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— C’est bon, maintenant ?

— Oui.

Elle se défoula sur des touches.

— Une minute ! Je ne sais même pas où je vais.

— Le 7 juin 1888.

— Je veux dire, ensuite… Je n’ai pas bien saisi les instructions de M. Dunworthy. À cause du déphasage.

Je désignai mon oreille.

— J’ai quelques difficultés à distinguer les sons.

— Dites plutôt des difficultés à avoir des pensées cohérentes. Ne comptez pas sur moi pour le faire à sa place.

Sur ces mots, elle sortit en trombe de la salle. J’entendis la porte claquer.

— Où est M. Dunworthy ?

Il avait parlé de Muchings End et de canotage. Si ces sujets n’avaient pas été abordés dans le cadre de ma préparation subliminale. « Une tâche d’une extrême simplicité », avait-il précisé.

— Où est-il ? répéta le séraphin.

D’une voix qui me rappelait de façon angoissante celle de Lady Schrapnell.

— Où est qui ? fit Finch.

— Ne jouez pas au plus fin avec moi ! Et ne vous avisez pas de me répondre qu’il est à l’hôpital. J’en ai plus qu’assez de suivre vos fausses pistes. Il est ici, n’est-ce pas ?

Oh, Dieu !

— Écartez-vous de cette porte ! rugit Lady Schrapnell. Je sais qu’il est là !

Je lâchai les bagages et regardai de toutes parts, sans voir la moindre cachette.

— Non, mentit héroïquement Finch. Il a été admis à l’hôpital de Radcliffe.

Je n’avais aucun refuge à ma disposition, pas en ce siècle. Je plongeai sous les voiles et courus jusqu’au pupitre en priant pour que le séraphin eût terminé ses préparatifs.

— Je vous ai dit de me laisser passer ! M. Henry est là, et il ira chercher ma potiche au lieu de tirer au flanc dans le présent en feignant d’être déphasé.

— Mais, il l’est ! C’est un cas très sérieux. Perte d’acuité de la vision, difficultés à percevoir les sons et facultés de raisonnement sérieusement diminuées.

Le moniteur annonçait : Paré. Appuyez sur « Envoi ». Je calculai la distance me séparant des voiles.

— Il n’est pas en état de faire le moindre saut.

— C’est ridicule ! Écartez-vous sur-le-champ.

J’inhalai à pleins poumons, pressai « Envoi » et m’élançai vers le filet.

— Vous devez me croire. Il est à Christ Church.

— Dégagez !

J’entendis une échauffourée.

Je plongeai jusqu’au X. Les voiles s’abaissèrent sur mon pied, que je ramenai rapidement dans le champ d’action du transmetteur.

— Monsieur Henry, je sais que vous êtes là ! ajouta Lady Schrapnell en ouvrant la porte.

— Qu’est-ce que je vous avais dit ? Il n’y a personne, déclara Finch.

Sans mentir, cette fois.

Chapitre quatre

Les voyages s’achèvent quand se retrouvent les amants.

William Shakespeare
Une arrivée brutale – Différences entre littérature et réalité – Similitudes entre le sifflet d’un train et les sirènes annonçant un raid aérien – Les bienfaits de l’adrénaline – Je réfléchis à ma mission – Howard’s End – Un journal qui vient à point – Deux ladies – Une arrivée tardive – Un contact – « Oxford, cité aux clochers qui rêvent » – Une vraie gravure de mode – Destin – Le mystère des lapins hypnotisés par les serpents enfin résolu – Présentations

Je tombai sur une voie ferrée et me retrouvai étendu entre les rails telle Pearl White dans un feuilleton du XXe siècle, si ce n’est que j’avais beaucoup plus de bagages qu’elle. Ils étaient éparpillés autour de moi, avec le canotier que j’avais perdu en plongeant vers le transmetteur.

