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— Je n’en pense pas trop de bien, Marthe.

Marthe baissa la tête.

— Je m’en doutais. Il ne fait pas bonne impression.

— Ce n’est pas que ça, Marthe. Il est nerveux, peut-être violent. Et il n’est pas stable quand on parle des femmes. Ça le trouble.

— Moi aussi, dit Marc.

Louis se retourna vers Marc qui, toujours assis par terre en tailleur, le regardait en souriant.

— On t’entendait plus, toi, dit Marthe. Ce n’est pas dans tes habitudes.

— Je l’écoutais, dit Marc en faisant un signe de tête vers la salle de bains. Il a une jolie voix.

— Les femmes ? Qu’est-ce que tu disais ? demanda Louis en reprenant une bière.

— Que ça me trouble aussi quand on en parle, dit Marc en épelant distinctement les syllabes. S’il a quelque chose de normal, ça doit être ça. C’est déloyal que Louis se jette là-dessus pour aligner ce type qui a déjà tout pour déplaire. Et puis son amour pour Marthe, je comprends aussi.

Marc fit un clin d’œil à la vieille Marthe. Louis réfléchissait, affalé sur sa chaise, les jambes allongées.

— Tu es peut-être en train de te faire avoir, toi aussi, dit-il, l’œil fixé au mur. À cause du son de sa voix. Il est musicien, et sur une bonne musique, tu partirais en courant à la guerre comme un foutu crétin.

Marc haussa les épaules.

— Je pense seulement que le gars est une rareté, dit-il. Assez hébété pour exécuter point par point ce qu’on lui demande sans se poser de questions, assez aveugle pour ne pas voir le trou qu’on creuse sous ses pas, une véritable aubaine pour un manipulateur. Et ça, on ne peut pas le négliger.

Clément sortit à cet instant de la salle de bains, les cheveux ruisselants, revêtu des habits de toile noire de Marc, tenant à la main la ceinture à boucle argentée.

— Faut que je mette ça aussi personnellement ? demanda-t-il.

— Oui, dit Louis. Mets-la par-devers toi.

Clément s’appliqua à passer la ceinture dans les passants du pantalon, et l’opération fut laborieuse.

— Tu ne m’as pas répondu tout à l’heure. À quoi as-tu pensé dans le café, quand tu as entendu l’histoire du meurtre ?

Clément grogna et alla reprendre sa place sur le lit, pieds nus, chaussettes à la main. Il appuya sur son nez, puis entreprit d’enfiler une chaussette.

— Petit a, que je connaissais la femme qui était morte dont j’avais offert la fougère. Petit b, que je lui avais porté la poisse d’autant que je devais la surveiller. Et on parlait de moi dans le journal. C’est en ressassant personnellement la coïncidence que j’ai eu l’idée que j’étais dans le fond d’un piège duquel j’ai cherché Marthe.

Clément, sa chaussette à la main, approcha son visage de Louis.

— C’est une machinerie, dit-il.

— Une machination, ajouta Marthe.

— Dont à laquelle les sorties n’existent pas, continua fermement Clément, et pour quoi j’ai été choisi exprès et apporté de Nevers par téléphone.

— Et pourquoi est-ce toi, entre tous, qui aurais été choisi ?

— Parce que je suis, entre tous, un imbécile.

Il se fit un silence. L’homme enfilait sa deuxième chaussette. Il était précautionneux dans sa manière d’ajuster ses affaires.

— Comment le sais-tu ? demanda Louis.

— Ben parce qu’on me l’a toujours dit, répondit Clément en haussant les épaules. Parce que par-devers moi je ne comprends pas tout ce qui se passe, ni dans les journaux dont j’ai du mal à les lire. Il n’y a que Marthe qui ne me le disait jamais, mais Marthe est bonne quant à elle-même.

— C’est exact, dit Marc.

Clément regarda Marc, et lui sourit. Il avait un sourire rentré, qui ne découvrait pas les dents.

— Tu sais comment ces femmes sont mortes ? insista Louis.

