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Guy eut un regard d’excuse en direction de Louis. Puis il eut soudain son camarade en ligne.

— Ivan, on a un problème, ici. C’est à propos d’une de tes affiches.

Louis prit le téléphone quelques instants plus tard.

— De quel poème s’agit-il ? demanda Ivan. C’est très possible que je m’en souvienne.

— Je vous le récite ?

— Je crois que c’est le mieux.

Ce fut au tour de Louis de jeter un regard embarrassé au jeune homme. Il se concentra pour se remémorer les quatre vers qu’il avait regardés la veille avec Loisel.

— Bien, dit-il en reprenant l’appareil. Vous y êtes ?

— Je vous écoute.

Louis prit une inspiration.

— Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé, le prince d’Aquitaine à la tour abolie, ma seule étoile est morte et mon luth constellé porte le soleil noir de la mélancolie. Voilà. C’est d’un certain Gérard de Nerval et ça s’appelle El Desdichado. Je ne sais plus la suite.

— Vous pouvez me les redire ?

Louis s’exécuta.

— Ouais, dit Ivan, il a été affiché. J’en suis certain.

— Magnifique, dit Louis, la main serrée sur le téléphone. Est-ce que par hasard vous vous souvenez de l’époque où c’était affiché ?

— Je dirais juste avant Noël. Juste avant Noël, parce que j’ai pensé que ce n’était pas bien gai pour les fêtes.

— En effet.

— Mais après, ça reste placardé pendant plusieurs semaines. Faudrait se renseigner auprès du service.

Louis remercia chaleureusement le colleur d’affiches. Puis il tenta sans succès de joindre Loisel.

— Pas de message, dit-il au flic de garde. Je rappellerai.

Il serra la main du jeune Guy et dix minutes plus tard, il frappait à la porte de la baraque pourrie. Les verrous étaient mis et personne ne bougea. Il posa son sac devant la porte et fit le tour de la maison. Par derrière, on atteignait aux trois fenêtres hautes du rez-de-chaussée, qui donnaient sur une portion un peu plus grande de jardin. Marc l’appelait « l’essart », par opposition à « la friche », parce qu’il l’avait un peu désherbé et que Mathias y avait planté trois pommes de terre. Louis frappa plusieurs coups sur le volet, en criant son nom pour ne pas affoler les gardiens de Clément.

— Je t’ouvre ! gueula la voix de Vandoosler le Vieux.

Vandoosler l’accueillit avec une bouteille de vin à la main.

— Salut, l’Allemand. On se fait une partie de 421 tous les trois.

— Tous les trois qui ?

— Tous les trois, moi, Marthe et son gosse.

Louis pénétra dans le réfectoire et trouva Clément à cheval sur le banc en bois, la vieille Marthe à ses côtés. Il y avait des verres sur la table et des fiches pour marquer les points.

— Où sont les autres ? demanda Louis.

— Les évangélistes ? Sortis se promener.

— Ah bon ? Tous ensemble ?

— Je n’en sais rien, c’est leurs affaires. Tu joues ?

— Non, je prends du café s’il en reste.

— Sers-toi, dit le parrain en reprenant sa place au jeu. Il y en a dans le pot.

— Vandoos, dit Louis en se servant une tasse, ça se pourrait que le Sécateur soit bel et bien le deuxième violeur.

— Tchik, chuchota Clément.

— Et ça se pourrait aussi que lui et Rousselet aient été payés pour le faire. Le troisième homme du viol, sans doute le commanditaire, reste encore dans l’ombre. Et c’est probablement lui, le grand danger. Ce serait une connaissance du Sécateur.

Vandoosler se retourna vers Louis.

— Il y a pire, dit Louis. J’ai fait une bourde. C’est Lucien qui avait raison.

— Ah, fit le parrain d’un ton neutre.

— Mais je ne pouvais pas deviner qu’El Desdichado avait été placardé partout dans le métro et le RER au mois de décembre dernier.

