Ce disant, je regarde autour de moi.
— Vous cherchez quelque chose ? s’inquiète l’employé de banque.
— Oui. L’emballage…
— Quel emballage ?
— Votre enfant prétend que les meurtriers ont sorti le fusil de sa boîte. Il est certain que l’arme se trouvait dans un étui ou une valise ; sinon ils auraient attiré l’attention…
— Alors ?
— Alors je me demande pourquoi ils sont repartis en abandonnant le fusil, mais en emportant l’étui.
Je rêvasse un instant.
— Bast, fais-je, optimiste, l’avenir éclaircira ça. Je vous envoie du monde. À bientôt !
Je fais une nouvelle halte dans la loge de la concierge. La personne en question somnole dans un fauteuil d’osier avec, toujours, son chat entre les jambes.
Elle remonte un store en m’apercevant.
— Alors, comme ça ? questionne-t-elle.
J’ai pas envie de tailler une bavette avec elle.
J’en suis au stade de l’affaire (qui se trouve être celui de Colombes) où il me faut me prendre par la main et m’emmener dans un coinceteau peinard pour gamberger sérieusement aux coordonnées de tout ceci.
— Avez-vous quitté votre loge aujourd’hui ? je demande.
— Ce matin à huit heures pour aller au marché.
— Longtemps ?
— Mon pôvre, avec mes rhumatismes, je ne peux rester longtemps debout. À neuf heures j’étais de retour…
— Et depuis ?
— Depuis, je n’ai pas bougé de là.
— Certain ?
— Certaine…
— Bien, dis-je. En ce cas vous avez dû voir entrer deux messieurs dans l’immeuble sur les choses d’une heure ?
— Deux messieurs ?
— Habillés en hommes, oui !
— Vous savez, des messieurs, le dimanche, il en entre, il en sort. Les gens se rendent visite…
— Ces deux messieurs en question portaient une boîte ou une valise assez longue…
Elle secoue la tête.
— Non, voyez-vous… Franchement je vois pas… Vers treize heures, dites-vous ?
— Yes !
— Il y a eu des gens, mais avec des femmes et des enfants. Des dames seules, mais avec des locataires d’ici… Deux messieurs, vous êtes sûr ?
— Ou peut-être trois.
Après tout il y en avait peut-être un qui faisait le 22 (pas à Asnières, mais à Colombes).
— Et qui portaient un paquet ?
— Oui ?
— Eh ben, non ! Je suis sûre que non…
— Considérons les choses par l’autre bout. Vers quinze heures, ces deux messieurs ont dû repartir. Partir, vous comprenez ?
— Oui, je comprends… Avec le paquet ou la valise ?
— Oui.
— Eh ben, non ! Je suis sûre que non ! À cette heure-là, j’ai des locataires avec des amis qui sont partis. Mais sans paquet…
Voilà qui est plus fort que le reste. Les meurtriers de l’arbitre n’ont pas laissé de traces. Ils se sont manifestés uniquement dans l’appartement des Vazimout, de la façon que vous savez. Ils ont apporté des gâteries au petit, des marrons au père, des illusions à la mère, et ils se sont volatilisés en abandonnant l’arme du crime… On croit rêver, non ? Je me demande si je ne fais pas un rêve à grand spectacle et si tout d’un coup je ne vais pas me retrouver dans un lit aux côtés d’une déesse…
— Existe-t-il une autre issue à cet immeuble ?
— Non.
Inutile d’insister. Cette vaillante, cette vigilante, cette honorable concierge, recluse, percluse et moustachue ne sait rien.
Ou alors elle pionce pendant que les assassins d’arbitre entrent et sortent de sa crèche.
— Au plaisir de vous revoir, chère madame, dis-je en m’esbignant.
Retour au stade, presque désert maintenant, si l’on excepte la flicaille, je récupère mon brigadier de course aux moustaches en forme de guidon 1904.
Il essuie l’intérieur de son képi avec un mouchoir qui a été déjà le réceptacle de plusieurs saisons de rhumes de cerveau.
— Où sont les autres témoins ? lui demandé-je à brûle-pourpoint, comme un mignon qui ne sait pas fumer sa cigarette.
— Ici !
Trois personnes patientent dans un vestiaire.
Le père, la mère, la fille.
Le père a la cinquantaine et du strabisme convergent. La mère a une robe prune et une verrue sur le menton. La fille a l’air de s’ennuyer.
— Vous êtes ensemble ? demandé-je.
— Oui, font-ils d’une seule voix.
— Que savez-vous ?
Ils se regardent pour savoir qui va parler le premier. Ce sont des petits, des obscurs, des humbles. Bref, ce qu’on appelle de braves gens.
Aujourd’hui, j’en ai un bel échantillonnage à glisser dans mon herbier, entre les crocus et les nénuphars.
Comme les braves footballo-spectateurs continuent d’hésiter je leur propose de tirer à la courte-paille pour savoir qui jactera le premier.
Le chef de famille prend conscience de ses responsabilités et c’est la femme, par conséquent, qui parle.
Manque de veine : elle est bègue. Ça vaut mieux que d’attraper la fièvre bubonique, mais ça vous oblige à faire du steeple-chase en parlant.
— On nana, on nana…, commence la digne dame.
— Vous nanavez quoi ? lui demandé-je de préciser.
— On a vuuuuu !
— Vous avez vu ?
Ce disant, je me tourne vers le père de sa fille en le suppliant de prendre le relais.
— Oui, renchérit le chéri de Madame, on a vu…
— Et vous avez vu quoi ?
— Le coucou, le coucou…, recommence la dame.
— Un coucou à Colombes ! Ça m’étonnerait !
— Le coup de feu ! rectifie la fille.
Je lui accorde une parcelle d’attention. Elle a seize ans, elle est moche et elle le sait. À part ça, elle est sympathique.
— Vous avez vu le coup de feu ?
— Oui… Il est parti de la tribune d’honneur…
Bon, je me choisis une chaise convenable, je lui confie la partie de mon individu en prévision de laquelle les constructeurs de cycles ont aménagé des selles sur les vélos, et je tâche de reprendre mes esprits.
Alors que je viens de découvrir l’arme du crime dans un immeuble qu’un calcul de balistique nous a permis d’identifier, ces trois truffes viennent m’annoncer des extravagances !
Ah ! les mecs, je vous jure, je m’en souviendrai de ce dimanche. Il m’y reprendra, le Gros, à me traîner sur un stade.
— Voyons, mesdames et monsieur, bafouillé-je. Vous êtes certains d’avoir vu tirer un coup de feu ?
— On le jure ! dit le père. J’ai fait la guerre, explique-t-il.
Sous-entendu : « Alors les armes, vous pensez si ça me connaît ».
J’attends la suite, certain que maintenant elle viendra. Effectivement, il enchaîne :
— C’t’un journaliste qui a tiré.
— Ah, oui ?
— Oui. Il se trouvait en haut de la tribune d’honneur, sur une plate-forme… Vous voulez qu’on aille pour que je vous montre ?
On y va.
Présentation de mon équipe sur le terrain. Le père, la mère et San-Antonio jouent avants-centres. La fille est arrière. Le brigadier garde les buts.
Le ciel moutonneux est lourd comme la cervelle d’un catcheur. On ne voit, alentour, que quelques gardes mobiles, immobiles, et des journalistes en quête d’un ultime cliché pour l’édition spéciale du Courrier de Saint-Firmin.
— Nous étions dans la tribune, là, fait le père.
— Touten touten touten…, commence la mère.
— Tout en haut, termine la fille.