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— Au secours ! La police ! Vite ! Mon enfant ! Je veux Lulu !

Je la tempère :

— Du secours, en voici, chère madame. La police, c’est moi. Et Lulu est là…

Je tranche ses derniers liens. Elle saisit son lardon, farouche, et le presse sur sa poitrine en sanglotant.

— Faut pas pleurer, assure Lulu. On a bien rigolé avec les messieurs.

Je délivre le paternel.

Un pauvre mec ! L’asperge ! C’est blême avec le teint vert. C’est long, pas fort, c’est battu, ça manque d’air, ça fait des économies et ça meurt avec.

Il me rappelle un type que j’avais vu, étant gamin, dans une fête foraine de village. Il était assis sur un tabouret, enveloppé dans un vieux drap de lit. Et sa bonne femme vendait trois tomates dix sous à la populace. Les gars essayaient leur adresse en bombardant le pauvre homme[8].

Quand le type morflait une tomate dans la poire, le client avait gagné… Il avait gagné une partie gratuite !

Je me souviens que les larmes m’étaient venues aux yeux. J’étais allé chialer dans un coin de la place enguirlandée sur la misère du monde. Je ne savais ce qui me navrait le plus… De la résignation du bonhomme au visage souillé. De la tranquillité de sa mégère qui vendait les tomates. De la joie hideuse de ceux qui les lui flanquaient à travers la gu… Ou, plus simplement, de la fin misérable de ces beaux fruits rouges qu’un homme avait fait pousser, que le soleil avait fait mûrir et qui ne servaient qu’à assouvir de bas instincts.

Oui, Vazimout père, Vazimout qui gagne sa vie à compter le pognon des autres, Vazimout, ligoté sur son lit payé à tempérament et où l’absence du sien a été démontrée nuit après nuit ; Vazimout, dis-je, me fait évoquer de façon singulière l’homme de la fête, au visage criblé de pépins…

— Que vous est-il arrivé ? m’informé-je.

Il promène sa main totalisatrice de chiffres sur sa tête bourrée de chiffres n’affectant pas son destin.

— C’est épouvantable…

Je m’aperçois alors qu’il a une aubergine façon courgette sur le coin de la cafetière. On ne lui a pas fait ça avec un bâton de réglisse, croyez-moi.

Je trempe un linge de toilette dans l’eau et lui applique le tout sur le pavillon.

— Le petit n’a pas de mal ? s’inquiète l’asperge.

— Mais non, voyez… Racontez-moi un peu ce qui vous est arrivé, mon cher…

— On a sonné…

— À quelle heure ?

— Une heure à peu près… Nous avions fini de déjeuner. Le dimanche, on mange de bonne heure et on va se promener dans le quartier.

Tu parles d’un régal, Annibal ! le quartier ! Les trottoirs tristes du dimanche, les amoureux qui roucoulent dans Colombes, et l’odeur…

— Donc on a sonné. Ma femme était dans la chambre en train de se préparer. Je suis allé ouvrir.

— Et puis ?

— Il y avait un type devant moi. Il portait une cagoule !

— Une cagoule !

— Je vous jure. Il a donné un coup d’épaule dans la porte pour l’ouvrir en grand et m’a flanqué un coup terrible à la tête… J’ai perdu connaissance. Quand je suis revenu à moi, j’étais là sur le lit, attaché près de ma femme… Tout le temps je me suis demandé ce qu’on avait fait du gamin…

Il a fait son rapport. Je me tourne vers son équipière.

Elle se remet un peu de sa pétoche, la camarade de lit.

— Moi, fait-elle, je venais de passer ma robe. Voilà qu’un homme entre, il avait une cagoule…

Elle frissonne.

— Ensuite, chère madame ?

