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Le petit homme fait trois ou quatre monstrueux pets avec son instrument, resserre deux écrous, change une bille, vérifie les soupapes et, satisfait, ayant constaté que tout est paré à bord de sa caravelle, il se met à lire Paris Turf.

Ses collègues radinent en file indienne. La flûte : un solide mastar aux épaules de déménageur, fait des haltères avec son instrument. La grosse caisse donne le la. Le trombone reste en coulisse ; le basson se dresse sur la pointe des pinceaux ; l’accordéon amidonne son instrument… bref, ces musicos ambulants se préparent à la fiesta.

Béru se penche à mon oreille.

— Et si que, des fois, ton mec faisait partie de la clique ? Un musico, c’est un artiss, non ?

— J’y pensais, assuré-je. Mais je peux t’affirmer qu’il n’est pas là…

— Dommage…

Saisi d’une idée, je me dresse.

— Excusez-moi deux minutes, les enfants…

Et voilà San-Antonio parti. Je sors du cirque et je demande au nain qui vend les programmes où se trouve la caravane directoriale.

Il me dit que c’est la première bagnole, tout de suite après la caisse. Il m’apprend, par la même occase, que le directeur du cirque Barnabu s’appelle Barnabu ; ce qui est une étrange coïncidence, vous l’admettrez !

Je constate qu’il y a de la lumière dans la crèche roulante du diro. Je gravis les quatre marches recouvertes de velours bleu et j’accède à une espèce de minuscule véranda garnie de plantes vertes.

Je toque à la lourde.

Comme un toc-toc à une porte est international, le zig, à l’intérieur, ne sait en quelle langue me crier d’entrer. Il hésite, puis, se souvenant qu’il est actuellement en France, il gueule « Come in » d’une voix de stentor (et de stentor anglais, les plus stentors de tous).

J’obéis.

Mister Barnabu ne faillit pas à la tradition. C’est le directeur de cirque dans toute sa splendeur. Jugez-en. Il porte un smoking blanc un peu taché avec un bleuet à la boutonnière ; une chemise bleue et un lacet noir en guise de nœud papillon. Il est coiffé d’un chapeau de cow-boy noir et il fume un cigare gros comme le tronc d’un palétuvier.

Naturellement, il a le teint cuivré, le regard sombre, les lèvres épaisses. Il a du ventre, quarante piges sonnées à toute volée, et une certaine satisfaction d’être.

— Quoi ? tète-t-il en me défrimant.

Sa taule est impec. Une caravane comme ça, je veux bien l’utiliser pour une de mes nombreuses lunes de miel. C’est une bonbonnière. Confort ultra-moderne, luxe tapageur mais coûteux, fauteuils pullman, tapis d’Orient, bar et tout…

— Ce qu’il y a ? m’aboie Barnabu.

Un psychologue.

Avant de m’avoir vu, il m’a crié d’entrer en anglais. Mais maintenant il sait que je suis français jusqu’au bout des choses (je veux dire des ongles).

Je referme la porte soigneusement. La caravane est divisée en deux parties. Salon-chambre, avec une caravane commak, les chiens peuvent aboyer, elle passe ! Depuis la chambre, j’entends fredonner une nana. C’est la belle vie pour Barnabu. Son usine à sauts périlleux doit lui rapporter un chouette paxon.

Avec ce qu’il ratisse aux ploucs de province, il doit s’offrir des hivers charmeurs dans des coins baignés par la Méditerranée !

— Eh ben, quoi ? me dit-il avec une courtoisie qui met à l’aise.

— Eh ben, voilà, fais-je en jetant ma carte sur la table, près de son verre de scotch…

Il l’examine, comme si c’était un accessoire qui me sert à exécuter un numéro inconnu. En fait, c’est un peu ça. Je réalise alors une chose. M. Barnabu, comme tous les directeurs de cirques, ne sait pas lire.

