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Il gagna en claudiquant la console. Son uniforme fantaisiste était boueux et déchiré, et il avait perdu une de ses chaussures.

— Pourquoi ne m’avez-vous pas ramené à la fin du relèvement ?

Warder foudroya M. Dunworthy du regard.

— On m’en a empêchée. Qu’avez-vous fait de votre brodequin ?

— Je l’ai laissé dans la gueule d’un dogue sanguinaire ! Si j’ai encore mon pied, c’est un miracle.

— C’était une authentique Wellington de l’AFS. Et vous avez vu votre tenue ?

— Si je l’ai vue ? J’ai dû courir deux heures, pour semer ces fauves. J’ai encore atterri dans ce maudit champ de seigle et d’orge. Un peu plus tard que la fois précédente, car la fermière m’attendait avec des chiens. Elle avait dû recruter toutes les meutes du Warwickshire.

Puis il me vit.

— Que diable faites-vous ici ? Vous devriez être à l’hôpital.

— Je pars pour 1888, déclarai-je.

— J’avais pourtant dit à cette infirmière de ne pas parler de vous à Lady Schrapnell. Pourquoi vous envoie-t-elle au XIXe ? C’est au sujet de son arrière arrière-grand-mère ?

— Arrière-arrière-arrière-grand-mère. Non. Le médecin m’a prescrit deux semaines de repos et je pars en convalescence.

— On a besoin de vous, à Coventry.

— J’y étais, quand vous avez décidé de me rapatrier.

— Je n’avais pas le choix. Vous divaguiez. Vous disiez que le chien est notre plus noble allié tant dans la guerre que la paix, un fidèle compagnon qu’il pleuve ou qu’il vente. Pouah ! Regardez ça !

Il me montra son pantalon déchiré.

— C’est votre meilleur ami qui m’a fait ça !

Puis il leva son pied uniquement gainé d’une chaussette.

— Il a failli m’amputer ! Quand serez-vous prêt à repartir ?

— Je suis interdit de saut pour deux semaines. Pourquoi vous êtes-vous débarrassé de moi, si vous vouliez que je revienne ?

— Je pensais qu’ils vous administreraient une pilule ou qu’ils vous feraient une piqûre. Pas qu’ils vous condamneraient à l’inaction. Comment allons-nous dénicher la potiche de l’évêque, à présent ?

— Vous ne l’avez donc pas trouvée ?

— Pour cela, il aurait fallu que je puisse retourner dans la cathédrale. J’ai essayé tout l’après-midi, et je n’ai pas pu arriver plus près que ce foutu champ de seigle et d’orge ! Ces maudits décalages…

— Décalages ? répéta M. Dunworthy, brusquement attentif.

Il vint vers nous.

— Je vous l’ai dit, lui rappelai-je. Le champ de seigle et d’orge.

— Quel champ de seigle et d’orge ?

— Celui où on trouve tous ces chiens.

— Je n’ai pas réussi à regagner Coventry le 15 novembre, expliqua Carruthers. J’ai fait quatre tentatives, et ce que j’ai obtenu de mieux est le 8 décembre. Ned s’en est tiré mieux que les autres et c’est pour ça qu’il doit retourner fouiller les gravats.

M. Dunworthy était déconcerté.

— Pourquoi n’y allez-vous pas avant le raid, le quatorze ?

— C’est ce que nous avions prévu, étant donné que Lady Schrapnell voulait savoir si la potiche de l’évêque se trouvait dans la cathédrale lors du bombardement. Mais nous nous sommes matérialisés plus tard ou, si le moment était bon, à soixante miles de là, au milieu d’un champ de seigle et d’orge.

Il désigna son uniforme maculé et M. Dunworthy se renfrogna.

— Nous ? Combien d’historiens ont essayé ?

— Six. Non, sept. Tous ceux qui étaient disponibles.

— C’est pour ça que j’ai dû laisser tomber les ventes de charité, précisai-je.

— Et en ce qui concerne ces kermesses ?

