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Décidément nous coulons à pic dans une philosophie déprimante. Afin de surmonter ce passage à vide, nous éclusons nos scotches. Aussitôt ça se présente moins mal.

Et ça se présente même tout à fait bien, car ma rouquine du stade s’annonce au salon ! Et pardon ! Comme apparition, ça se pose là ! Elle s’est loquée en irrésistible pour retrouver son petit coquin de flic. Elle porte une robe champagne qui lui colle au derme comme son épiderme, des souliers beiges et un manteau de drap noir à col d’astrakan.

C’est du sujet présentable qu’on peut emmener partout avec soi sans rougir…

Elle me tend une main gantée de chevreau.

— Je n’espérais pas vous revoir déjà, roucoule ma vamp de Colombes…

Je n’ai pas le temps de lui garantir sur facture le ravissement dans lequel me plongent ces retrouvailles éclairs.

Un groom dépêché par le réceptionniste m’apporte un mot sur un plateau.

Je lis : « Il vient d’arriver et a demandé sa note. »

Je file, tant ma joie est grande, une pièce de un franc au messager.

— Ça, va être à nous de jouer, dis-je. Passons dans le hall…

— Pour quoi faire ? demande Geneviève Détail.

— Pour regarder passer les gens. Si vous reconnaissez l’homme du stade, celui qui a couru vers l’arbitre avant le match, faites-moi signe : je suis terriblement intelligent, je comprendrai.

Visiblement l’aventure la botte.

— Et moi ? rouscaille le Gros qui va devoir relacer ses targettes.

— Toi, tu vas te poster près de la sortie. Si besoin est, tu sautes le julot, vu ?

— Ce que c’est excitant ! fait la jolie môme.

Je plonge à yeux joints dans son décolleté généreux.

— Et ce n’est que le commencement, promets-je.

Nous n’avons pas longtemps à attendre. Dix minutes plus tard, la porte de l’ascenseur s’ouvre et un type surgit. Il porte un imperméable verdâtre et un chapeau de feutre. Ce mec-là, il se loquerait en curé ou en ballerine qu’il aurait tout de même l’air de ce qu’il est, c’est-à-dire d’un poulet.

— C’est lui ! s’exclame Geneviève.

— Lui qui ? insisté-je, car si l’exactitude est la politesse des rois, la précision est la vertu dominante des flics.

— L’homme du stade. Vous voyez : il porte un complet rayé…

— Vous êtes bien certaine ? Vous m’aviez déclaré qu’il avait le type méditerranéen, or ce monsieur fait tellement Europe centrale qu’on a envie, en le voyant, de se faire naturaliser Bolivien…

— J’en suis sûre, sûre, sûre…

Pendant cet échange de questions et d’affirmations, l’homme s’est approché de la caisse et il carme sa note avec une gravité de chef d’orchestre s’apprêtant à attaquer l’Introduction du trou vert. Un garçon d’étage lui a coltiné sa valoche : une grande manne de cuir pourvue de sangles.

Depuis la porte à tourniquet, Bérurier le Plantureux piaffe d’impatience dans les pompes trop étroites d’Alfred. Il me virgule un regard en forme de portemanteau ou de point d’interrogation (à distance, il ne m’est pas possible de préciser).

— Taxi, monsieur ? demande l’employé.

L’homme branle du chef. Le préposé bondit à l’extérieur avec son irruption de boutons dorés qui lui composent une crise d’urticaire de gala.

— Venez, fais-je à ma gosse rousse.

Je tiens à lui prouver que la plus rousse des deux n’est pas celle qu’elle croit.

Nous sortons sur les talons du quidam. Un taxi se pointe, capté par le sémaphore portable du groom. Je constate que le Gros est déjà au bord du trottoir, l’air tellement innocent qu’on lui voterait un non-lieu même s’il avait découpé sa grand-mère en rondelles.

La bagnole se range devant l’hôtel. Le groom dépose la valoche sur la galerie tandis que le nommé Oschatz (ça s’écrie mieux que ça se prononce) s’engouffre à l’intérieur du bahut…

— Gare du Nord ! dit-il au pilote avec un accent pareil à un match de tennis dans un marais.

J’adresse un regard à mon poste, le preux Béru.

Icelui rouvre la portière en force.

— Non, mon pote, fait-il au chauffeur, à la Grande Cabane… Police !

Et il ajoute à l’intention d’Oschatz (ça se prononce comme ça se tousse) :

— Pousse ton prose, tu verras Marseille !

Il ne me reste plus qu’à suivre ces messieurs au volant de ma chignole à roulettes. L’interception s’est effectuée avec le maximum de tact. Quand il le veut bien, Béru, c’est un monument de discrétion et il a tellement de doigté qu’on lui demanderait de donner un récital à Pleyel s’il était plus présentable…

— Qu’est-ce que je fais ? s’inquiète la gosse.

Elle trouve que son rôle, pour important qu’il soit, n’en est pas moins d’une trop grande brièveté. Ça ne paie pas le déplacement. Avec son bath manteau au col d’astrakan, sa robe béante et son rouge à lèvres cyclamen, elle pouvait s’attendre à mieux que ça.

— Venez avec moi si vous n’êtes pas pressée…

— J’ai toute la nuit ! gazouille-t-elle.

Vous parlez d’un appel au secours ! C’est pas du sous-entendu, c’est de la sirène de brume !

On se met à filer le bahut de Béru à travers un Paname quasi désert.

CHAPITRE XIII

Dans lequel on y voit moins clair

que précédemment

— C’est un métier passionnant que le vôtre, murmure la belle enfant.

— Extraordinaire, fais-je. Et on est payé, c’est ça le plus incroyable !

Elle sourit.

— Qu’est-ce que vous allez lui faire, à ce bonhomme ?

— Des tas de choses…

— Par exemple ?

— On va lui découper les paupières avec des ciseaux à broder et lui arracher les yeux avec des fourchettes à escargots. Pour commencer, bien entendu. Ensuite on lui percera le foie avec des aiguilles à tricoter avant de lui faire vraiment des misères…

— Charriez pas…

— Secret professionnel, tranché-je.

Je me pose la question pour de bon. En effet, qu’allons-nous faire à cet Oschatz (intraduisible en auvergnat) ? En somme, il n’a commis aucun délit…

Tout ce qu’on peut lui reprocher, c’est d’avoir connu deux hommes assassinés au cours d’un match de football… C’est maigre pour sauter quelqu’un ; surtout quelqu’un d’étranger…

Le taxi du Valeureux passe le porche de la Grande Turne et je lui emboîte le pneu. Les deux véhicules nantis de moteurs à explosion stoppent entre un car de matuches et une moto de la routière fringante comme la gagnante du Grand Prix de Diane.

Comme je coupe le contact, voilà le Phénoménal qui jaillit de son carrosse en faisant des gestes capables de foutre des cauchemars à un moulin à vent.

Je passe ma figure avenante par la portière.

— Qu’est-ce qui t’arrive, Béru ?

— Il m’arrive que cet enfoiré est mort ! brame le Mahousse.

Le chauffeur du taxi, un grand-duc élevé au sein par la nourrice du tsar, sort en vitupérant et en gesticulant en russe.

Je me catapulte vers le taxi.

La tête appuyée au montant du taxi, Oschatz semble dormir. Il est inerte, paisible, absent.

Je le secoue, il part en avant et s’écroule contre la banquette du conducteur.

— Raconte ! fais-je au Gros.

— J’sais rien. Il ne bronchait pas, il la bouclait… Il semblait réfléchir. Et puis il a pris un bonbon dans son gousset et voilà le turbin…