un engin pareil.

Le fusil a été vissé sur son support. On a cherché l’inclinaison idéale et, quand on l’a eue trouvée, on a bloqué l’arme de manière à ce qu’elle ne bouge pas au moment de faire feu.

Elle ne peut se déplacer que de gauche à droite. Il était facile de suivre les évolutions de l’arbitre et de tirer au moment où il se trouvait démarqué.

Leur coup fait, les assassins ont abandonné l’arme et je vous parie un éléphant demeurant à la Défense contre une biche logeant rue de Rennes que c’est cet amour qui, en jouant, a cloqué une bastos à mon pauvre Bravocadaut-Rissin.

Autrefois, les mouflets polissons jouaient avec des allumettes de la Régie française. Maintenant ça ne leur suffit plus. Il leur faut des armes de précision.

— Comment t’appelles-tu ? je questionne.

— Lulu…

— Lulu comment ?

— Vazimout !

— Et ton papa, ta maman, où sont-ils ?

— Là…

— Où ?

Il va cogner à une porte close. Je m’aperçois que celle-ci est fermée à clé. J’actionne la clé. Me voilà dans une chambre à coucher. Sur le lit, M. et Mme Vazimout sont allongés côte à côte, solidement ligotés, hermétiquement bâillonnés.

Je m’empresse. Galamment, je commence par délivrer la dame. Ayant récupéré l’usage de la parole, icelle pousse des cris de trident.