— Ce sont des braderies où les gens se débarrassent de ce qui les encombre, des trucs qu’ils ont achetés la fois précédente ou qu’ils ont confectionnés à cette intention. Des boîtes à thé et à aiguilles brodées, des essuie-plumes et…

— Je sais ce qu’est une brocante ! Ce que je veux apprendre, c’est s’il s’est produit des décalages.

— Non, pas plus que d’habitude. De simples déplacements spatiaux pour éviter d’éventuels témoins. Derrière le presbytère ou la buvette.

Il se tourna vers Carruthers.

— Et pour Coventry ?

— C’est variable. Paulson est arrivé le 28 novembre. Je dirais, vingt-quatre heures en moyenne. Le meilleur résultat obtenu, c’est l’après-midi du quinze. Mais le phénomène s’est amplifié. Le nouveau est toujours là-bas et je doute qu’il sache comment s’y prendre pour rentrer. Et Dieu seul sait quels ennuis cet imbécile va s’attirer.

— Ennuis ! marmonna M. Dunworthy avant de s’adresser à la tech. Y a-t-il eu une augmentation généralisée des décalages ou ce phénomène ne concerne-t-il que les sauts vers Coventry ?

— Comment voulez-vous qu’une habilleuse vous réponde ? Je remplace Badri. Le tech, c’est lui.

— Badri, oui ! Où est-il ?

— Avec Lady Schrapnell, monsieur, rappela Finch. Sur le chemin du retour, je le crains.

Sans en faire cas, M. Dunworthy demanda à Warder :

— Depuis que vous avez pris sa place, avez-vous procédé à des sauts pour le 14 novembre 1940 mais vers d’autres destinations ?

— Un, pour Londres.

— Quel a été le décalage ?

Au lieu de lui rétorquer : « Si vous croyez que je n’ai que ça à faire », elle pianota.

— Coordonnées spatiales, néant. Temporelles, huit minutes.

— Ça ne concerne donc que Coventry. D’avance ou de retard ?

— D’avance.

Il se tourna vers Carruthers.

— Avez-vous tenté d’envoyer quelqu’un sur place la veille, en lui disant d’attendre ?

— Évidemment. Tous sont arrivés après le raid.

M. Dunworthy retira ses lunettes et les remit.

— L’importance des décalages est-elle aléatoire ou en augmentation ?

— En augmentation.

— Finch, allez demander à Kindle si elle n’a pas remarqué d’étranges coïncidences ou des anomalies, pendant son séjour à Muchings End. Ned, ne bougez pas d’ici. Je dois m’entretenir avec Lewis.

Il sortit, suivi des yeux par Carruthers.

— C’est quoi, toutes ces histoires ?

— C’est à cause du châle de ma grand-mère, lui expliquai-je en m’asseyant.

— Debout ! m’ordonna sitôt après le séraphin. Tout est prêt. En place.

— Ne dois-je pas attendre M. Dunworthy ?

— J’ai dix-neuf sauts programmés et…

— D’accord, d’accord.

Je pris la petite sacoche, le sac en toile, le panier d’osier et le reste et les portai vers le filet qui flottait toujours à cinquante centimètres du sol. Je posai une partie de mon chargement, soulevai le voile, me glissai dessous et tirai mes bagages derrière moi.

— Pendant la période victorienne les progrès techniques et scientifiques ont été foudroyants. L’invention du télégraphe, l’éclairage au gaz et la théorie de l’évolution darwinienne ont fortement influencé la société.

— Ramassez tout ça et placez-vous sur la croix, gronda l’ange exterminateur.

— La locomotive à vapeur et, en 1863, le premier métro ont permis de se déplacer plus rapidement et sur de plus grandes distances.

— Vous êtes prêt ?

— Si vous le dites.

Je m’assurai que tout se trouvait à l’intérieur. Un angle du panier dépassait et je le tirai du bout du pied.

— Attendez !

— Je peux y aller ?

— Les voyages, devenus aisés et confortables, ont élargi les horizons et abattu le cloisonnement rigide des diverses classes sociales qui…

Le séraphin souleva les voiles, arracha l’écouteur de mon oreille et regagna sa console.