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Sans continuer de s’entretenir avec moi Arthur se tourna vers sa mère, et une longue conversation s’engagea entre eux dans la langue étrangère que j’avais déjà entendue : il paraissait demander une chose qu’elle n’était pas disposée à accorder ou tout au moins contre laquelle elle soulevait des objections.

Tout à coup il tourna de nouveau sa tête vers moi, car son corps ne bougeait pas.

— Voulez-vous rester avec nous ? dit-il.

Je le regardai sans répondre, tant cette question me prit à l’improviste.

— Mon fils vous demande si vous voulez rester avec nous.

— Sur ce bateau !

— Oui, sur ce bateau : mon fils est malade, les médecins ont ordonné de le tenir attaché sur une planche ainsi que vous voyez. Pour qu’il ne s’ennuie pas, je le promène dans ce bateau. Vous demeurerez avec nous. Vos chiens et votre singe donneront des représentations pour Arthur qui sera leur public. Et vous, si vous le voulez bien, mon enfant, vous nous jouerez de la harpe. Ainsi vous nous rendrez service, et nous de notre côté nous vous serons peut-être utiles. Vous n’aurez point chaque jour à trouver un public, ce qui pour un enfant de votre âge n’est pas toujours très-facile.

En bateau ! Je n’avais jamais été en bateau, et ç’avait été mon grand désir. J’allais vivre en bateau, sur l’eau, quel bonheur !

Ce fut la première pensée qui frappa mon esprit et l’éblouit. Quel rêve !

Quelques secondes de réflexion me firent sentir tout ce qu’il y avait d’heureux pour moi dans cette proposition, et combien était généreuse celle qui me l’adressait.

Je pris la main de la dame et la baisai.

Elle parut sensible à ce témoignage de reconnaissance, et affectueusement, presque tendrement, elle me passa à plusieurs reprises la main sur le front.

— Pauvre petit ! dit-elle.

Puisqu’on me demandait de jouer de la harpe, il me sembla que je ne devais pas différer de me rendre au désir qu’on me montrait : l’empressement était jusqu’à un certain point une manière de prouver ma bonne volonté en même temps que ma reconnaissance.

Je pris mon instrument et j’allai me placer tout à l’avant du bateau, puis je commençai à jouer.

En même temps la dame approcha de ses lèvres un petit sifflet en argent et elle en tira un son aigu.

Je cessai de jouer aussitôt, me demandant pourquoi elle sifflait ainsi : était-ce pour me dire que je jouais mal ou pour me faire taire ?

Arthur, qui voyait tout ce qui se passait autour de lui, devina mon inquiétude.

— Maman a sifflé pour que les chevaux se remettent en marche, dit-il.

En effet, le bateau qui s’était éloigné de la berge commençait à filer sur les eaux tranquilles du canal, entraîné par les chevaux, l’eau clapotait contre la carène, et de chaque côté les arbres fuyaient derrière nous éclairés par les rayons obliques du soleil couchant.

— Voulez-vous jouer ? demanda Arthur.

Et, d’un signe de tête, appelant sa mère auprès de lui, il lui prit la main et la garda dans les siennes pendant tout le temps que je jouai les divers morceaux que mon maître m’avait appris.

Chapitre 12

Mon premier ami

La mère d’Arthur était Anglaise, elle se nommait madame Milligan ; elle était veuve et Arthur était son seul enfant, — au moins son seul enfant vivant, car elle avait eu un fils aîné, qui avait disparu dans des conditions mystérieuses.

À l’âge de six mois, cet enfant avait été perdu ou volé, et jamais on n’avait pu retrouver ses traces. Il est vrai qu’au moment où cela était arrivé, madame Milligan n’avait pas pu faire les recherches nécessaires. Son mari était mourant et elle-même était très-gravement malade, n’ayant pas sa connaissance et ne sachant rien de ce qui se passait autour d’elle. Quand elle était revenue à la vie, son mari était mort et son fils avait disparu. Les recherches avaient été dirigées par M. James Milligan, son beau-frère. Mais il y avait cela de particulier dans ce choix, que M. James Milligan avait un intérêt opposé à celui de sa belle-sœur. En effet, son frère mort sans enfants, il devenait l’héritier de celui-ci. Ses recherches n’aboutirent point : en Angleterre, en France, en Belgique, en Allemagne, en Italie, il fut impossible de découvrir ce qu’était devenu l’enfant disparu.

