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À onze heures, il devint évident que Merlin lui-même avait commandé le viol de Nicole Verdot, bien qu’il n’y eût pas moyen de le lui faire clairement reconnaître, ni d’obtenir les noms de ses exécutants. Merlin devenait délirant et sauvage dès qu’il s’agissait d’évoquer la jeune femme de Nevers. À midi, il fut aisé de reconstituer son désir et sa haine de Nicole Verdot, qui, après une nuit imprudemment accordée, refusait depuis ses avances et menaçait de quitter l’établissement. Mon front est rouge encor du baiser de la reine, J’ai rêvé dans la grotte où nage la sirène

À l’abri d’un arbre, Merlin avait contemplé le viol punitif. Peut-être espérait-il récupérer la jeune femme terrassée, peut-être même jouer les sauveurs et, à force de prévenances, l’amener à céder. Mais cet abruti de Vauquer était intervenu comme un halluciné avec sa lance d’arrosage, dévastant tout le plaisir et les projets du chef d’établissement. Pire, il avait arraché la cagoule de Rousselet, et Nicole Verdot avait reconnu son agresseur. Rousselet était une brute et un lâche, il parlerait, il livrerait le nom de son commanditaire. Dans la nuit, Merlin tuait Nicole à l’hôpital et noyait Rousselet dans la Loire. Clément Vauquer paierait pour cela.

Ma seule étoile est morte

Vers trois heures, Merlin avait reconnu les meurtres de Claire Ottissier, Nadia Jolivet, Simone Lecourt, et Paule Bourgeay. Louis expliqua comment Merlin avait savouré l’agonie de Nicole Verdot, élément déclencheur d’un engrenage de plaisir et d’assouvissement dans la violence meurtrière, ce que Vandoosler le Vieux résuma en disant que le type y avait pris goût et qu’il ne pouvait plus se retenir. Les soupirs de la sainte et les cris de la fée… Le poème l’avait croisé par trois fois un matin, après une nuit sans sommeil. Il lui avait tracé la route.

Vers quatre heures trente, Louis donnait des détails sur la manière simple et brillante dont Paul Merlin repérait ses victimes. Grâce à son poste de haut fonctionnaire à la Recette-Perception de Vaugirard, il recherchait dans les fichiers informatiques les rues qu’il désirait, et y sélectionnait les femmes célibataires sans enfant de moins de quarante ans.

Merlin avait projeté deux autres meurtres après celui de Julie Lacaize : l’un, rue de la Reine-Blanche, et l’autre, le dernier, rue de la Victoire. Marc fronça les sourcils, alla récupérer le plan de Paris abandonné sur le buffet de la cuisine et revint s’asseoir sur sa vieille planche. Rue de la Reine-Blanche… Mon front est rouge encor du baiser de la Reine… Choix parfait, la Reine blanche, la pureté immaculée, l’évidence même. Pour la mouche bien sûr, la mouche monstrueuse aux yeux aux mille facettes. Et la rue de la Victoire en clôture. Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron… Un impeccable raisonnement de mouche. Marc examina le plan du 9e. Rue de la Victoire, à deux pas de la Tour-des-Dames, elle-même croisant la rue Blanche, le tout à deux cents mètres de la Tour-d’Auvergne, elle-même croisant la rue des Martyrs. Et ainsi de suite. Marc posa le plan dans l’herbe. Un jeu de piste terrifiant, où tout finit par faire sens et s’emboîter sans faille jusqu’au vertige. L’infaillible logique de la mouche, et Paris qui finit en bouillie.

Cinq heures, Marc régla la fréquence. Le sort de Clément Vauquer avait été réglé avec soin. Tenu à l’ombre dans un recoin de l’hôtel particulier après les trois premiers meurtres, Merlin l’aurait suicidé après celui de la rue de la Victoire. Mais l’abruti lui avait échappé, il y a un dieu pour les imbéciles. Merlin avait dû poursuivre avec des risques accrus. Le crime final accompli, dans les règles, avec le coup de la chance pour le sanctifier, il aurait posé les armes et vécu dans la jouissance de ses souvenirs.

