— Sa clé, je vous prie…, dis-je.
Elle se rembrunit, ce qui est dommage pour une blonde authentique.
— Pourquoi ?
Je vais rafler la pile de baveux entreposée sur le comptoir d’acajou.
— Tenez, mignonne, pendant que je fouillerai la chambre vous lirez ça, c’est passionnant. Raoul Lévy a déjà téléphoné pour acheter les droits cinématographiques.
Elle ligote le titre, fait « Oh ! », puis elle va chercher la clé de M. Graff (Otto pour les dames et son garagiste) et me la remet solennellement comme si c’était celle de la ville de Calais.
Je mate le numéro. C’est le 404.
Comme le 4 est mon chiffre bénéfique, j’augure bien de la suite des événements et je me paie une virée en ascenseur de quatre étages, sans escale, avec ravitaillement en vol.
J’arpente les couloirs ce qui me permet de croiser une riche louftingue peinte en guerre fourrée par Revillon et tenant en laisse un merveilleux pékinois renfrogné que j’adorerais pouvoir écraser à coups de talon.
Me voici au 404.
Je pénètre dans la piaule et, le seuil franchi, je m’arrête.
La chambre est vaste, un peu conventionnelle, mais confortable. Un grand lit capitonné en occupe le centre. Sur ce lit, il y a quelqu’un. Quelqu’un qui dort bruyamment, à poings fermés.
Bérurier !
Un Béru retapé, refringué, chaussé, sparadré, mercurochromé, recoiffé, pas lavé, mais presque…
Je me frotte les lampions, pour si des fois ils étaient encrassés, mais non. Pas d’erreur, c’est bien le Gros qui pionce dans le dodo d’Otto Graff.
Vous le voyez, mes amis, du mystère, on continue d’en réceptionner au point de ne plus savoir où le mettre. Si vous avez un entrepôt disponible, soyez chic : faites-moi signe…
Je glisse mon pouce et mon petit doigt entre mes lèvres, je refoule cette précieuse muqueuse qui me sert à goûter le rouge à lèvres des dames, et je siffle de toutes mes forces, à la voyou.
De quoi vous faire péter les tympans comme des boutons de jarretelle dans un cinéma. Le Gros se dresse, ahuri, congestionné, disponible, alerté !
— Hein ! Quoi ! Qu’est-ce que c’est ? J’arrive ! J’suis là ! Ne tirez pas ! J’aurai ta peau, salaud ! hurle mon camarade, descendu en flammes, alors qu’il traversait les régions confuses de son subconscient.
Puis il me reconnaît, se met à ruminer à vide et demande :
— C’qu’t’fous là ?
— C’est la question qui me brûle les lèvres, certifié-je ; par quel prodige prodigieux te retrouvé-je en cet hôtel, ô Béru, abîme d’abrutissement, toi, sur la couennerie de qui le soleil ne se couche jamais !
Il se lève posément, va au lavabo et boit une rasade de flotte.
Comme c’est la première fois que je lui vois absorber un tel breuvage, je lui demande s’il est malade.
— Un peu de fièvre, avoue-t-il, à cause de tous ces gnons…
Il revient au lit, s’assied et remonte sa cravate.
— Je suis là parce que c’est au Modern qu’est descendu ton Pauli Graff…
— Quoi ?
— J’ai bigophoné au service des hôtels… Je l’attendais. C’était une chance à courir, non ? Je crois, fait-il en toute humilité, que je m’étais vaguement assoupi.
— Si vaguement, fais-je, que les locataires de l’étage demandent leurs notes parce qu’ils se croient à Orly !
Je rigole.
— Tu t’es gouré, mon petit père. C’est pas Pauli Graff qui est descendu ici ; c’est Otto Graff, l’arbitre assassiné.
— Le petit père te crache à la figure, décrète le Gros. Si tu veux savoir, ils sont descendus ici tous les deux… Ils ont pris des chambres communicantes…
Il va à une porte voisine, l’ouvre et étend un bras souverain. Un bras de pontife.