Cependant M. James Milligan n’hérita point de son frère, car sept mois après la mort de son mari madame Milligan mit au monde un enfant, qui était le petit Arthur.

Mais cet enfant chétif et maladif, ne pouvait pas vivre, disaient les médecins ; il devait mourir d’un moment à l’autre, et ce jour-là M. James Milligan devenait enfin l’héritier du titre et de la fortune de son frère aîné, car les lois de l’héritage ne sont pas les mêmes dans tous les pays, et en Angleterre elles permettent, dans certaines circonstances, que ce soit un oncle qui hérite au détriment d’une mère.

Les espérances de M. James Milligan se trouvèrent donc retardées par la naissance de son neveu, elles ne furent pas détruites ; il n’avait qu’à attendre.

Il attendit.

Mais les prédictions des médecins ne se réalisèrent point : Arthur resta maladif ; il ne mourut pourtant pas ainsi qu’il avait été décidé ; les soins de sa mère le firent vivre ; c’est un miracle qui, Dieu merci, se répète assez souvent.

Vingt fois on le crut perdu, vingt fois il fut sauvé ; successivement, quelquefois même ensemble il avait eu toutes les maladies qui peuvent s’abattre sur les enfants.

En ces derniers temps s’était déclaré un mal terrible qu’on appelle coxalgie, et dont le siège est dans la hanche. Pour ce mal on avait ordonné les eaux sulfureuses, et madame Milligan était venue dans les Pyrénées. Mais après avoir essayé des eaux inutilement, on avait conseillé un autre traitement qui consistait à tenir le malade allongé, sans qu’il pût mettre le pied à terre.

C’est alors que madame Milligan avait fait construire à Bordeaux le bateau sur lequel je m’étais embarqué.

Elle ne pouvait pas penser à laisser son fils enfermé dans une maison, il y serait mort d’ennui ou de privation d’air : Arthur ne pouvant plus marcher, la maison qu’il habiterait devait marcher pour lui.

On avait transformé un bateau en maison flottante avec chambre, cuisine, salon et verandah. C’était dans ce salon ou sous cette verandah, selon les temps, qu’Arthur se tenait du matin au soir, avec sa mère à ses côtés, et les paysages défilaient devant lui, sans qu’il eût d’autre peine que d’ouvrir les yeux.

Ils étaient partis de Bordeaux depuis un mois, et après avoir remonté la Garonne, ils étaient entrés dans le canal du Midi ; par ce canal, ils devaient gagner les étangs et les canaux qui longent la Méditerranée, remonter ensuite le Rhône, puis la Saône, passer de cette rivière dans la Loire jusqu’à Briare, prendre là le canal de ce nom, arriver dans la Seine et suivre le cours de ce fleuve jusqu’à Rouen où ils s’embarqueraient sur un grand navire pour rentrer en Angleterre.

Bien entendu, ce ne fut pas dès le jour de mon arrivée que j’appris tous ces détails sur madame Milligan et sur Arthur ; je ne les connus que successivement, peu à peu, et si je les ai groupés ici, c’est pour l’intelligence de mon récit.

Le jour de mon arrivée, je fis seulement connaissance de la chambre que je devais occuper dans le bateau qui s’appelait le Cygne. Bien qu’elle fût toute petite, cette chambre, deux mètres de long sur un mètre à peu près de large, c’était la plus charmante cabine, la plus étonnante que puisse rêver une imagination enfantine.

Le mobilier qui la garnissait consistait en une seule commode, mais cette commode ressemblait à la bouteille inépuisable des physiciens qui renferme tant de choses. Au lieu d’être fixe, la tablette supérieure était mobile, et quand on la relevait, on trouvait sous elle un lit complet, matelas, oreiller, couverture. Bien entendu il n’était pas très-large ce lit, cependant il était assez grand pour qu’on y fût très-bien couché. Sous ce lit était un tiroir garni de tous les objets nécessaires à la toilette. Et sous ce tiroir s’en trouvait un autre divisé en plusieurs compartiments, dans lesquels on pouvait ranger le linge et les vêtements. Point de tables, point de sièges, au moins dans la forme habituelle, mais contre la cloison, du côté de la tête du lit, une planchette qui, en s’abaissant, formait table, et du côté des pieds, une autre qui formait chaise.

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