La voix de Lady Schrapnell résonnait toujours dans mes oreilles, quand je me relevai et regardai de tous côtés avec méfiance. Mais je ne la vis nulle part. Il n’y avait pas non plus de canots et de fleuve. La ligne de chemin de fer suivait un talus bordé d’arbres.

La première consigne d’un historien est de « s’assurer de ses coordonnées spatio-temporelles », ce qui était en l’occurrence impossible. Le ciel bleu et les fleurs qui poussaient entre les traverses m’indiquaient seulement que c’était l’été, et les rails que j’étais arrivé après 1804.

Dans les vids, le héros trouve toujours un journal oublié sur le sol, avec à la une des renseignements aussi précieux que « Pearl Harbor bombardé ! » ou « Fin du siège de Mafeking ! » et il n’a qu’à lever les yeux pour voir une horloge dans une vitrine.

Je regardai ma montre, et découvris que je ne l’avais plus. Je tentai de me rappeler si Warder ne me l’avait pas subtilisée en m’essayant des chemises, et me souvins qu’elle avait fourré quelque chose dans la poche de mon gilet. Je tirai une chaîne en or. Une montre de gousset. Naturellement. Une montre-bracelet eût été anachronique, au XIXe siècle.

J’eus des difficultés à l’ouvrir puis à lire les chiffres romains, mais je réussis à savoir qu’il était X et quart. J’étais pile à l’heure. Si ce n’était pas la mauvaise guerre, évidemment. Ou le mauvais lieu.

Je n’aurais pu me prononcer sur ce point, car nul n’avait daigné m’informer de ma destination. Cependant, quand le décalage temporel était minime cela s’appliquait aussi aux coordonnées spatiales.

Je suivis la voie du regard. Au nord, elle allait se perdre au sein des arbres. Au sud, la forêt était plus clairsemée et un ruban de fumée s’en élevait. Une usine ? Un hangar à bateaux ?

J’aurais dû ramasser mes bagages et aller m’en assurer, mais je restai à inhaler l’air chaud estival et les douces senteurs du trèfle et du foin fraîchement coupés.

J’étais à cent soixante ans de la pollution, des embouteillages et de la potiche de l’évêque. Non, je me trompais. C’était en 1852 qu’un généreux donateur avait offert ce vase à la cathédrale de Coventry.

Qui n’était pas encore une cathédrale. L’église St. Michael ne deviendrait le siège d’un évêché qu’en 1908. Mais j’étais à plus d’un siècle des aboiements de Lady Schrapnell et des chiens méchants, en un temps où les femmes étaient douces tant en actes qu’en paroles.

Je regardai les arbres, les fleurs. Des boutons d’or poussaient entre les rails. L’infirmière m’avait prescrit du repos, et ne le trouverais-je pas en ce lieu idyllique ? Il me suffisait de rester là, au milieu de la voie, pour me sentir rétabli. Plus de troubles de la vision. Plus de sirènes.

J’avais parlé trop vite. Le raid aérien reprit, s’arrêta brusquement. Je secouai la tête, pour ordonner mes pensées.

Je n’étais pas encore guéri mais le serais bientôt si je continuais de respirer cet air pur. Je levai les yeux vers un ciel limpide et le ruban de fumée noire, qui s’était rapproché… Certainement un fermier qui brûlait des mauvaises herbes.

J’étais impatient de voir ce noble laboureur contempler son ouvrage appuyé à son râteau, ignorant tout des tracas et de la précipitation de la vie moderne. Je jubilais à la pensée de visiter sa fermette tapissée de roses et ceinte d’une clôture blanche immaculée, sa cuisine douillette, ses chambres aux doux lits de plume, ses…

La sirène mugit encore, deux fois. Comme un sifflet d’usine. Ou de train.

L’adrénaline est une drogue dont l’efficacité n’est plus à démontrer. Elle galvanise et pousse à l’action, et il est bien connu qu’elle a permis à certains d’accomplir des exploits en décuplant leurs forces. Et leur rapidité.