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— Si tu espérais les voir tous ensemble aujourd’hui, c’est foutu.

— Je vois, dit Louis assez contrarié. Raconte-moi l’histoire. J’en ai une version, et j’ai besoin de savoir si elle est juste.

— Eh bien, c’est cette jeune professeur d’anglais, Nicole Verdot. Elle habitait l’Institut pendant la semaine, comme d’autres profs, le personnel et tous les élèves. C’était le système du pensionnat, plus efficace pour les résultats, il paraît. Qu’est-ce que tu en penses ?

— Rien, dit Louis, qui ne voulait pas compromettre cette bonne entente provisoire.

— En attendant, les gosses ne traînent pas partout après les cours. Ça les tient mieux.

— Si se tenir mieux, c’est violer une femme après les cours, je ne vois pas l’avantage.

— T’as pas tort, je n’y avais pas pensé. En tout cas, qu’est-ce qu’elle faisait dehors la petite prof, à presque minuit, on n’a pas pu le savoir. Une promenade, ou un rendez-vous… Il faisait doux, c’était en mai, le 9 du mois. Et là…

Pouchet leva les mains et les laissa retomber lourdement sur la table en Formica.

— Là, trois types lui sont tombés dessus, comme des chiens enragés. Le jardinier du parc est arrivé par là-dessus, mais un peu tard, malheureusement. C’est curieux, ce type avait trouvé un truc pas idiot, il avait branché la lance d’arrosage. Il les a fait détaler comme ça, au jet d’eau.

— Pourquoi dis-tu « c’est curieux » ?

— Oh… Parce que le jardinier, on a dû l’interroger longtemps vu que c’était le seul témoin… Eh bien, il n’était pas aidé d’ici, si tu vois ce que je veux dire, dit Pouchet en montrant son crâne. Une vraie tête d’abruti. Bon Dieu, il nous a donné du mal à l’interrogatoire, ce mec. Mais son histoire se tenait, au bout du compte : on a bien relevé les traces de pas de trois hommes, dans l’herbe détrempée, en plus des traces du jardinier. Et on a ramassé la cagoule par terre, la fameuse cagoule qu’il a arrachée.

— Il avait reconnu les types ?

— Un seul, Hervé Rousselet, un redoublant de première année, vingt ans, un gosse de riches et une vraie brute. Les quatre cents coups dans Nevers depuis l’adolescence. Le jardinier avait soi-disant « reconnu » un autre des types, son chef-jardinier. Là, en revanche, je crois qu’il nous bassinait pour faire plonger son chef, qu’il avait l’air de détester. « Le Sécateur », il l’appelait. On l’a passé au gril et ça n’a rien donné. La jeune femme avait aussi reconnu un de ses agresseurs. Elle répétait « Je l’ai vu, je l’ai vu… », une vraie litanie. Mais le nom ne lui revenait pas, trop choquée la pauvre. À l’hôpital, ils l’ont fait dormir. Et puis…

Pouchet laissa à nouveau tomber ses mains sur la table, désolé.

— … Le mec l’a tuée, pendant la nuit. Pour ne pas qu’elle parle, tu penses bien.

— Elle n’était pas gardée ?

— Si, mon vieux, qu’est-ce que tu crois ? L’assassin est entré par la fenêtre, au premier étage, mais le planton était dans le couloir. Une vraie gaffe. Tu ne vas pas ressortir ça, au moins ?

— Non. Comment l’a-t-il tuée ?

— Il l’a étouffée avec l’oreiller. Et puis étranglée, pour faire bonne mesure.

— Tiens, dit Louis.

— Mais ce Rousselet, ça ne lui a pas profité longtemps. Il s’est noyé dans la Loire aussi sec. On l’a retrouvé le lendemain matin. Et l’affaire s’est bouclée toute seule, tu vois. C’était triste, vraiment triste. Les deux autres types, on ne les a jamais pincés.

Pouchet observa Louis.

— T’es sur leur piste, par hasard ?

— Peut-être.

— Ça me ferait plaisir, si tu y arrives. Tu as besoin d’autre chose ?

— Parle-moi du jeune jardinier.