— Il m’a fait coucher sur le lit. J’ai cru des choses…

Elle est déçue ! Venez pas me raconter le contraire, elle en a sec, la portion à Vazimout. Elle s’attendait à de l’extase et elle s’est mis la ceinture. Celle de sa robe de chambre, car c’est avec ça qu’on l’a ligotée. Un instant elle a cru qu’un sadique plein d’initiative allait lui voter le lot de consolation maison, lui faire oublier ses nuits chétives avec son pauvre bonhomme.

C’est raté, quoi !

Raté sur toute la ligne Colombes-Saint-Lazare.

Rater un mariage, c’est triste. Mais rater un viol, c’est effroyable.

— Et ces choses ne se sont pas produites ? fais-je, compatissant.

— Non.

— Dieu soit loué ! s’exclame Vazimout qui, ne pouvant se permettre d’être propriétaire, se rabat sur la formule locative.

— Un autre homme est venu rejoindre le premier. Je ne pouvais pas le voir, mais je l’entendais. Ils m’ont attachée et bâillonnée. Ensuite Félix a été amené contre moi.

Toujours pour le meilleur et pour le Pirée ! comme disait un Grec de mes relations.

Bon, les parents se sont mis à jour. Il ne me reste plus qu’à entreprendre le principal témoin.

Seulement il y a un hic.

Il a quatre ans, et pas toutes ses dents, le principal témoin. Le destin n’a pas bientôt fini de me marquer des penaltys ?

CHAPITRE IX

Dans lequel j’apprends du nouveau…

… et dans lequel je vous en fais part !

— Ils ont été gentils, les messieurs ?

— Oui.

— Réponds comme il faut, Lulu, morigène la mère Vazimout.

Elle constate en effet que son hoir se gratte le nez en parlant, ce qui n’est rien, mais qu’en outre il se livre à une espèce d’auto-alimentation en consommant séance tenante le produit de ses fouilles nasales.

— Ils avaient des masques ?

Le môme pige pas. Je me fais comprendre par des mimiques qui le font marrer.

— Oui, y z’avaient quèque chose sur la figure…

— Ils étaient comment ?

— Grands !

Le signalement est approximatif, surtout quand il est donné par un personnage haut de quatre-vingt-cinq centimètres.

— Qu’est-ce qu’ils disaient ?

— J’sais pas…

— Ils ne parlaient pas ?

— Si.

— Eh bien ?

— Je sais pas !

Évidemment, les conversations des grandes personnes laissent complètement froid un gamin.

— Qu’est-ce qu’ils ont fait ?

— Ils ont pris le fusil dans sa boîte. Et puis ils ont regardé dedans le tube d’en haut.

— Et à un moment donné ça a fait boum ?

— Oui. Boum-boum !

— Et toi aussi tu as fait boum quand ils ont été partis ?

— Oui. Boum !

Mignon, va. C’est chou tout plein, ça, petit. Ça vous fusille un adulte comme rien, avec un index qui pourrait même pas écraser une fraise mûre ! Quand je vous le dis qu’on n’arrête pas le progrès !

L’appartement renifle la poudre.

J’examine l’arme. Du suédois de la bonne trempe ! Avec silencieux. Voilà pourquoi ça n’a pas claqué fort.

Voilà pourquoi les droguistes d’à côté n’ont rien entendu…

— Ils m’ont donné des bonbons, assure le gamin.

Ça me fait tiquer. S’ils lui ont donné des bonbons, c’est qu’ils savaient où ils allaient. Ils n’ignoraient donc pas qu’il y avait un bambin dans l’appartement. En général, lorsqu’on veut commettre un attentat, on ne se munit pas de sucreries.

— Dis-moi, chéri, si je te montrais ces messieurs, tu les reconnaîtrais ?

Il fait oui de la tête.

— Il est très intelligent, assure la mère.

Pourquoi pas ? Vazimout avait peut-être un père remarquable. On dit que ça saute une génération.

— Ne touchez à rien, dis-je. Évacuez la cuisine en attendant l’arrivée du service compétent. Il faut s’occuper des empreintes, des traces et autres, vous comprenez…

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8

Authentique, hélas !