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Ils voient et se mettent au boulot.

Le brigadier aux moustaches style Tour de France 1904 radine, tout essoufflé, avec de l’émotion jusqu’à l’extrémité de ses baffies.

— Monsieur le commissaire ! moustache-t-il. Monsieur le commissaire, on vient d’appréhender le coupable…

— Déjà !

Mon scepticisme lui porte sur les nerfs. Mais il se contient.

Notez bien qu’habituellement je fais campagne contre les sceptiques. On m’a eu appelé l’antisceptique, c’est vous dire ! Mais dans le cas présent, cette nouvelle me paraît trop belle pour être vraie !

— C’est un fou, dit-il. Il est armé… Quand on a voulu le fouiller, il s’est mis à frapper les gardes. Il n’a aucun papier sur lui.

— Où est-il ?

— On vous l’amène (en latin « on vous l’amen »).

Du coup, je le crois. Un fou ? Oui, c’était bien la seule, la vraie, l’unique explication. Il faut en effet avoir le citron qui court les Six Jours pour s’amuser à buter un arbitre de foot dans l’exercice de ses fonctions.

C’est brusquement fête au village dans mon cœur. Je me mets à fredonner une vieille chanson beauceronne : Les enfants qui sèment, ou Hymne aux prés verts.

Un groupe de gardes mobiles radinent. Ils sont en essaim et essaient de maîtriser un énergumène en loques. L’individu est un furax. Ils sont six sur lui et ont du mal à le drainer jusqu’à moi.

— Lâchez-le, enjoins-je.

Ils obéissent avec peine. Avant d’abandonner sa proie récalcitrante, chacun se croit obligé de lui administrer un dernier coup de savate à clous dans le portrait ou les côtelettes.

— Ah ! les tantes ! brame l’individu. Ah ! les vendaux !

Grâce à la voix, je n’ai aucune difficulté à reconnaître Bérurier.

Mon camarade est dans un piteux état. On dirait qu’il vient de passer le week-end dans une bétonneuse. Lorsqu’il se dresse, les quelques morceaux de vêtements qui adhéraient encore, par habitude, à sa constitution, fichent le camp ; et Béru le Vaillant se retrouve nu comme un ver, aux vestiaires, ce qui est un comble, comme dirait un rat de cave de mes amis.

Il a les deux yeux pochés, le nez éclaté, les lèvres grosses comme des pastèques et des hématomes de Savoie sur tout le corps.

— Ces vaches-là…, commence-t-il.

Ruée instantanée des ruminants désignés.

Je les stoppe du geste et de la voix :

— Arrêtez ! Ce monsieur est mon plus précieux collaborateur !

Frime des gardes !

Ça paie le déplacement. On leur tirerait le portrait, on ferait fortune en cédant le cliché à Match pour la photo insolite de la semaine.

— Mais, mais…, commence celui d’entre eux qui possède la meilleure élocution.

— Paix, paix, riposté-je.

Béru s’explique.

Il le fait en phrases hachées menues et saupoudrées d’ail, ce qui m’oblige à les écouter à une distance beaucoup plus respectueuse que ne l’exigerait la personnalité du Gravos.

— J’étais peinardement en train de chercher mon autre botte…

Je le contemple, sidéré par l’ampleur du spectacle.

Il n’a, comme accoutrement, qu’une botte et un slip hors d’usage. C’est peu pour assurer son standing.

Béru poursuit, du bout de ses grosses lèvres de négresse à plateau :

— … Quand v’là soudain ces enviandés qui me sautent sur le colbak et me disent que je cherche à filer en douce…

« Je leur réponds qu’ils me courent… Et ces…

— Laisse tomber le rayon des qualificatifs, conseillé-je.

Il obéit.

— … ces messieurs à bouille de cinoque qui me réclament mes fafs !