Louis, Loisel et le médecin psychiatre qui était sur les lieux pensaient tous que l’homme n’aurait jamais pu s’arrêter.

— Une seule mouche peut réduire Paris en poudre, dit Marc à Lucien, qui s’affairait à la préparation du repas du soir.

Lucien acquiesça d’un signe. Il avait récupéré ses ciseaux et tailladait un bouquet de fines herbes. Marc s’assit et le regarda faire en silence.

— Cette femme, reprit Marc après de longues minutes, Julie Lacaize. Elle a été charmante avec moi. Étant donné que je lui ai sauvé la peau, c’est un peu normal.

— Et ensuite ?

— Ensuite rien. Et à parler franc, je n’ai pas eu la sensation que cela pouvait me mener très loin.

— Mon ami, dit Lucien sans s’interrompre, tu ne peux pas à la fois avoir fait acte d’intelligence et de bravoure et te ramasser la fille en plus.

— Et pourquoi non ?

— Parce que ce ne serait plus un fait héroïque, ce serait un vaudeville.

— Ah bien, dit Marc à voix basse. À choisir, il me semble que j’aurais préféré le vaudeville.

43

En fin d’après-midi, Louis sortit du commissariat, abruti et soulagé. Il laissait à Loisel le soin d’achever l’histoire. Lui, de son côté, avait une maille à boucler.

Le Sécateur râtelait les allées du côté nord du cimetière. Il s’immobilisa en voyant arriver Louis.

— Je me doutais que tu referais surface, dit Louis. Tu as su qu’on avait stoppé le tueur, n’est-ce pas ?

Le Sécateur donna de petits coups de râteau inutiles sur le sable.

— Et tu as pensé que tu pouvais remettre le nez dehors ? Que je ne te collerais plus le grappin dessus ? Mais le viol ? Tu l’as oublié, le viol ?

Le Sécateur crispa ses mains sur le manche.

— Je n’ai rien à y voir, cracha-t-il. Si le patron a dit que j’y étais, il a menti. Il n’y a pas de preuves. Personne croira la parole d’un assassin.

— Tu y étais, asséna Louis. Avec Rousselet et un copain que tu avais recruté. Merlin vous avait payés.

— Je ne l’ai pas touchée !

— Parce que tu n’en as pas eu le temps. Tu te vautrais sur elle au moment où Clément Vauquer t’a détrempé. Ne te fatigue pas, va. Merlin n’a rien dit, mais il y a un témoin. Clairmont vous observait à la jumelle depuis son atelier.

— Le vieux salaud, gronda Thévenin.

— Et toi ? Tu le sais ce que tu vaux, toi ?

Le Sécateur jeta un œil haineux à Louis.

— Je vais te le dire, ce que tu vaux, le Sécateur. Tu ne vaux pas trois clous et ça me serait facile de te coller au trou. Mais Nicole Verdot est morte et on ne peut plus rien pour la soulager. Et puis tu vaux autre chose aussi. Tu vaux le napperon que t’a laissé ta mère. Et à cause de lui, rien qu’à cause de lui, tu m’entends bien, je te foutrai la paix, rien que pour son espoir, à ta mère. T’as de la chance qu’elle t’ait protégé.

Le Sécateur se mordit la lèvre.

— Et je te laisse cette foutue bouteille de sancerre que j’ai trimballée tous les jours pendant ta fugue. Quand tu la boiras, pense à cette Nicole, et arrange-toi pour regretter.

Louis posa la bouteille aux pieds du Sécateur et s’éloigna par l’allée centrale.

Ce soir, Louis allait dîner à la baraque pourrie. Quand il entra dans le réfectoire, il trouva la pièce vide et sombre et, à travers les fentes des volets tirés, il aperçut Marc et Lucien assis dans l’herbe clairsemée de l’essart.

— Où est la poupée de Marthe ? demanda-t-il en les rejoignant. Envolé vers la lumière ?