Il y a des bidets à musique, des Frigidaire, et l’air climatisé dans les caravanes, mais pas d’école.

— Et alors ? bougonne-t-il.

Je reprends ma bille (celle qui figure sur la carte) et, tapotant l’inscription portée en travers du carton j’annonce :

— P-O : PO ; L–I : LI ; C-E : CE. POLICE… vous comprenez ?

Son attitude change un peu. Il n’est pas impressionné, ni même soucieux, simplement agacé. Il aime si peu les perdreaux, Barnabu, que de la fumaga lui sort du naze lorsque l’un d’eux se trouve à moins d’un mètre de sa chaîne de montre.

— Je paie mes impôts et tous mes gars sont en règle, déclare-t-il.

Il parle précisément de ce qui cloche dans son entreprise. Le fisc, c’est le cadet de ses soucis, et le casier de son personnel n’en est que le cousin issu de germain.

— J’en suis persuadé, fais-je. Aussi est-ce un simple, un petit, un minuscule renseignement que je viens vous demander…

Il chope sa bouteille de Black et Blanc et se sert une rasade pour grande personne.

— Je vous écoute !

— Pauli Graff, vous avez ça dans votre ménagerie, monsieur Barnabu ?

Il ne sourcille pas. Une légère ride traverse son front dans le sens est-ouest. Il boit et murmure :

— Comment vous dites ?

— Pauli Graff, sujet d’origine allemande naturalisé Suisse, ça vous dit quelque chose ? Un artiste. Il paraîtrait qu’il travaille chez vous !

— Où avez-vous pris ça, mon vieux ?

— On me l’a dit !

— Eh ben ! on s’est foutu le doigt dans l’œil. C’est tout ce qu’il y a pour votre service ?

J’avoue que rarement j’ai été expédié aussi rapidos. Il ne sait peut-être pas lire, Barnabu, mais il sait parler.

Une ravissante pépée, bronzée comme du chocolat et paradoxalement vêtue d’un déshabillé aux couleurs du cirque, fait son entrée. Elle ne me regarde même pas, elle vient saisir le glass de Barnabu et en siffle une gorgée.

Elle a des cheveux d’ébène, un rouge à lèvres écarlate, des jambes qui foutraient la tremblante à un manège de chevaux de bois et des anneaux d’or aux oreilles.

Ça me casse un peu les nougats de partir ainsi. J’aime bien, en général, avoir le mot de la fin…

— Monsieur Barnabu, je m’excuse d’insister, mais…

— Faut pas vous excuser, dit-il paisiblement, mais vous avez tort. Je connais pas le gars que vous dites, voilà tout… Vous permettez, je vais avoir ma comptabilité à faire…

— Vous devez mieux connaître les chiffres que les lettres, dis-je sans sourciller.

Il pâlit sous son hâle. Mais la réplique le laisse sans ressource. J’enchaîne :

— Il se peut que l’homme auquel je m’intéresse se soit fait engager sous un autre nom. Voici sa photo.

Je produis l’image figurant sur le passeport de Pauli Graff. Image que le labo a reproduite en l’agrandissant.

Il y jette un coup d’œil qui, montre en main, n’excède pas un millième de seconde.

— Jamais vu, vous devriez chercher ailleurs…

— Entendu.

Je glisse un regard vaseliné à la fille noire qui ondule du postère à vous en faire tirer la langue long comme un tapis d’église.

Après quoi, je dis « Au revoir, m’sieur-dame », puisqu’aussi bien j’ai affaire à un monsieur et à une dame sauf contre-indication.

* * *

Une fois dehors, je respire à pleins soufflets l’air de la noye. Sous le chapiteau le spectacle a commencé. Le jongleur chinetoque, probable ? Je reconnais ça à la musique pour soupière en folie.

Son service à vaisselle, il se le fait tourner au bout d’une canne à pêche, Chi-Pa-O-Li. Ce qui n’empêche pas sa bergère de le lui briser sur la natte quand il rentre chlass !