« Moi, tu me connais, je me poirais déjà à l’idée de la bouille qu’ils allaient faire. Manque de pot, j’ai laissé mes papiers à la maison. On est partis si précipitamment… Et comme j’ai mis mon costard du dimanche…

« Bref, ils me fouillent, ils trouvent mon pétard que lui je l’avais pas oublié, et alors ç’a été la grande valse anglaise !

Ne se contrôlant plus, Béru fonce sur le garde le plus proche et le foudroie d’un crochet au menton.

Je sens que ça va barder si je ne m’interpose pas.

— Suffit ! crié-je. On est ici pour découvrir un meurtrier, pas pour se filer des toises entre poulardins, non !

Un calme olympique, puisqu’on est sur un stade.

Je confie Bérurier le Superbe au brigadoche dont le guidon de course ressemble à des moustaches 1904.

— Puisqu’aussi bien nous sommes présentement dans un vestiaire, mon cher, tâchez donc à trouver de quoi vêtir ceux qui sont nus.

Et sur ces paroles pertinentes, je moule le groupe d’énergumènes.

* * *

Je demande à un joueur de l’équipe de France où se trouve le vestiaire de feu m’sieur l’arbitre. Et il me l’indique.

C’est une petite pièce minuscule qui ressemble un peu à une loge d’acteur pour tournée miteuse.

Il y a un placard de fer fermant à clé ; une douche, une glace et une chaise.

Grâce à mon sésame, j’open the door of the placard[2].

Accroché sur un cintre, il y a le complet d’Otto Graff. C’est du bon costard germanique, taillé dans un fort tissu verdâtre. Je fouille les fouilles et je ramène un portefeuille épais comme un oreiller. Il contient un passeport. Des reichsmarks, des francs français et différents papiers écrits en allemand et non sous-titrés.

Je glisse le tout dans mes vagues et je poursuis mes investigations. Je découvre encore des lunettes à verres teintés. Une carte de l’hôtel Modern, un petit plan de Paris et un billet d’avion retour Berlin-Est.

That’s all !

Va falloir se débrouiller avec ça.

On frappe à la porte.

Puis, avant que j’aie invité le toqueur à entrer, la face tuméfiée du Gros s’incinère (dirait-il) dans l’entrebâillement[3].

— Alors, mec, demande-t-il, presque jovial. Où qu’on en est ?

— Tu es dans une tenue décente ? m’enquiers-je.

— Et comment ! Plus que décente, mords un peu la came !

Il entre tout à fait et votre San-Antonio à répétitions, mesdames (je ne parle pas de celles qui enrichissent mes livres) demeure bouche bée.

Béru a trouvé des fringues. Il porte une culotte de footballeur blanche, immaculée (rassurez-vous, ça ne durera pas), et un maillot bleu orné du coq gaulois ; en un mot il est déguisé en footballeur de l’équipe de France !

J’ai l’aorte qui se contracte, la vésicule qui s’agenouille et le grand zygomatique dans ses petits souliers.

— On croit rêver, avoué-je.

Béru aperçoit un morceau de miroir et s’y précipite, comme un papillon de nuit contre un écran de télévision en exercice.

— Ça me rappelle ma jeunesse, murmure-t-il, la voix plus noyée que les passagers du Pourquoi-pas ?

— Tu as fait du foot, jadis ?

— Non, mais j’avais un costume marin. Ça ressemble, tu ne trouves pas ? J’ai à la maison une photo de c’t’époque, faudra que je te la montre…

— Surtout ne la perds pas, supplié-je, ça peut devenir une pièce de collection pour un zoologiste.

Sur ce, j’entends une voix de centaure bramer dans les couloirs :

— Monsieur le commissaire San-Antonio, please !

Je sors. C’est le type de l’Identité qui me bêle.

Il me bondit dessus comme un pou de corps sur une toile de Pubis de Chabannes et clame en tordant un bouton de mon veston :

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2

En français dans le texte.

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3

À propos du bâillement, avez-vous assisté au dernier festival de Cannes ?