— Je ne veux pas en parler, ça me trouble.

Marc allait sans doute dire « moi aussi » mais Louis le freina d’un regard.

— Ça va, Marc, on arrête là, dit-il en se levant.

Marthe lui jeta un regard anxieux.

— Non, dit Louis d’un ton mécontent. Je ne sais pas, Marthe. Mais pour le moment, quoi qu’ait fait ton gars, on est coincés comme des cons. Coupe-lui les cheveux bien court, et teins-les. S’il te plaît, pas quelque chose de trop criard, fais-lui un beau brun sombre. Pas de roux, surtout. Qu’il se laisse aussi pousser la barbe, on la teindra dans les jours qui viennent, s’il n’est pas au trou d’ici là.

Marthe eut un mouvement mais Louis lui posa la main sur les lèvres.

— Non, ma vieille, laisse-moi continuer et fais exactement comme je te le demande : ne le laisse sortir d’ici sous aucun prétexte aujourd’hui, même s’il braille qu’il veut aller boire un café au café.

— Je lui lirai des histoires.

— C’est cela, dit Louis d’une voix irritée. Et ferme derrière toi si tu as à sortir. Son baluchon, toutes ses affaires, tu me les donnes. Faut qu’on s’en débarrasse.

— Qu’est-ce qui me dit que tu ne vas pas les garder ?

— Rien. As-tu une arme ?

— J’en veux pas.

Marthe rassembla toutes les affaires de Clément qu’elle entassa dans son petit sac à dos.

— Et son accordéon ? demanda-t-elle. Tu ne vas pas lui retirer tout de même ?

— Il l’avait avec lui quand il surveillait les femmes ?

Marthe interrogea Clément du regard. Mais Clément n’écoutait plus ce qui se passait. Il lissait l’édredon rouge du plat de la main.

— Mon bonhomme, lui dit Marthe, tu avais pris ton accordéon pour guetter les femmes ?

— Ben non, Marthe. C’est trop lourd, et ça ne sert à rien pour la surveillance.

— Tu vois, dit Marthe en revenant vers Louis. Et puis ils n’en parlent pas dans le journal.

— Très bien. Mais qu’il n’en joue pas une note, veille bien à ça. Personne ne doit savoir qu’il y a quelqu’un chez toi. Quand la nuit sera tombée, on viendra le chercher pour l’emmener ailleurs.

— Ailleurs ?

— Oui, ma vieille. Dans un endroit où il n’y aura pas de femmes à tuer et où on pourra le surveiller nuit et jour.

— En tôle ? cria Marthe.

— Cesse de gueuler tout le temps ! s’énerva brusquement Louis, pour la troisième fois de la matinée. Et fais-moi confiance une fois pour toutes ! Il s’agit juste de savoir si ton petit gars est un monstre ou si c’est juste un con ! C’est le seul moyen de le sortir de là ! En attendant, et tant que je ne sais rien, je ne vais pas le donner aux flics, entendu ?

— Entendu. Tu l’emmèneras où, alors ?

— Dans la baraque pourrie. Chez Marc.

— Pardon ? dit Marc.

— On n’a plus le choix, Marc, et je n’ai pas d’autre idée. Il faut mettre en urgence cet imbécile à l’abri des flics en même temps qu’à l’abri de lui-même. Dans ta baraque, il n’y a pas de femmes, c’est déjà un immense avantage.

— Ah bon, dit Marc, je n’avais jamais considéré la situation sous cet angle.

— Ensuite, il y aura toujours quelqu’un pour veiller sur lui : Lucien, Mathias, toi ou ton parrain.

— Qu’est-ce qui te dit qu’on sera d’accord ?

— Vandoosler le Vieux sera d’accord. Il aime les situations merdiques.

— C’est vrai, reconnut Marc.

Louis, inquiet, fit encore plusieurs recommandations à Marthe, jeta un dernier regard à Clément Vauquer qui caressait toujours l’édredon, le visage morne, passa le sac à dos sur son épaule et entraîna Marc dans la rue.