— La v’là, mec, la turne à Pauli… Une simple porte de communication la sépare de celle-ci. Tu sors du brouillard ou quoi ?
J’en suis complètement réséda.
— Tu as fouillé ? demandé-je.
— Espère un peu, mon neveu…
— Du nouveau ?
— Des clous…
Il fait la grimace.
— Qu’as-tu, bonhomme ?
— C’est rapport à ces pompes qui me blessent. Ce sont celles d’Alfred, le coiffeur. Il me les a prêtées obligeamment pour me dépanner.
— La bonté même…, ricané-je. C’est tout ce qu’il fait pour toi, tu es sûr ?
— Il me taille les crins à l’œil.
— C’est pour ça que tu ressembles à Foujita ! Le peigne pour Monsieur, la brosse pour Madame ! Il est serviable, ton Alfred !
— Commence pas ta Paul-Émile, tranche le Gros. Aujourd’hui, je suis pas d’humeur à me faire chahuter…
J’abandonne mes sarcasmes pour inventorier la chambre d’Otto. La garde-robe contient deux costards, du linge de corps et rien d’autre…
— Puisque je te dis que j’ai déjà fait l’inspection, ronchonne le Mafflu.
Je ne réponds pas. Dans le tiroir de la table bureau, outre du papier à lettres à en-tête de l’hôtel, il y a une carte régionale affectant l’Orne, l’Eure-et-Loir, une partie de la Mayenne et de la Sarthe. Cette carte est toute neuve… Je la plie en deux et la glisse dans ma poche.
Le Gros hausse les épaules.
Je passe alors dans la piaule du Graff 2.
Sa garde-robe est nettement mieux achalandée que celle de son homonyme. Les complets ne lui font pas défaut… Je les fouille, les examine et finis par faire une constatation intéressante.
— Viens un peu par ici, Gros.
Il radine en rouscaillant et en boitillant.
— Quoi t’est-ce ?
— Regarde attentivement ces costumes et dis-moi si tu ne remarques pas quelque chose…
Il obéit, de plus en plus renfrogné. À la fin, son visage s’éclaire comme la façade d’un cinéma.
— Vu, dit-il.
Il me montre le col des fringues.
— Il y a du fond de teint à tous ses vêtements, hein ? C’est ça ?
— En effet, chapeau, t’as encore les châsses en face des trous !
— C’est pas étonnant, dit le Gros.
— Qu’est-ce qui n’est pas étonnant ?
— Qu’il y ait du fond de teint après ses cols, ce mec est artiste…
— Qu’en sais-tu ?
— J’ai téléphoné dans son bled, en Suisse. Il est artiste de music-hall, à ce qu’il paraît.
— Quel genre ?
— Ils n’ont pas pu me dire. Paraît que c’est un sauvage. Il cause à personne. Il vit tout seul quand il vit là-bas… Et puis y part en tournée…
— Pourquoi ne le disais-tu pas ?
— Parce que tu me l’avais pas demandé.
« Écoute, San-A. Aujourd’hui c’est dimanche. Au lieu de faire le clown ici, je devrais…
— La ferme ! m’écrié-je. Je pense à quelque chose…
— À quoi ?
— C’est ton expression : faire le clown… Ce mec-là travaille dans un cirque…
— À cause ?
Je lui cloque les vêtements de Pauli Graff sous le pif.
— Renifle, bonhomme… Ça sent le fauve…
— C’est pourtant vrai, admet mon très remarquable et très honorable collègue. Qu’est-ce que tu penses de tout ça, San-A. ?
— J’en pense rien encore… Mais je ne vais pas tarder à m’y mettre. Descendons, on va interviewer le personnel…
CHAPITRE XII
Dans lequel on commence à y voir
un tout petit peu plus clair…
Nous sommes réunis dans le bureau du directeur de l’hôtel avec les principaux employés.