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— Vu. Il a torché l’un des deux bonshommes que vous aviez vous-même filé et donc repéré dans la tribune. Le Buffalo Bill ne tire pas seulement sur les boules de verre, il fait mouche dans les yeux de ses contemporains…

— Comprenez la situation…

— Monsieur Pauli Graff, savez-vous que le droit d’asile existe en France mieux que partout ailleurs et que, si vous aviez demandé la protection de la police…

— Nous ne voulions pas attirer l’attention de la police…

— Ah ! oui : le trésor…

C’est fou ce que le pognon modifie la mentalité d’un individu. C’est banal, mais c’est vrai. Tout ce qui est banal est vrai, si tout ce qui est vrai n’est pas banal !

Jusqu’aux fours, parfois, qui sont banaux !

— Bon, votre tireur d’élite qui avait envie de faire un vrai carton a composté le premier ange gardien…

— Oui.

Je me penche sur lui. Je le chope par la fraise (il en porte une). Et avec le pouce de l’autre main, j’écris dans le plâtre de son visage « M… à çui qui le lira ».

— Et puis ensuite, vous avez flingué le frangin !

« Après l’angegardienicide le fratricide. Vous entendiez affurer le pognon à deux seulement.

Le gars s’emporte. Il lève la main sur le commissaire San-Antonio qui, plus preste, abaisse la sienne sur le pif du gugusse. Ça se met à couler rouge sur son maquillage de piste.

— Vous mentez ! hurle Pauli. On a assassiné mon frère… J’ignore qui. Sans doute l’autre homme qui le surveillait. J’ignore où est le trésor, c’est pourquoi je suis allé fouiller ses vêtements dans le vestiaire où vous m’avez rencontré…

L’argument me frappe. C’est vrai. S’il avait eu le magot, ou s’il avait su où celui-ci nichait, aurait-il pris de pareils risques ?

— T’appelles ça fouiller, mon pote, je ricane en évoquant les fringues lacérées…

Il hausse les épaules.

— Si j’avais voulu me débarrasser de mon frère pour avoir sa part, aurais-je fait abattre l’homme qui le surveillait ?

Un point de plus…

— Alors, qui ?

— Je l’ignore. Et j’espère de toute mon âme que vous découvrirez la vérité…

Il paraît sincère ; autant que puisse le paraître un gars ayant un crépissage pareil sur la vitrine.

Je médite un instant, ce qui ferait sourire mon éditeur.

— En somme, je susurre, pour résumer votre cas, chère bille de clown, vous avez un frangin qui, pendant la guerre, est tombé sur un coffre d’or qu’on évacuait. Il l’a caché. Puis, vingt ans après, comme dans Les Trois Mousquetaires, il a pu revenir en France pour le récupérer à son compte. Ayant besoin d’aide il vous a fait signe. Vous mettez sur pied un petit topo destiné à lui permettre de choisir la liberté. Mais il est surveillé par des gars qui ouvrent grands leurs Marchal. Afin de lui sauver la mise vous abattez l’un des deux gars. Et, presque au même moment, votre pauvre frère est descendu sur le terrain.

Je m’arrête.

La preuve de l’innocence de Buffalo Bill en ce qui concerne ce second crime, c’est la différence des angles de tir et de distance. Le tireur qui a flingué l’ange gardien n’avait matériellement pas le temps d’aller dans l’immeuble d’en face pour démolir Otto Graff. Et pourquoi y serait-il allé, puisqu’il pouvait très aisément le dégringoler d’où il était ? Je me frotte le lobe, ce qui est chez moi l’indice de la perplexité la plus perplexe.

Et je continue :

— Vous ignorez qui a tué Otto. Vous ignorez où il a caché son or ; ou plutôt l’or de la République française…

« Correct comme résumé ?

— Oui.

— Qu’espériez-vous trouver dans ses vêtements ?

Il hésite un peu. Je l’encourage à parler, gentiment, d’un coup de poulaine dans les hauts-de-chausses.

M’sieur Pauli se racle la gargane.

— Eh bien, mon frère a caché le coffre dans un petit pays près de Rambouillet, je vous l’ai dit. Seulement il ne savait pas le nom de cette commune.

— Tu te fous de moi, Éloi ! je bougonne.

Nouveau coup de chausson de danse dans les molletières du prévenu.

— Mais non ! s’insurge-t-il. C’était la guerre. Il roulait à moto avec ses hommes. L’échauffourée s’est produite en rase campagne. Il a caché le coffre et il a rejoint sa base, mais sans savoir le nom de cette commune. C’est facile à comprendre. Il savait y aller… C’est tout… À condition de partir de Rambouillet. Il a demandé une carte routière à l’hôtel.

Je me marre. Cette carte je l’ai dans ma poche…

— Et puis ?

— Il espérait pouvoir localiser l’endroit sur la carte…

— Il y est parvenu ?

— Je l’ignore. Vous oubliez une chose… Je n’ai vu mon frère que quelques minutes pendant la nuit. Vers deux heures du matin, l’un de ses gardiens est venu frapper à sa porte. Je n’ai eu que le temps de regagner ma chambre. Peut-être d’ailleurs est-ce à ce moment-là qu’ils ont eu des doutes. Il se peut aussi qu’on leur ait parlé de moi à la réception de l’hôtel car j’avais demandé…

— Deux chambres communicantes. Tu l’as déjà dit et je le savais…

On frappe à la porte un coup discret qui fend un carreau. Béru est de retour. On s’en aperçoit tout de suite. Il entre péniblement, à cause de ses targettes de clown qui barrent l’entrée.

— L’aut’ patate est dans le panier, annonce-t-il.

Il se laisse tomber sur un siège et, après un regard admiratif au confort ambiant, il remarque :

— Ces gens de cirque, c’est riche comme Fréjus.

CHAPITRE XVIII

Dans lequel « on » s’explique… (suite)

— Un petit renseignement en dehors de l’affaire, dis-je à Pauli Graff, tu es inscrit au cirque sous quel nom ?

Il hésite. Je lui prodigue un encouragement à base de cuir muni de plaques de fer.

— Théodor Kurtz, fait-il.

Ce disant, il innocente M. Barnabu chez qui je serais allé faire un brin de pétard pas mouillé si j’avais appris qu’il m’eût berluré.

— Pourquoi ce pseudonyme ?

— Notre famille est très connue en Allemagne. L’un de mes oncles est pasteur et…

Natürlich, comme on dit outre-Rhin, ça la cloque mal d’avoir son blaze porté par un monsieur dont le métier consiste à recevoir des coups de latte au fignedé.

Satisfait de cette explication, je sors de ma vague la carte routière de l’Indre-et-Loire, de la Sarthe et d’un bout de l’Orne.

Rambouillet, bien que ne se trouvant dans aucun de ces départements, y figure tout en haut, en voisin.

J’examine la carte, espérant y découvrir une inscription ; mais des nèfles ! Elle est aussi vierge qu’une photographie sur papier glacé de la sœur Lanturlu.

Je vais pour la replier lorsque je pousse une exclamation. Mon Pauli Graff vient d’exécuter un merveilleux saut périlleux sous nos yeux. Saut périlleux qui l’a fait franchir la fenêtre ouverte sans bavure… Le temps de refermer la bouche après ladite exclamation et il a disparu au sein de la nuit riche en éclats de cuivre.