— Et c’est important ?

— Ça change tout. L’assassin n’a pas cherché le poème. Il s’est cogné dessus.

— Je comprends, dit Vandoosler en jetant les dés sur le plateau.

— Six cent soixante-cinq, à sec, annonça Marthe.

— Six six cinq, chantonna Clément.

Louis jeta un coup d’œil à la poupée de Marthe. Il avait l’air de se trouver bien à présent, dans cette maison. Louis le comprenait un peu. Le café était meilleur ici que partout ailleurs, même froid comme ce soir. C’était un café fondamentalement reposant. Ça devait être l’eau, ou bien la maison.

— J’ai essayé de contacter Loisel, dit-il, mais il n’est plus au commissariat. Injoignable.

— Qu’est-ce que tu lui veux à ce flic ?

— Je veux le convaincre de faire surveiller les rues. Mais nom d’un chien, on ne peut rien faire avant demain soir.

— Si ça peut te consoler, les évangélistes ont commencé la surveillance hier soir. Ce soir, ils y sont postés tous les trois. Saint Luc déguste un poulet basquaise rue de la Lune, Saint Marc et Saint Matthieu bouffent un sandwich rue du Soleil et rue du Soleil d’or.

Louis considéra en silence le vieux flic qui relançait les dés en souriant et Marthe qui tirait sur son petit cigare en lui lançant un rapide regard. Il passa plusieurs fois les mains dans ses cheveux noirs, encore mouillés de pluie.

— Trois, trois, un, chantonna Clément à voix basse.

— C’est de la mutinerie, dit-il en avalant une gorgée de café froid.

— C’est précisément ce qu’a dit Lucien. Il a dit que ça lui rappelait l’année 1917. Tous guettent le Sécateur ou le vieux sculpteur. Mais si, comme tu le dis, il s’agit du troisième homme, ils n’ont aucune chance. Il faudrait que les flics passent en revue toutes les jeunes femmes solitaires des trois rues pour les mettre en garde. Et puis tendent une souricière.

— Pourquoi ne m’a-t-on rien dit ?

Vandoosler le Vieux haussa les épaules.

— T’étais contre.

Louis acquiesça et se versa une seconde tasse de café.

— T’as pas du pain ? demanda-t-il. Je n’ai pas dîné.

— C’est mardi, j’ai fait mon gratin royal. Je te le réchauffe ?

Un quart d’heure plus tard, satisfait et détendu, Louis se servait une copieuse portion. Que les mutins surveillent les rues le rassurait. Mais Vandoosler le Vieux avait raison. S’il s’agissait du troisième homme, il serait impossible de le remarquer. À moins que le tueur ne fasse des repérages plusieurs soirs de suite. C’était de très petites rues, l’une était même une ruelle. On devait aisément pouvoir faire le tour des riverains et des habitués. Mais l’entrée en lice de Loisel devenait essentielle.

— Ils sont armés ?

— Hier, ils sont partis mains nues. Ce soir, je leur ai conseillé de s’équiper un peu.

— Ton flingue ?

— Surtout pas. Ils seraient capables de se tirer une balle dans le genou. Lucien a emporté la canne-épée de son arrière-grand-père…

— Très discret.

— Il y tenait, tu sais comme il est. Mathias a un Opinel, et Marc n’a rien voulu prendre. Les couteaux le dégoûtent.

— Avec ça, soupira Louis, ils sont bien partis. En cas de coup dur…

— Ils ne sont pas aussi démunis que tu te le figures. Lucien a sa ferveur, Mathias a sa vertu et Marc a sa finesse. Ce n’est pas si mal, crois-en mon expérience de vieux flic.

— À quelle heure rentrent-ils ?

— Vers deux heures du matin.

— Je vais les attendre, si ça ne te gêne pas.

— Au contraire, tu vas prendre mon tour de garde. Et fais-toi une flambée, l’Allemand, tu vas attraper la mort dans ces fringues trempées.