— Qu’est-ce que je pourrais t’en dire ? Il s’appelle Clément Vauquer, et je te l’ai dit, il n’en avait pas bien gros dans la cervelle. Un pauvre gamin, si tu veux mon opinion, mais un peu bizarre quand même. Brave, remarque, parce qu’il s’est démené pour aider cette femme, tout seul contre trois mecs qui en voulaient. J’en connais des tas qui se seraient débinés. Lui, non. Tu vois, brave, quand même. Et tout ce que ça lui a rapporté, c’est de se retrouver à la rue.

— Tu sais ce qu’il est devenu ?

— Je crois qu’il fait des soirées-chansons dans des cafés de la région. À L’Œil de lynx, par exemple, tu pourrais te renseigner.

Louis nota que les flics de Nevers n’avaient pas encore fait le rapprochement entre leur accordéoniste et le portrait-robot publié la veille. Ça n’allait pas durer. Tôt ou tard, quelqu’un de Nevers allait l’identifier. Une question d’heures, aurait dit Loisel.

— Et le « Sécateur » ? Il est resté dans le coin ?

— Lui, je ne l’ai jamais revu. Mais je n’ai pas fait gaffe. Son vrai nom, ça t’intéresse ?

Louis hocha la tête et Pouchet parcourut son dossier.

— Thévenin, Jean Thévenin. Il avait quarante-sept ans au moment des faits. Tu devrais aller demander à Merlin, l’ancien directeur. Il l’avait peut-être gardé à son service pour l’entretien du parc, jusqu’à la vente.

— Tu sais où je peux le joindre ?

— Je crois qu’il a quitté la région. Je pourrais peut-être te dire ça au bureau. La secrétaire connaissait un des enseignants.

Pouchet régla les deux bières, avec un clin d’œil, à cause du pari.

La secrétaire assura à Louis que Paul Merlin avait en effet quitté la Nièvre. Après la faillite, il était resté quelque temps à Nevers et puis il avait trouvé un emploi à Paris.

Pouchet emmena Louis déjeuner avec deux de ses collègues. Louis repassa aux toilettes pour humecter Bufo. Il se faisait du souci pour le chemin du retour, avec cette chaleur dans la voiture. Mais Marc n’aurait jamais accepté de garder le crapaud, évidemment Marc gardait la poupée de Marthe, ce n’était déjà pas mal. Louis se faisait aussi beaucoup de souci pour ce type. Il se demandait pour combien de temps encore ils réussiraient à le soustraire à la traque de tout un pays. Et combien de temps il mettrait pour savoir si c’était un fou dangereux ou un brave mec, comme aurait dit Pouchet. En tous les cas, l’histoire du viol du parc était vraie, Clément n’avait rien inventé. Il y avait donc au moins deux hommes qui le détestaient, deux violeurs. L’un s’appelait Jean Thévenin, alias le « Sécateur ». Louis repensa aux blessures infligées aux deux femmes de Paris, et il frissonna. Il détestait cette image du sécateur.

Quant à l’autre, au troisième homme, on ne savait rien de lui.

Louis s’apprêta à quitter les flics de Nevers assez tard dans l’après-midi. Le plus délicat restait à faire. Il posa la main sur l’épaule de Pouchet et le capitaine lui jeta un regard étonné.

— Suppose, dit Louis d’une voix un peu basse, que tu entendes parler de ce jardinier d’ici peu.

— De l’arroseur ? Je vais en entendre parler ?

— Suppose que oui, Pouchet, et pour une très sale affaire.

Pouchet, interloqué, voulut parler, mais Louis l’arrêta d’un geste.

— Suppose que les flics de Paris et moi, on ne voie pas les choses sous le même angle et surtout, suppose que ce soit moi qui aie raison. Et que j’aie besoin d’un peu de temps, de quelques jours. Suppose alors que ce serait toi qui me les donnerais, ces jours, en oubliant que tu m’as vu. Ce ne serait pas une faute, une simple omission sans conséquence.

Pouchet fixait Louis, indécis, tendu.

— Et suppose, dit le capitaine, que je veuille savoir pourquoi je ferais ça ?

— Ce serait légitime. Suppose que le jeune Vauquer, celui qui ne s’est pas débiné, mérite une chance, et suppose que tu me fasses confiance ? Suppose que je ne te veuille pas de mal ?